Sortie du DVD de Notre Monde
Notre Monde Notre Monde (2013, 119') un film de Thomas LacosteRassemblant plus de 35 intervenants, philosophes, sociologues, économistes, magistrats, médecins, universitaires et écrivains, Notre Monde propose un espace dexpression pour travailler, comme nous y enjoint JeanLuc Nancy à « une pensée commune ». Plus encore quun libre espace de parole, Notre Monde sappuie sur un ensemble foisonnant de propositions concrètes pour agir comme un rappel essentiel, individuel et collectif : « faites de la politique » et de préférence autrement.
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© Passant n°35 [juin 2001 - août 2001]
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Gens du Sud
Ils ont le teint hâlé, le visage buriné,
torturé par la chaleur comme la végétation méridionale, un sarment de vigne, un
olivier, ils ne peuvent quêtre du sud ! Rien ne les atteint, à longueur dannée, ils vivent dehors, en groupe, les enfants souvent
légèrement vêtus, ils ont cette chaleur intérieure, imperméable au froid, imperméable à tout... Ils nous côtoient, mais dinvisibles
barrières les tiennent loin de nous, inaccessibles, aussi loin quun sud imaginaire. Ils sont de lest, lointain, des plaines du Gange, ce sont les tsiganes.
Ils ont laccent espagnol pour certains, les autres un drôle de langage, une sonorité gutturale, des consonances slaves. Selon lauteur Vaux de Folletier, dans Mille ans dHistoires Tsiganes, leurs racines sont en Inde. Linguiste, au contact de leur langage, le romanés, il découvre lusage de certains mots dune langue à la localisation précise au sein de ce dialecte, du sanscrit. Ainsi de recherche en travaux, le périple des tsiganes débute en 950, aboutit en France en 1419 aux abords du Rhône, ils se signalent en Espagne en 1425, voyagent à travers lEurope ; en 1734, ils apparaissent en Louisiane. Depuis les Tsiganes sont présents dans 135 pays.
Nous mettons des barrières légales, eux des limites culturelles. Etre tsigane, cest nécessairement être différent, naître tsigane cest grandir, en simprégnant de cette culture, dans un ensemble en opposition avec le monde des sédentaires, affirmer son origine ethnique cest abonder dans le sens des préjugés, de laltérité cest ainsi dire : « je suis différent de toi, gadjo ! ». Sédentarisés, les modes opératoires de lexpression culturelle sont maintenus. Dans cet espace sorganise la vie du voyage, la culture tsigane même si elle ne voyage plus, existe toujours. Sur une aire de stationnement précaire, la frontière sétablit par la mise en place despace vital familial, passé le dernier cercle, de la famille en limite du groupe, on entre dans la frontière, pénétrant dans un autre monde, pas besoin de papier : lapparence physique, le comportement dénonce lidentité. De ce constat, un groupe peut sinstaller nimporte où, à condition davoir à proximité un point deau courante, une borne dincendie ! Il suffit de sarrêter, de sagglomérer, en respectant les cercles vitaux ; largument fédérateur, en cas de doute, est dappartenir à la « Nation ». Un croisement dautoroute, un parking de supermarché, une pelouse de cité urbaine, tout est supportable, tant que ceux au-delà de la frontière ne font que passer. Effectivement, ils passent, en regardant, jugeant peut-être, ils nauraient pas idée de sarrêter en terre étrangère, peur de lautre, peur de ce quon ne connaît pas. Passée la frontière, est mis en uvre un cérémonial séculaire, lentrée dans les strates vous expose à un interlocuteur, lultime rempart est souvent une femme, garante de la quiétude du cercle familial, elle vous jauge, vous juge, autorise laccès au cercle le plus proche du foyer familial, la caravane, sinon la sanction est un refus ferme et définitif. Sans appel !
