Sortie du DVD de Notre Monde
Notre Monde Notre Monde (2013, 119') un film de Thomas LacosteRassemblant plus de 35 intervenants, philosophes, sociologues, économistes, magistrats, médecins, universitaires et écrivains, Notre Monde propose un espace dexpression pour travailler, comme nous y enjoint JeanLuc Nancy à « une pensée commune ». Plus encore quun libre espace de parole, Notre Monde sappuie sur un ensemble foisonnant de propositions concrètes pour agir comme un rappel essentiel, individuel et collectif : « faites de la politique » et de préférence autrement.
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© Passant n°35 [juin 2001 - août 2001]
© Passant n°35 [juin 2001 - août 2001]
par Frère Mc Murdo
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Camilleri et Fois ou le renouveau de la littérature policière des îles italiennes.
Les auteurs insulaires ne sont pas les derniers à participer au brillant renouveau de la littérature policière italienne. La Sicile détient depuis toujours un patrimoine
littéraire plutôt conséquent (Verga, Pirandello, Lampedusa, Sciascia pour ne citer que les plus connus) qui conjugue le poids de lhistoire de lîle et les interrogations sur son devenir. La trame des récits policiers sy coule avec aisance, et Camilleri lexploite avec beaucoup de bonheur. Marcello Fois, de son côté, appréhende la réalité du peuple sarde dans des romans dont les maîtres mots sont violence et lyrisme.
Au commencement, il y avait Leonardo Sciscia, écrivain sicilien, et la conscience aiguë quil développa dans ses récits policiers de la malfaisance de la mafia de son île et des moyens dérisoires que le pouvoir politique, principalement la démocratie chrétienne, mettait en uvre pour faire semblant de la combattre. Le jour de la chouette (1961), Le chevalier et la mort (1988), Une histoire simple (1989) pour ne citer que ces trois courts romans scandent son uvre littéraire. On ny trouvait jamais de fin heureuse : les coupables étaient vite blanchis et la police demeurait impuissante. Pessimisme, amertume de plus en plus exacerbée jalonnaient comme des pierres noires ce combat toujours inégal contre la « pieuvre ». Dans Sciscia enfin, on trouvait un amour passionné et lucide pour son île, et il devait sans doute faire siennes les paroles pessimistes du prince Salina, héros du Guépard roman de Lampedusa : « En Sicile, peu importe quon agisse bien ou mal : le seul péché que nous ne pardonnons pas, nous autres Siciliens, cest tout simplement laction. Nous sommes vieux, terriblement vieux. Il y au moins 25 siècles que nous portons sur nos épaules le poids de civilisations magnifiques, toutes venues de lex-térieur ; aucune na germé chez nous, nous navons donné le la à aucune. Depuis 2500 ans, nous sommes une colonie. Je ne le dis pas pour me plaindre : cest notre faute. Mais nous nen sommes pas moins las et vides. Les Siciliens ne voudront jamais saméliorer pour la raison quils se croient parfaits ; leur vanité est plus forte que leur misère... ».
Les deux auteurs ici présentés sont depuis peu traduits en français. Andrea Camilleri, le Sicilien du duo, a plus du double de lâge du sarde, Marcello Fois, lequel vient juste de dépasser trente ans. Mais le premier nommé na entamé sa carrière de romancier noir que peu de temps avant le second, de telle sorte que leurs uvres ne sont pas décalées. Autre similitude : lun et lautre développent des cycles romanesques tantôt contemporains, et tantôt se déroulant à la fin du XIXe. La langue de ces deux auteurs (et singulièrement celle de Camilleri) est charpentée demprunts savoureux au dialecte vernaculaire, que les traducteurs ont souvent rendu avec bonheur. Surtout : ils écrivent sur leur île et leurs personnages développent un certain sentiment tragique dappartenance à ces terres insulaires.
Mais certainement pas de la même manière ; prenons le policier Salvo Montalbano, héros des romans policiers de trame très classique de Camilleri. Il est commissaire dans la petite ville de Vigata. Il commande à une brigade de six policiers et na dautre ambition que de faire de la meilleure façon possible, la sienne, son métier de flic. Il sait sentourer dune poignée de policiers fidèles puisque le pouvoir mafieux veille partout, sur les vivants et les morts. Car le commissaire a une conscience aiguë et lucide de lemprise de la pieuvre sur sa terre chérie. Ainsi à lannonce dun crime affreux (dans La forme de leau), il réagit sombrement : « cette fois, ce ne furent pas seulement lodeur et le parler de sa terre qui laspirèrent de nouveau, mais limbécillité, la férocité, lhorreur ». Le commissaire cultive les racines littéraires de son île, Sciascia et Pirandello évidemment, mais aussi Consolo et Lampedusa. Il cite dailleurs la maxime Tancrède, le neveu du prince Salina, dans le Guépard « Si nous voulons que tout continue, il faut dabord que tout change » pour illustrer le jeu politique en Sicile. Il se bat le dos au mur à la fois contre sa hiérarchie policière prête aux compromis avec les mafieux, et le pouvoir des criminels. Humaniste entêté (un peu dailleurs à la manière des flics des dernières nouvelles de Sciascia), sil est « homme de la Liggi »(la loi en sicilien), il nentend justement nen faire quà sa tête, et appliquer ainsi une conception certes morale mais personnelle de la loi.
