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Notre Monde Notre Monde (2013, 119') un film de Thomas Lacoste
Rassemblant plus de 35 intervenants, philosophes, sociologues, économistes, magistrats, médecins, universitaires et écrivains, Notre Monde propose un espace d’expression pour travailler, comme nous y enjoint Jean–Luc Nancy à « une pensée commune ». Plus encore qu’un libre espace de parole, Notre Monde s’appuie sur un ensemble foisonnant de propositions concrètes pour agir comme un rappel essentiel, individuel et collectif : « faites de la politique » et de préférence autrement.
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© Passant n°35 [juin 2001 - août 2001]
par Christine Vivier
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Quand j’ai trouvé le Sud au Nord


Je n’ai jamais vraiment compris cette scission. Géographiquement, bien sûr, rien de plus légitime : il faut bien se repérer. Mais cet enthousiasme avec lequel on coupe, on sépare, on divise, on oppose. Ce qui est au Sud manque au Nord. En bas la chaleur du soleil, en haut la grisaille des nuages. En bas l’imaginaire de l’exotisme, en haut le réalisme de la routine. En bas le bleu de la mer, en haut le béton des murs sales. En bas les champs, en haut la mine. En haut on bosse, pour partir en vacances en bas. Le Sud, avec ses accents qui roulent, qui chantent, qui charment. Le Sud et ses peaux dorées, toujours attirantes. Le plaisir de flâner, sous le bleu, sur le vert, dans des odeurs enivrantes. Le Sud et nos souvenirs de vacances, nos rêves de fuite, loin, mieux, autrement. Au Nord, la mémoire de la guerre, son sang, ses pleurs. Et puis les usines, leurs ouvriers, la peine et le labeur. Alors évidemment, si on a le choix, on préfère partir au Sud. Et puis quand on y est, on espère toujours y rester. Enfin, ça dépend de quel Sud, bien sûr. Métaphoriquement, on ne peut pas se tromper : d’un côté le Sud, à l’opposé le Nord. C’est ce qu’on appelle la simplicité du paradoxe. Géographiquement, ça se complique un peu, surtout lorsqu’on descend - dans le Sud s’entend. On pourrait même croire, tout à coup, qu’il y a un Sud du Sud. Là où c’est un peu déroutant, c’est quand on se rend compte que nos deux Sud n’ont plus grand chose de commun. Bien sûr, il y a toujours le soleil, mais il faut croire qu’il ne brille pas de la même façon au Sud et…au Sud. Il y a celui des touristes et des crèmes solaires ; et puis l’autre, qui tape un peu trop fort sur des peaux un peu trop noires. Et cette étrange impression d’une pauvreté de plus en plus visible au fur et à mesure que l’on descend. Evidemment, le Sud c’est sympa quand on peut y étaler son corps sur ses plages surchargées, mais de là à y montrer sa misère ! Je connais bien le Sud, celui qui est propre et qui sent la crème solaire ; j’y ai grandi. Et pourtant, je n’avais aucune idée de ce qu’était le Sud sans fioriture ni camelote. Celui où j’étais, celui des cartes postales, je le trouvais un peu froid, un peu triste. Il dégageait comme des relents de Nord. Et puis toute cette propreté, n’est-ce pas un peu anormal ? Comme si on faisait sans cesse le ménage. Alors je suis partie au Nord, histoire de vérifier mes repères géographiques. Et là, dans ma grande ville du Nord, pour la première fois, je l’ai rencontré. Par surprise, où on l’attend le moins. A chaque coin de rue, dans des quartiers entiers, qu’il a comme envahis, avec son tourbillon d’accents, de couleurs, de pays. Bien sûr, ça ne plaît pas à tout le monde, pas aux maniaques de la délimitation géographique qui ne veulent surtout pas qu’on se mélange. Et puis ça semble un peu désordonné cet enchevêtrement de cultures. Oui mais voilà, ici, nul besoin de chercher le soleil dans le ciel ou sur la plage; il est dans les regards. L’exotisme se porte sur des corps colorés, il se parle, se décline en une multitude de langages. Nul besoin de fuir pour trouver son ailleurs, parce qu’ici, le Sud habite le Nord. Le rêve, il n’est pas à chercher si loin ; le mien c’est qu’ici Sud et Nord se confondent.

Christine Vivier

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