Légiférer
Le politique légifère, selon Jacqueline Charlemagne, spécialiste de droit, la législation en matière de gens du voyage est plus souvent contrainte que droit. Le tsigane bénéficie davantages sociaux en tant que citoyen français, de droits spécifiques, peu dans la prise en compte du pur respect du mode de vie, plus dans la réglementation des déplacements, de lactivité économique. Résultat : des générations de jeunes, danciens voient, ont vu leur vie rythmée par lexpulsion du territoire de la commune, au titre de citoyen indésirable, de délinquant potentiel, despions probables avant la seconde guerre mondiale. Un jour, minquiétant auprès dun homme dâge respectable de sa passivité devant linjonction des gendarmes à quitter la commune, je reçus cette réponse tout empreinte de logique. Sous ce même costume uniformisé, lorsquil avait vingt ans, une femme, un enfant en bas âge, deux représentants de lordre lont emmené, emprisonné à Rennes, convoyé en Allemagne pour quatre années dinternement. Qui pouvait, au moment de notre conversation, lui garantir que ces mêmes représentants ne seraient pas capables dagir de manière identique, sans plus dexplication.
Le politique a saisi limportance de la problématique tsigane, après rapports parlementaires, consultations dinstances sociales, constats déchec devant des expériences malheureuses dans différentes villes, cette communauté, si on ne veut pas la voir, fait tout de même parler delle. Le taux de natalité est supérieur à celui de la population sédentaire, 51% de la population tsigane à moins de 18 ans, la source de léconomie traditionnelle se tarit, alors une loi récente intitulée Loi Besson, peut devenir une aubaine politique. Il sera politiquement moins difficile dexpliquer que lEtat, dans un intérêt dordre public, oblige à la réalisation daires daccueil. En construisant une aire adéquate, tout stationnement sur lensemble de la commune tombe sous le coup de lexpulsion immédiate.
Gérer
Ce serait réducteur que de considérer les gens du voyage comme un simple phénomène à gérer, une entité que lon place ici, insérée dans une couche sociale, à gérer ! Gens du voyage, voyageurs, tsiganes, manouches, roms et gitans, tous ces termes nont pas pour seul point commun le mode de vie. Si les trois premiers définissent une ethnie, les trois suivants sont chacun un groupe ethnique propre. Des roms séjourneront très rarement avec des manouches, le premier exerce un type dexpression, de hiérarchie, dunion de raison, lautre cantonne son activité culturelle à la famille, acceptant de sagglomérer temporairement avec dautres familles. De nouveaux membres de lethnie rom préfèrent la discrétion, sinstallent avec bonheur dans un système de liberté, choisissent la migration à travers les pays européens, ce sont les ressortissants des anciens pays satellites de lURSS. Des manouches choisiront peu la compagnie de Gitans. Ces derniers ont plutôt un mode de vie sédentaire, ce nest pas génétique mais le résultat dune politique ancestrale espagnole. Le procureur du Roi, en 1539, devant laffluence de gitans nomades, obligea tous les membres de la communauté à cette époque, sous peine dêtre condamné à 6 ans de galère, à la sédentarisation. Ces différences existent, elles sont ancrées dans les ethnies, il y a des exceptions bien sûr, mais elles se fondent sur des concessions que lon ne peut imposer. Il résulte que pour penser gérer, il faut simprégner de ces expressions culturelles. Ne pas prendre en compte ces différences, serait une hérésie entraînant certainement la loi à léchec. La société tsigane est constituée comme la nôtre, avec ses couches, ses strates établies selon un pouvoir dachat, une richesse ; du fait de lanarchie régnante en matière daccueil, la pauvreté côtoie la richesse exubérante. La perte de valeurs, effet ou cause dun déclin, ne peut pas faire affront à la mise en exergue de ces mêmes valeurs exprimées au sein dune autre famille, sans quà un moment il y ait conflit. Enfin devant la contrainte de ne pouvoir stationner où lon désire, certains tsiganes ont dû ou ont pu faire lacquisition de terrains dits familiaux. Ainsi les gens du voyage se sédentarisent par nécessité, fatigués de se faire expulser, ils peuvent reproduire le foyer familial beaucoup plus élargi quon ne le conçoit dans notre société sédentaire. Un terrain familial est un appui culturel, un moyen dapaisement, un cercle favorable. Mais le code de lurbanisme supporte mal les libertés prises par les propriétaires de terrains familiaux. Sa refonte au mois de juin 2001 devrait prendre en compte certains articles de la Loi Besson, et donc se mettre en conformité !
