Sortie du DVD de Notre Monde
Notre Monde Notre Monde (2013, 119') un film de Thomas LacosteRassemblant plus de 35 intervenants, philosophes, sociologues, économistes, magistrats, médecins, universitaires et écrivains, Notre Monde propose un espace dexpression pour travailler, comme nous y enjoint JeanLuc Nancy à « une pensée commune ». Plus encore quun libre espace de parole, Notre Monde sappuie sur un ensemble foisonnant de propositions concrètes pour agir comme un rappel essentiel, individuel et collectif : « faites de la politique » et de préférence autrement.
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© Passant n°35 [juin 2001 - août 2001]
© Passant n°35 [juin 2001 - août 2001]
par Eric Bonneau
Imprimer l'article« La Sale Guerre »
Entretien avec Habib Souaïdia*
Habib Souaïdia vit aujourdhui à Paris avec un statut dexilé politique. Le soldat est devenu écrivain. Son livre, La Sale Guerre écrit avec un collaborateur, a déjà été vendu à 80 000 exemplaires. Il va être traduit dans de nombreuses langues dont larabe. Si plusieurs ex-officiers de larmée algérienne ont témoigné de cette « sale guerre », notamment ceux du MAOL, le mouvement des officiers algériens libres basé à Madrid et très actif sur le web, Habib Souaïdia, jeune homme de 32 ans, est le tout premier à le faire à visage découvert2.
Le Passant Ordinaire : Pourquoi vous êtes-vous engagé dans larmée ?
Habib Souaïdia: Je suis né dans un milieu populaire à Tebessa, à 700 km dAlger dans les Aurès, au cur de lAlgérie profonde. Ma mère, mes grands parents, mes oncles ont souffert de la guerre, certains ont même été abattus par larmée française. Jai été élevé dans cet esprit. Je savais quil fallait donner pour lAlgérie et non prendre. Jai lesprit patriotique à tel point que jai voulu appartenir à cette armée qui était la seule institution qui défend notre pays. On a eu une révolution et lArmée de Libération Populaire, devenue lArmée Nationale Populaire symbolisait cette révolution. Il y a tant dAlgériens qui se sont sacrifiés pour la cause de lAlgérie libre ! Mais je suis pour une armée dévouée au peuple, pas à des généraux ou à un clan.
Quest ce qui a fait basculer larmée, en tout cas ses responsables dans cette « sale guerre » ? Pouvez-vous nous décrire le processus qui commence avec la victoire des islamistes aux élections locales de juin 1990 et quelle fut cette stratégie de la tension ?
Pour les généraux, larmée est leur propriété privée, ce sont eux qui décident de lengager quand ils le veulent et de la retirer quand ils le décident. Toute lAlgérie leur appartient, pas seulement lANP. Tout ce qui bouge sur la terre et sous le sol leur appartient. Aucun Algérien nest libre de dire ce quil veut. A lépoque, après les événements de 1988, alors que Chadli était président, ils ont été obligés de mettre en place le processus électoral, stoppé après la victoire du FIS au premier tour. Les militaires auraient dû quitter la scène politique. Personne na demandé à larmée dintervenir, les généraux ont voulu écarter les islamistes en disant « ce sont des monstres ». Mais, si un autre parti avait gagné les élections, le FFS, les kabyles ou les communistes, etc., cela aurait été la même chose. Ces généraux sont les ennemis de tout le monde, pour eux la seule stratégie, cest de rester au pouvoir, dexploiter le pétrole et le gaz, dexploiter le peuple algérien Pour eux la guerre doit se poursuivre jusquau moment où ils contrôleront tout, les investissements, la finance et leur sécurité. Ils se retireront alors, mais actuellement ils nen sont pas là. Ils ne peuvent laisser le pouvoir, il faut donc que la guerre continue, car si la paix revient en Algérie, on leur demandera des comptes.
Dans la pratique, comment les militaires ont-ils organisé leur pouvoir depuis ces dix années ?
Ça commence avec la démission du président Chadli. Les généraux créent le Haut Comité dEtat dirigé par le président Boudiaf qui a accepté finalement de marcher avec eux. Mais quand il a vu cette cassure entre le peuple et le pouvoir, et découvert cette mafia, il a tout dénoncé. Il est devenu dangereux et ils lont donc exécuté. Ensuite, ils ont fait arrêter les responsables du FIS, ce qui a livré la base à elle-même. Ils ont infiltré des gens des services secrets parmi ces groupes armés. En 92, ils ont procédé comme larmée française, des forces délite de lANP ont été engagées dans la lutte antisubversive. Le centre de commandement de la lutte antisubversive était dirigé à lépoque par un général qui nétait pas encore le général Samari. Mais on savait que cétait lui lhomme puissant, et non le ministre de la défense. Ils lui ont donné les unités des forces spéciales. Leur rôle était déliminer, soi-disant, les terroristes mais cest une stratégie de répression quils ont élaborée. Ils ont utilisé ces unités car ils savaient très bien quelles étaient capables de massacrer, de tuer, de violer Des unités bien contrôlées ! Ils ont donc commencé cette stratégie de guérilla et ont mené la guerre contre tout le peuple algérien, pas seulement contre des hommes armés. À chaque fois quil y a un attentat, on arrête entre 50 et 100 jeunes qui subissent la torture, les insultes. Beaucoup de gens sont arrêtés pour rien, cest la stratégie de la tension. LANP fabrique des terroristes et cette répression a nourri le terrorisme pendant ces dix années. Personne nosait parler Sauf à prendre les armes et aller dans lautre camp.
