Sortie du DVD de Notre Monde
Notre Monde Notre Monde (2013, 119') un film de Thomas LacosteRassemblant plus de 35 intervenants, philosophes, sociologues, économistes, magistrats, médecins, universitaires et écrivains, Notre Monde propose un espace dexpression pour travailler, comme nous y enjoint JeanLuc Nancy à « une pensée commune ». Plus encore quun libre espace de parole, Notre Monde sappuie sur un ensemble foisonnant de propositions concrètes pour agir comme un rappel essentiel, individuel et collectif : « faites de la politique » et de préférence autrement.
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© Passant n°35 [juin 2001 - août 2001]
© Passant n°35 [juin 2001 - août 2001]
par Patrick Rödel
Imprimer l'articleA chacun son Sud !
Quest-ce que sorienter dans la pensée ? se demandait le vieux Kant, dans un article de 1786. Si on lavait poussé dans ses retranchements, sa réponse aurait privilégié, comme souvent en philosophie, laxe Est-Ouest, et, entre le lever du soleil et son coucher, il naurait pas balancé longtemps : cest lEst, le Levant, lOrient qui aurait eu sa préférence, lieu de la lumière et de lorigine - certainement pas la Russie (pour laquelle Marx lui-même navait que mépris !), encore moins la Chine... A moins quil neût souhaité, dans la zone incertaine qui souvre au-delà des limites de lexpérience, tout simplement ne pas perdre le Nord...
Autant dire que lOccident, et sa menace de mort, na pas bonne presse et que le Sud na pas grand rôle à jouer, terre densauvagement à éviter, à coloniser peut-être...
Le Sud ne gagnera ses lettres de noblesse que progressivement. Il y eut dabord le voyage en Italie, de Montaigne à Stendhal, de Stendhal à Freud ; puis, le voyage en Orient, de Chateaubriand à Flaubert en passant par Nerval et Fromentin, mais un Orient bien proche et qui baigne dans Mare nostra,
notre Méditerranée. Lau-delà désertique (Théodore Monod) et la fascination pour les terres extrêmes (Nicolas Bouvier) attendront que des hordes de touristes aient, définitivement ou presque, pollué la mer toujours bleue.
Mais qui ne voit que ces points dits cardinaux dessinent une géographie plus imaginaire que physique, quils appartiennent davantage au domaine du fantasme quà notre globe terraqué où lon est toujours pris dans une ronde où les repères se brouillent et où il faut être doté dun solide sens de lorientation pour sy retrouver, dans des solidarités croisées. Pour sen convaincre, il suffit de rappeler le jeu de mots que Freud attribue à une de ses patientes (à moins quil ne soit de lui) : gen Italia (en allemand, vers lItalie) = genitalia (les génitoires !) ; ou lélection, par Nietzsche, de Gênes et de Nice par haine de la grossièreté allemande ; ou, chez Stendhal, léquation Milan = Mère, Grenoble = Père et le choix définitif de lItalie pour des raisons quon voit bien et que naurait pas reniées Freud. Pour le piètre voyageur et le petit prof de philo que je suis, sais-je pourquoi le Nord commence sitôt franchie la Loire, pourquoi les Pyrénées dressent une barrière insurmontable qui minterdit daller en Espagne, terra incognita, pourquoi ma seule échappée vers le Sud ne peut être, pour linstant, quitalienne ? Géographie affective, certes, et fort peu conceptuelle.
Bourdieu, dans un chapitre de Ce que parler veut dire, montre que la théorie des climats qui est un des titres de gloire de Montesquieu, est un bel exemple de mythologie « scientifique » et que lopposition entre lhomme du Nord, « homme vraiment homme, actif, viril, tendu, bandé comme des ressorts » et lhomme du Midi « voué à la servitude, à lempire des sens, de la sensation mais aussi de limagination » (p. 232-234) na aucun fondement sérieux.
Quoi quil en soit, nous continuerons de rêver à lOrient de la naissance, à lOccident de la mort, au Nord de la froide raison capitaliste, au Sud de la chaude sensualité, suivant en cela le hasard de nos histoires individuelles et collectives, tant que chaque homme ne sera pas devenu pleinement citoyen du monde.
Autant dire que lOccident, et sa menace de mort, na pas bonne presse et que le Sud na pas grand rôle à jouer, terre densauvagement à éviter, à coloniser peut-être...
Le Sud ne gagnera ses lettres de noblesse que progressivement. Il y eut dabord le voyage en Italie, de Montaigne à Stendhal, de Stendhal à Freud ; puis, le voyage en Orient, de Chateaubriand à Flaubert en passant par Nerval et Fromentin, mais un Orient bien proche et qui baigne dans Mare nostra,
notre Méditerranée. Lau-delà désertique (Théodore Monod) et la fascination pour les terres extrêmes (Nicolas Bouvier) attendront que des hordes de touristes aient, définitivement ou presque, pollué la mer toujours bleue.
Mais qui ne voit que ces points dits cardinaux dessinent une géographie plus imaginaire que physique, quils appartiennent davantage au domaine du fantasme quà notre globe terraqué où lon est toujours pris dans une ronde où les repères se brouillent et où il faut être doté dun solide sens de lorientation pour sy retrouver, dans des solidarités croisées. Pour sen convaincre, il suffit de rappeler le jeu de mots que Freud attribue à une de ses patientes (à moins quil ne soit de lui) : gen Italia (en allemand, vers lItalie) = genitalia (les génitoires !) ; ou lélection, par Nietzsche, de Gênes et de Nice par haine de la grossièreté allemande ; ou, chez Stendhal, léquation Milan = Mère, Grenoble = Père et le choix définitif de lItalie pour des raisons quon voit bien et que naurait pas reniées Freud. Pour le piètre voyageur et le petit prof de philo que je suis, sais-je pourquoi le Nord commence sitôt franchie la Loire, pourquoi les Pyrénées dressent une barrière insurmontable qui minterdit daller en Espagne, terra incognita, pourquoi ma seule échappée vers le Sud ne peut être, pour linstant, quitalienne ? Géographie affective, certes, et fort peu conceptuelle.
Bourdieu, dans un chapitre de Ce que parler veut dire, montre que la théorie des climats qui est un des titres de gloire de Montesquieu, est un bel exemple de mythologie « scientifique » et que lopposition entre lhomme du Nord, « homme vraiment homme, actif, viril, tendu, bandé comme des ressorts » et lhomme du Midi « voué à la servitude, à lempire des sens, de la sensation mais aussi de limagination » (p. 232-234) na aucun fondement sérieux.
Quoi quil en soit, nous continuerons de rêver à lOrient de la naissance, à lOccident de la mort, au Nord de la froide raison capitaliste, au Sud de la chaude sensualité, suivant en cela le hasard de nos histoires individuelles et collectives, tant que chaque homme ne sera pas devenu pleinement citoyen du monde.