La plus grande minorité oubliée
Des siècles de nomadisme, contraints à certains moments, sur des territoires ont obligé ou permis aux tsiganes de maintenir leur expression culturelle comme un moyen revendicatif. Lorsque lon jette un regard, ils semblent lointains, inaccessibles, tant ils marquent une méfiance, difficilement assimilables car notre esprit cartésien, mû par le désir de comprendre, na pas cours au sein de la communauté. Cest une ethnie, ils la revendiquent, pas en ces termes, mais en faisant référence au sang, comme par défiance, une légitimité. Veulent-ils une intégration ? Sûrement pas pour le moment, la méfiance est de rigueur, discourir sur les gens du voyage est trop récent pour abattre des générations de blâmes et de rejets. Donc ils ne communiquent pas avec lextérieur, ils écoutent, dès que la promesse nest pas suivie deffets, elle devient argument du non respect dune valeur chère aux tsiganes, le respect de la parole. Cest donc antinomique avec le discours politique, et sa noble science. Günter Walraff, lors dune communication devant le Parlement Européen, au début de cette année, attirait lattention de lassemblée sur la situation de la plus grande minorité européenne, les tsiganes. Ils sont, selon ses sources, quelque 13 millions dindividus au sein de la communauté européenne, en marge, délaissés par les différentes instances, pour solde de tout compte une forme de liberté, le délaissement. lEurope est très diversifiée dans la gestion de la communauté tsigane, un pays peut-être favorisant, alors quà la frontière suivante cest linverse, alors par pragmatisme les tsiganes migrent vers des pays accueillants. La rumeur court très vite au sein de cette ethnie, la parole est le vecteur, elle transporte linformation bonne ou mauvaise, telle ville est bonne, tel pays est mauvais, telle instance est dangereuse. La sphère tsigane communique beaucoup de lintérieur, cest une nécessité, même un comportement culturel et social. Cette sphère, delle-même, maintient la frontière, avec le monde sédentaire, très opaque, le besoin de maintenir avec lAutre une méconnaissance, dans lintention de ne pas inciter à la rencontre. Certes nombre de tsiganes peuvent témoigner connaître des bons sédentaires, bons parce quils furent utiles, bons employeurs, ou simplement gentils, mais globalement les relations avec les sédentaires restent distantes. A tel point que ces deux sphères ont produit un mode de relations, seulement deux ponts enjambent cette frontière, lobservation est personnelle, sa démonstration tout autant. Le premier pont est celui de la demande, la chine pour les manouches, roms ou gitans, on chine pour travailler, pour obtenir ses droits sociaux, des aides financières, la persuasion est un élément primordial, elle doit nécessairement aboutir. Inversement à lintérieur de la communauté, on demande, on donne avec plaisir, preuve du lien familial ou affectif qui unit lun à lautre. Lautre pont est conflictuel, rejet, expulsion, crimes et délits dont les auteurs peuvent être des tsiganes. On pourrait penser que le mariage est un trait dunion entre les deux communautés : faux, car lun des membres du couple doit faire un choix, assez souvent au profit des tsiganes. Ce type dacceptation est mieux perçu. Ou alors, le tsigane fait le deuil de sa culture, au profit dune culture, une, générale et indivisible, celle des sédentaires, mais on ne peut que très rarement rester entre ces deux mondes.