Camilleri a aussi entrepris lhistoire du développement de Vigata à la fin du XIXe, à travers des romans policiers (lOpéra de Vigata, La saison de la chasse, etc.) qui prennent la forme de contes à la manière de Calvino et de Perutz. Diablement enlevés, parodiques et tragiques, ils constatent les méfaits de lirruption violente de la modernité continentale sur la vie paisible de cette bourgade qui ne comptait alors que 6 000 habitants (elle en aura atteint 20 000 au temps de Montabano).
Marcello Fois joue dun registre résolument plus grave pour évoquer la Sardaigne de la même époque historique dans Sempre Caro. Un avocat démêle les fils passablement embrouillés de ce qui ne paraît être dune affaire somme toute banale : le passage au maquis dun jeune berger apparemment coupable du vol de quelques agneaux. Bustianu, le sabboca (lavocat en sarde) naura pas trop de toute son opiniâtreté professionnelle et de ses promenades quotidiennes méditatives dans les collines sardes, quil appelle son sempre caro par référence à des vers de Leopardi, pour innocenter le berger. Les mécanismes archaïques dune société doù la force vient de la possession de la terre sont mis à mal par la modernité de la loi continentale ; et lavocat est pris en tenaille entre ces forces contradictoires, également amoureux des paysages superbement décrits et de la quête de la vérité.
Avec Un silence de fer, Fois fait franchir à son île un siècle. Il nous immerge dans une problématique résolument contemporaine : les jeunes gauchistes du début des années 1980 se retrouvent dix ans plus tard au centre dun combat dans lîle mêlant nationalisme politique, gangstérisme et meurtres crapuleux. Le tout sur un fond de pessimisme le plus absolu, comme si les personnages étaient définitivement enracinés dans une île où règne « un langage à part trop lointain, un silence datant de trop nombreux siècles ».
littéraire plutôt conséquent (Verga, Pirandello, Lampedusa, Sciascia pour ne citer que les plus connus) qui conjugue le poids de lhistoire de lîle et les interrogations sur son devenir. La trame des récits policiers sy coule avec aisance, et Camilleri lexploite avec beaucoup de bonheur. Marcello Fois, de son côté, appréhende la réalité du peuple sarde dans des romans dont les maîtres mots sont violence et lyrisme.
Au commencement, il y avait Leonardo Sciscia, écrivain sicilien, et la conscience aiguë quil développa dans ses récits policiers de la malfaisance de la mafia de son île et des moyens dérisoires que le pouvoir politique, principalement la démocratie chrétienne, mettait en uvre pour faire semblant de la combattre. Le jour de la chouette (1961), Le chevalier et la mort (1988), Une histoire simple (1989) pour ne citer que ces trois courts romans scandent son uvre littéraire. On ny trouvait jamais de fin heureuse : les coupables étaient vite blanchis et la police demeurait impuissante. Pessimisme, amertume de plus en plus exacerbée jalonnaient comme des pierres noires ce combat toujours inégal contre la « pieuvre ». Dans Sciscia enfin, on trouvait un amour passionné et lucide pour son île, et il devait sans doute faire siennes les paroles pessimistes du prince Salina, héros du Guépard roman de Lampedusa : « En Sicile, peu importe quon agisse bien ou mal : le seul péché que nous ne pardonnons pas, nous autres Siciliens, cest tout simplement laction. Nous sommes vieux, terriblement vieux. Il y au moins 25 siècles que nous portons sur nos épaules le poids de civilisations magnifiques, toutes venues de lex-térieur ; aucune na germé chez nous, nous navons donné le la à aucune. Depuis 2500 ans, nous sommes une colonie. Je ne le dis pas pour me plaindre : cest notre faute. Mais nous nen sommes pas moins las et vides. Les Siciliens ne voudront jamais saméliorer pour la raison quils se croient parfaits ; leur vanité est plus forte que leur misère... ».
Les deux auteurs ici présentés sont depuis peu traduits en français. Andrea Camilleri, le Sicilien du duo, a plus du double de lâge du sarde, Marcello Fois, lequel vient juste de dépasser trente ans. Mais le premier nommé na entamé sa carrière de romancier noir que peu de temps avant le second, de telle sorte que leurs uvres ne sont pas décalées. Autre similitude : lun et lautre développent des cycles romanesques tantôt contemporains, et tantôt se déroulant à la fin du XIXe. La langue de ces deux auteurs (et singulièrement celle de Camilleri) est charpentée demprunts savoureux au dialecte vernaculaire, que les traducteurs ont souvent rendu avec bonheur. Surtout : ils écrivent sur leur île et leurs personnages développent un certain sentiment tragique dappartenance à ces terres insulaires.