Vous citez un général qui dans votre école dit « exterminez-les, exterminez-les tous, pas
seulement les terroristes mais tous les
islamistes ».
Cela veut dire 3 millions délecteurs. Pour eux, un islamiste et un terroriste, cest la même chose. Mais moi, je dis non. Il y a des islamistes qui sont pour la cause islamiste mais qui nont pas pris les armes, on na pas à les abattre comme des chiens. Il y a des islamistes terroristes qui ont pris les armes et ces gens-là, ils faut les combattre par les armes et par la justice. Pour les généraux, tous ceux qui portent une barbe, toutes les femmes qui portent le voile sont des terroristes. Si je dois combattre 10 000, 20 000, 100 000 terroristes, pas de problème mais combattre trois ou quatre millions dAlgériens, cest inacceptable !
Vous affirmez que larmée à très facilement les moyens de réduire rapidement le terrorisme ?
Cela fait dix ans quon combat le terrorisme. En 1992, sil y avait eu des massacres comme à Bentalha3, on aurait pu comprendre car larmée navait pas dexpérience mais en 1997, cest impossible. Des terroristes qui arrivent et qui tuent pendant quatre à cinq heures dans un village et larmée qui est là, à 200 mètres, et qui ne peut pas intervenir, ça je ne peux pas le comprendre. À ceux qui disent « oui, mais les routes étaient piégées », je réponds quon avait des hélicoptères. Porter des hommes, cest classique et efficace. On avait des hélicoptères de type Ecureuil que Charles Pasqua a vendu aux Algériens comme hélicoptères civils. Je considère que certains Français sont responsables de ce qui se passe en Algérie. Moi, je les ai vus ces hélicoptères et jai eu des témoignages affirmant que ces Ecureuils, dotés dappareil de vision nocturne ont servi pour des bombardements. Avec ce matériel, il est possible de détecter un chat sous un arbre. Or un hélicoptère a tourné au-dessus de Bentalha, filmé et transmis limage directement au commandement et personne nest intervenu ! On ne peut laisser massacrer le peuple par des terroristes manipulés. Il faut les poursuivre pour complicité de crime contre lhumanité.
Ceux qui ont essayé de trouver des solutions pacifiques ont été écartés ou assassinés, quils soient politiciens comme le président Zeroual qui a démissionné en 1998, militaires comme Saidi Fodhil « victime » dun pneu crevé dans sa voiture blindée ou bien chefs islamistes modérés comme Hachami, exécuté en 1999. Chaque fois quil y a une petite lumière, on sarrange pour quelle séteigne
Les généraux, Lamari et les autres ont trahi la révolution ?
Ils ont même trahi les Français qui ont aidé la révolution algérienne. Cest pour ça que la plupart des « porteurs de valise » ne peuvent pas accepter cela. Ils disent que ce nest pas vrai. Mais même eux ont été trahis. Par qui ? Par les déserteurs de larmée française, qui trente ans après, ont repris les méthodes des Français. Et ce nest pas pour rien que mon livre fait autant de bruit en France
Habib Souaïdia
Propos recueillis par Eric Bonneau et Jean-François Meekel
* Ex-lieutenant des services spéciaux algériens.
(1) Il demande cependant au gouvernement algérien douvrir ses frontières à des commissions denquête internationales « propres à établir la vérité et à rétablir son honneur ».
(2) La Sale Guerre dHabib Souaïdia, éditions La Découverte, 2001, 95 FF.
(3) Dans la nuit du 22 septembre 1997, à Bentalha, lointaine banlieue dAlger, plus de 400 personnes furent massacrées, a priori par des terroristes islamistes. Larmée, présente en force à quelques dizaines de mètres nest pas intervenue. Nesroulah Yous, rescapé du massacre vient de raconter cette nuit dhorreur dans un livre publié à La Découverte Qui a tué à Bentalha ? Algérie. Chronique dun massacre annoncé.
(2) La Sale Guerre dHabib Souaïdia, éditions La Découverte, 2001, 95 FF.
(3) Dans la nuit du 22 septembre 1997, à Bentalha, lointaine banlieue dAlger, plus de 400 personnes furent massacrées, a priori par des terroristes islamistes. Larmée, présente en force à quelques dizaines de mètres nest pas intervenue. Nesroulah Yous, rescapé du massacre vient de raconter cette nuit dhorreur dans un livre publié à La Découverte Qui a tué à Bentalha ? Algérie. Chronique dun massacre annoncé.