Une nouvelle ère
Après des siècles répressifs, puis des décennies régies par des textes contraignants, le législateur a innové en 1990 en votant la loi Besson, première version ! Cette loi imposait aux communes de plus de 5 000 habitants à séquiper dune aire daccueil pour les gens du voyage, mais cette mouture devint caduque, car en 1995 un amendement intitulé amendement Delevoye a rendu le caractère obligatoire sans effet. Les instances locales navaient plus dobligation, de fait les tsiganes non plus. Cette loi a une seconde version, celle-ci plus attrayante, car lEtat investit dans la création des aires daccueil, jusquà hauteur de 70% du coût, le caractère obligatoire est amplifié, après acceptation dun schéma départemental ; le préfet pourra inscrire doffice, dans les comptes de la commune, la dépense nécessaire à la réalisation dune aire daccueil. Sur le fond le texte de loi, son décret dapplication du mois de juillet 2000, énonce le principe. La loi Besson les concernant directement est citée lors des expulsions, les tsiganes commencent à sexprimer. Actuellement ils affirment être las des devoirs quon leur impose, quils doivent respecter ; cest infantilisant ce comportement à leur encontre, ils revendiquent une nouvelle condition, celle davoir des droits, donc dêtre adultes. Un schéma départemental est une contrainte. Finies les aires fictives, sur danciennes décharges réhabilitées, derrière le cimetière, en zone inondable, en bordure de grands axes routiers, surtout sans concertation préalable avec des organisations représentatives. Qui va revendiquer chez les gens du voyage ? Sûrement pas un « gadjo ». Des associations évangélistes ou catholiques ? Mais là, les représentants prêchent pour leur paroisse. Des gens du voyage eux-mêmes ? La communauté na pas encore le sens organisationnel, culturellement la parole dun homme nest jamais globalisante. Chez les manouches, il exprime son point de vue, peut engager sa famille très élargie, mais rarement un groupe au sein duquel il serait le représentant ; les roms règlent leurs problèmes, un conflit est laissé à lappréciation dune kris, réunion danciens qui disent le droit, ils établissent les torts et prononcent une sentence, appliquée sous peine dexclusion de la cumpania. Les gitans ont le même comportement que les manouches, mais ils laisseront facilement lun deux parler. Trouver la courroie de transmission de la communication des gens du voyage est difficile, létablissement dun dialogue incitera peut-être les deux communautés à percevoir lautre, tenter de se comprendre. Si lon prend comme point de départ la Loi Besson, elle a pour intitulé laccueil et lhabitat des gens du voyage, les politiques y voient seulement laccueil, les gens du voyage lenvisagent sous sa forme de lhabitat ; lavantage de structures établies peut amener à la résorption de conflits.
Nous progressons au 21e siècle vers une phase de concertation avec les tsiganes, bien ! Il est temps, ils sont en France depuis six siècles. Les tsiganes ont des qualités dadaptabilité étonnantes, naturelles, ils jugeront. Si des mesures locales ne leur conviennent pas, sils en ont les moyens, ils formeront leur convoi de caravanes en direction de lun des points cardinaux, plus aisément le Sud, la difficulté est peut-être plus supportable quand il fait beau. Six siècles ainsi ; nous, sédentaires, accordons leur une devise latine Fluctuat nec mergitur.
torturé par la chaleur comme la végétation méridionale, un sarment de vigne, un
olivier, ils ne peuvent quêtre du sud ! Rien ne les atteint, à longueur dannée, ils vivent dehors, en groupe, les enfants souvent
légèrement vêtus, ils ont cette chaleur intérieure, imperméable au froid, imperméable à tout... Ils nous côtoient, mais dinvisibles
barrières les tiennent loin de nous, inaccessibles, aussi loin quun sud imaginaire. Ils sont de lest, lointain, des plaines du Gange, ce sont les tsiganes.
Ils ont laccent espagnol pour certains, les autres un drôle de langage, une sonorité gutturale, des consonances slaves. Selon lauteur Vaux de Folletier, dans Mille ans dHistoires Tsiganes, leurs racines sont en Inde. Linguiste, au contact de leur langage, le romanés, il découvre lusage de certains mots dune langue à la localisation précise au sein de ce dialecte, du sanscrit. Ainsi de recherche en travaux, le périple des tsiganes débute en 950, aboutit en France en 1419 aux abords du Rhône, ils se signalent en Espagne en 1425, voyagent à travers lEurope ; en 1734, ils apparaissent en Louisiane. Depuis les Tsiganes sont présents dans 135 pays.