Mais certainement pas de la même manière ; prenons le policier Salvo Montalbano, héros des romans policiers de trame très classique de Camilleri. Il est commissaire dans la petite ville de Vigata. Il commande à une brigade de six policiers et na dautre ambition que de faire de la meilleure façon possible, la sienne, son métier de flic. Il sait sentourer dune poignée de policiers fidèles puisque le pouvoir mafieux veille partout, sur les vivants et les morts. Car le commissaire a une conscience aiguë et lucide de lemprise de la pieuvre sur sa terre chérie. Ainsi à lannonce dun crime affreux (dans La forme de leau), il réagit sombrement : « cette fois, ce ne furent pas seulement lodeur et le parler de sa terre qui laspirèrent de nouveau, mais limbécillité, la férocité, lhorreur ». Le commissaire cultive les racines littéraires de son île, Sciascia et Pirandello évidemment, mais aussi Consolo et Lampedusa. Il cite dailleurs la maxime Tancrède, le neveu du prince Salina, dans le Guépard « Si nous voulons que tout continue, il faut dabord que tout change » pour illustrer le jeu politique en Sicile. Il se bat le dos au mur à la fois contre sa hiérarchie policière prête aux compromis avec les mafieux, et le pouvoir des criminels. Humaniste entêté (un peu dailleurs à la manière des flics des dernières nouvelles de Sciascia), sil est « homme de la Liggi »(la loi en sicilien), il nentend justement nen faire quà sa tête, et appliquer ainsi une conception certes morale mais personnelle de la loi.
Camilleri a aussi entrepris lhistoire du développement de Vigata à la fin du XIXe, à travers des romans policiers (lOpéra de Vigata, La saison de la chasse, etc.) qui prennent la forme de contes à la manière de Calvino et de Perutz. Diablement enlevés, parodiques et tragiques, ils constatent les méfaits de lirruption violente de la modernité continentale sur la vie paisible de cette bourgade qui ne comptait alors que 6 000 habitants (elle en aura atteint 20 000 au temps de Montabano).
Marcello Fois joue dun registre résolument plus grave pour évoquer la Sardaigne de la même époque historique dans Sempre Caro. Un avocat démêle les fils passablement embrouillés de ce qui ne paraît être dune affaire somme toute banale : le passage au maquis dun jeune berger apparemment coupable du vol de quelques agneaux. Bustianu, le sabboca (lavocat en sarde) naura pas trop de toute son opiniâtreté professionnelle et de ses promenades quotidiennes méditatives dans les collines sardes, quil appelle son sempre caro par référence à des vers de Leopardi, pour innocenter le berger. Les mécanismes archaïques dune société doù la force vient de la possession de la terre sont mis à mal par la modernité de la loi continentale ; et lavocat est pris en tenaille entre ces forces contradictoires, également amoureux des paysages superbement décrits et de la quête de la vérité.
Avec Un silence de fer, Fois fait franchir à son île un siècle. Il nous immerge dans une problématique résolument contemporaine : les jeunes gauchistes du début des années 1980 se retrouvent dix ans plus tard au centre dun combat dans lîle mêlant nationalisme politique, gangstérisme et meurtres crapuleux. Le tout sur un fond de pessimisme le plus absolu, comme si les personnages étaient définitivement enracinés dans une île où règne « un langage à part trop lointain, un silence datant de trop nombreux siècles ».
Leonardo Sciscia est en cours de réédition chez Fayard, en trois volumes (les deux premiers parus en 1999 et 2000).
Le Guépard de Lampedusa est disponible en Points Seuil.
Andrea Camilleri : Cycle Montalbano (les romans de la série sont édités au Fleuve Noir) : La Forme de leau (réédité chez Pocket), Chien de faïence, Un mois avec Montalbano, le Voleur de goûter, La voix du violon.
Romans historiques : LOpéra de Vigata (Métailié), La saison de la chasse (Fayard),
La concession du téléphone (Fayard)
Marcello Fois : Cycle contemporain : Un silence de fer (Seuil), Plutôt mourir (Seuil).
Romans historiques : Sang du ciel (TRAM éditions), Sempre Caro (Seuil).
Le Guépard de Lampedusa est disponible en Points Seuil.
Andrea Camilleri : Cycle Montalbano (les romans de la série sont édités au Fleuve Noir) : La Forme de leau (réédité chez Pocket), Chien de faïence, Un mois avec Montalbano, le Voleur de goûter, La voix du violon.
Romans historiques : LOpéra de Vigata (Métailié), La saison de la chasse (Fayard),
La concession du téléphone (Fayard)
Marcello Fois : Cycle contemporain : Un silence de fer (Seuil), Plutôt mourir (Seuil).
Romans historiques : Sang du ciel (TRAM éditions), Sempre Caro (Seuil).