Nous mettons des barrières légales, eux des limites culturelles. Etre tsigane, cest nécessairement être différent, naître tsigane cest grandir, en simprégnant de cette culture, dans un ensemble en opposition avec le monde des sédentaires, affirmer son origine ethnique cest abonder dans le sens des préjugés, de laltérité cest ainsi dire : « je suis différent de toi, gadjo ! ». Sédentarisés, les modes opératoires de lexpression culturelle sont maintenus. Dans cet espace sorganise la vie du voyage, la culture tsigane même si elle ne voyage plus, existe toujours. Sur une aire de stationnement précaire, la frontière sétablit par la mise en place despace vital familial, passé le dernier cercle, de la famille en limite du groupe, on entre dans la frontière, pénétrant dans un autre monde, pas besoin de papier : lapparence physique, le comportement dénonce lidentité. De ce constat, un groupe peut sinstaller nimporte où, à condition davoir à proximité un point deau courante, une borne dincendie ! Il suffit de sarrêter, de sagglomérer, en respectant les cercles vitaux ; largument fédérateur, en cas de doute, est dappartenir à la « Nation ». Un croisement dautoroute, un parking de supermarché, une pelouse de cité urbaine, tout est supportable, tant que ceux au-delà de la frontière ne font que passer. Effectivement, ils passent, en regardant, jugeant peut-être, ils nauraient pas idée de sarrêter en terre étrangère, peur de lautre, peur de ce quon ne connaît pas. Passée la frontière, est mis en uvre un cérémonial séculaire, lentrée dans les strates vous expose à un interlocuteur, lultime rempart est souvent une femme, garante de la quiétude du cercle familial, elle vous jauge, vous juge, autorise laccès au cercle le plus proche du foyer familial, la caravane, sinon la sanction est un refus ferme et définitif. Sans appel !
Légiférer
Le politique légifère, selon Jacqueline Charlemagne, spécialiste de droit, la législation en matière de gens du voyage est plus souvent contrainte que droit. Le tsigane bénéficie davantages sociaux en tant que citoyen français, de droits spécifiques, peu dans la prise en compte du pur respect du mode de vie, plus dans la réglementation des déplacements, de lactivité économique. Résultat : des générations de jeunes, danciens voient, ont vu leur vie rythmée par lexpulsion du territoire de la commune, au titre de citoyen indésirable, de délinquant potentiel, despions probables avant la seconde guerre mondiale. Un jour, minquiétant auprès dun homme dâge respectable de sa passivité devant linjonction des gendarmes à quitter la commune, je reçus cette réponse tout empreinte de logique. Sous ce même costume uniformisé, lorsquil avait vingt ans, une femme, un enfant en bas âge, deux représentants de lordre lont emmené, emprisonné à Rennes, convoyé en Allemagne pour quatre années dinternement. Qui pouvait, au moment de notre conversation, lui garantir que ces mêmes représentants ne seraient pas capables dagir de manière identique, sans plus dexplication.
Le politique a saisi limportance de la problématique tsigane, après rapports parlementaires, consultations dinstances sociales, constats déchec devant des expériences malheureuses dans différentes villes, cette communauté, si on ne veut pas la voir, fait tout de même parler delle. Le taux de natalité est supérieur à celui de la population sédentaire, 51% de la population tsigane à moins de 18 ans, la source de léconomie traditionnelle se tarit, alors une loi récente intitulée Loi Besson, peut devenir une aubaine politique. Il sera politiquement moins difficile dexpliquer que lEtat, dans un intérêt dordre public, oblige à la réalisation daires daccueil. En construisant une aire adéquate, tout stationnement sur lensemble de la commune tombe sous le coup de lexpulsion immédiate.
Gérer
Ce serait réducteur que de considérer les gens du voyage comme un simple phénomène à gérer, une entité que lon place ici, insérée dans une couche sociale, à gérer ! Gens du voyage, voyageurs, tsiganes, manouches, roms et gitans, tous ces termes nont pas pour seul point commun le mode de vie. Si les trois premiers définissent une ethnie, les trois suivants sont chacun un groupe ethnique propre. Des roms séjourneront très rarement avec des manouches, le premier exerce un type dexpression, de hiérarchie, dunion de raison, lautre cantonne son activité culturelle à la famille, acceptant de sagglomérer temporairement avec dautres familles. De nouveaux membres de lethnie rom préfèrent la discrétion, sinstallent avec bonheur dans un système de liberté, choisissent la migration à travers les pays européens, ce sont les ressortissants des anciens pays satellites de lURSS. Des manouches choisiront peu la compagnie de Gitans. Ces derniers ont plutôt un mode de vie sédentaire, ce nest pas génétique mais le résultat dune politique ancestrale espagnole. Le procureur du Roi, en 1539, devant laffluence de gitans nomades, obligea tous les membres de la communauté à cette époque, sous peine dêtre condamné à 6 ans de galère, à la sédentarisation. Ces différences existent, elles sont ancrées dans les ethnies, il y a des exceptions bien sûr, mais elles se fondent sur des concessions que lon ne peut imposer. Il résulte que pour penser gérer, il faut simprégner de ces expressions culturelles. Ne pas prendre en compte ces différences, serait une hérésie entraînant certainement la loi à léchec. La société tsigane est constituée comme la nôtre, avec ses couches, ses strates établies selon un pouvoir dachat, une richesse ; du fait de lanarchie régnante en matière daccueil, la pauvreté côtoie la richesse exubérante. La perte de valeurs, effet ou cause dun déclin, ne peut pas faire affront à la mise en exergue de ces mêmes valeurs exprimées au sein dune autre famille, sans quà un moment il y ait conflit. Enfin devant la contrainte de ne pouvoir stationner où lon désire, certains tsiganes ont dû ou ont pu faire lacquisition de terrains dits familiaux. Ainsi les gens du voyage se sédentarisent par nécessité, fatigués de se faire expulser, ils peuvent reproduire le foyer familial beaucoup plus élargi quon ne le conçoit dans notre société sédentaire. Un terrain familial est un appui culturel, un moyen dapaisement, un cercle favorable. Mais le code de lurbanisme supporte mal les libertés prises par les propriétaires de terrains familiaux. Sa refonte au mois de juin 2001 devrait prendre en compte certains articles de la Loi Besson, et donc se mettre en conformité !
La plus grande minorité oubliée
Des siècles de nomadisme, contraints à certains moments, sur des territoires ont obligé ou permis aux tsiganes de maintenir leur expression culturelle comme un moyen revendicatif. Lorsque lon jette un regard, ils semblent lointains, inaccessibles, tant ils marquent une méfiance, difficilement assimilables car notre esprit cartésien, mû par le désir de comprendre, na pas cours au sein de la communauté. Cest une ethnie, ils la revendiquent, pas en ces termes, mais en faisant référence au sang, comme par défiance, une légitimité. Veulent-ils une intégration ? Sûrement pas pour le moment, la méfiance est de rigueur, discourir sur les gens du voyage est trop récent pour abattre des générations de blâmes et de rejets. Donc ils ne communiquent pas avec lextérieur, ils écoutent, dès que la promesse nest pas suivie deffets, elle devient argument du non respect dune valeur chère aux tsiganes, le respect de la parole. Cest donc antinomique avec le discours politique, et sa noble science. Günter Walraff, lors dune communication devant le Parlement Européen, au début de cette année, attirait lattention de lassemblée sur la situation de la plus grande minorité européenne, les tsiganes. Ils sont, selon ses sources, quelque 13 millions dindividus au sein de la communauté européenne, en marge, délaissés par les différentes instances, pour solde de tout compte une forme de liberté, le délaissement. lEurope est très diversifiée dans la gestion de la communauté tsigane, un pays peut-être favorisant, alors quà la frontière suivante cest linverse, alors par pragmatisme les tsiganes migrent vers des pays accueillants. La rumeur court très vite au sein de cette ethnie, la parole est le vecteur, elle transporte linformation bonne ou mauvaise, telle ville est bonne, tel pays est mauvais, telle instance est dangereuse. La sphère tsigane communique beaucoup de lintérieur, cest une nécessité, même un comportement culturel et social. Cette sphère, delle-même, maintient la frontière, avec le monde sédentaire, très opaque, le besoin de maintenir avec lAutre une méconnaissance, dans lintention de ne pas inciter à la rencontre. Certes nombre de tsiganes peuvent témoigner connaître des bons sédentaires, bons parce quils furent utiles, bons employeurs, ou simplement gentils, mais globalement les relations avec les sédentaires restent distantes. A tel point que ces deux sphères ont produit un mode de relations, seulement deux ponts enjambent cette frontière, lobservation est personnelle, sa démonstration tout autant. Le premier pont est celui de la demande, la chine pour les manouches, roms ou gitans, on chine pour travailler, pour obtenir ses droits sociaux, des aides financières, la persuasion est un élément primordial, elle doit nécessairement aboutir. Inversement à lintérieur de la communauté, on demande, on donne avec plaisir, preuve du lien familial ou affectif qui unit lun à lautre. Lautre pont est conflictuel, rejet, expulsion, crimes et délits dont les auteurs peuvent être des tsiganes. On pourrait penser que le mariage est un trait dunion entre les deux communautés : faux, car lun des membres du couple doit faire un choix, assez souvent au profit des tsiganes. Ce type dacceptation est mieux perçu. Ou alors, le tsigane fait le deuil de sa culture, au profit dune culture, une, générale et indivisible, celle des sédentaires, mais on ne peut que très rarement rester entre ces deux mondes.
Une nouvelle ère
Après des siècles répressifs, puis des décennies régies par des textes contraignants, le législateur a innové en 1990 en votant la loi Besson, première version ! Cette loi imposait aux communes de plus de 5 000 habitants à séquiper dune aire daccueil pour les gens du voyage, mais cette mouture devint caduque, car en 1995 un amendement intitulé amendement Delevoye a rendu le caractère obligatoire sans effet. Les instances locales navaient plus dobligation, de fait les tsiganes non plus. Cette loi a une seconde version, celle-ci plus attrayante, car lEtat investit dans la création des aires daccueil, jusquà hauteur de 70% du coût, le caractère obligatoire est amplifié, après acceptation dun schéma départemental ; le préfet pourra inscrire doffice, dans les comptes de la commune, la dépense nécessaire à la réalisation dune aire daccueil. Sur le fond le texte de loi, son décret dapplication du mois de juillet 2000, énonce le principe. La loi Besson les concernant directement est citée lors des expulsions, les tsiganes commencent à sexprimer. Actuellement ils affirment être las des devoirs quon leur impose, quils doivent respecter ; cest infantilisant ce comportement à leur encontre, ils revendiquent une nouvelle condition, celle davoir des droits, donc dêtre adultes. Un schéma départemental est une contrainte. Finies les aires fictives, sur danciennes décharges réhabilitées, derrière le cimetière, en zone inondable, en bordure de grands axes routiers, surtout sans concertation préalable avec des organisations représentatives. Qui va revendiquer chez les gens du voyage ? Sûrement pas un « gadjo ». Des associations évangélistes ou catholiques ? Mais là, les représentants prêchent pour leur paroisse. Des gens du voyage eux-mêmes ? La communauté na pas encore le sens organisationnel, culturellement la parole dun homme nest jamais globalisante. Chez les manouches, il exprime son point de vue, peut engager sa famille très élargie, mais rarement un groupe au sein duquel il serait le représentant ; les roms règlent leurs problèmes, un conflit est laissé à lappréciation dune kris, réunion danciens qui disent le droit, ils établissent les torts et prononcent une sentence, appliquée sous peine dexclusion de la cumpania. Les gitans ont le même comportement que les manouches, mais ils laisseront facilement lun deux parler. Trouver la courroie de transmission de la communication des gens du voyage est difficile, létablissement dun dialogue incitera peut-être les deux communautés à percevoir lautre, tenter de se comprendre. Si lon prend comme point de départ la Loi Besson, elle a pour intitulé laccueil et lhabitat des gens du voyage, les politiques y voient seulement laccueil, les gens du voyage lenvisagent sous sa forme de lhabitat ; lavantage de structures établies peut amener à la résorption de conflits.
Nous progressons au 21e siècle vers une phase de concertation avec les tsiganes, bien ! Il est temps, ils sont en France depuis six siècles. Les tsiganes ont des qualités dadaptabilité étonnantes, naturelles, ils jugeront. Si des mesures locales ne leur conviennent pas, sils en ont les moyens, ils formeront leur convoi de caravanes en direction de lun des points cardinaux, plus aisément le Sud, la difficulté est peut-être plus supportable quand il fait beau. Six siècles ainsi ; nous, sédentaires, accordons leur une devise latine Fluctuat nec mergitur.