Sortie du DVD de Notre Monde
Notre Monde Notre Monde (2013, 119') un film de Thomas LacosteRassemblant plus de 35 intervenants, philosophes, sociologues, économistes, magistrats, médecins, universitaires et écrivains, Notre Monde propose un espace dexpression pour travailler, comme nous y enjoint JeanLuc Nancy à « une pensée commune ». Plus encore quun libre espace de parole, Notre Monde sappuie sur un ensemble foisonnant de propositions concrètes pour agir comme un rappel essentiel, individuel et collectif : « faites de la politique » et de préférence autrement.
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© Passant n°35 [juin 2001 - août 2001]
© Passant n°35 [juin 2001 - août 2001]
par Hervé Le Corre
Imprimer l'articleNotes intempestives
Combien de divisions ?
Avec les licenciements massifs opérés chez Lu, Marks & Spencer, Moulinex, Valeo et AOM-Air Liberté, et Bata, entre autres, la dictature des actionnaires continue de sexercer et de ravager des vies. Alors quon nous parle depuis des mois damélioration de la situation économique1, sur quoi Jospin aimerait bien surfer pour se faire élire président, ça fait désordre. Après la défaite aux municipales, on peut même dire que ça sent un peu le roussi. De plus, les salariés virés se battent, et la colère se substitue à la morne fatalité qui accompagnait bien souvent les charrettes de licenciements des années 80-90, tant le discours libéral imprégnait les consciences. Le 9 juin, manif nationale à Paris autour des travailleurs foutus dehors. 20 000 personnes, à peu près, bilan mitigé : ce nest pas ridicule, mais ça ne constitue pas la grosse mobilisation espérée. Question : quand tu ne veux pas, ou ne peux pas prendre le train pour aller marcher sur les grands boulevards, comment tu fais ? Eh bien tu fais pas. Les organisations appelant à manifester cherchent à tout prix à atteindre des scores faramineux pour coller le gouvernement et le Medef au mur. Pour que ça marque dans les media, obligés den parler. Les dernières grosses manifestations (en 1995, mais aussi en janvier 2001) ont eu lieu partout en France, dans des villes grandes et petites. Leur résultat cumulé était imposant, et sur les retraites, par exemple, une sorte de moratoire a été arraché. Là, PC et extrême-gauche se tirent la bourre. Pas grand-chose à voir avec le mouvement social, qui mérite mieux que cette course descargots.
Tu votes quoi au deuxième tour ?
Cette question, je sens quon na pas fini de (se) la poser et de lentendre. Because, et pas seulement chez les gauchos, on sinterroge à juste titre : à quoi sert-il dapporter à des socialistes (le plus souvent) les voix de la radicalité ou de la simple justice sociale, quand on sait par avance quelles seront trahies quelques mois plus tard ? Hein ? Cest la question qui tue, pas vrai, les rose-bonbon ? Parce quil est une évidence : le PS incarne aujourdhui le stade non pas ultime, mais le plus sophistiqué à ce jour, de la pensée libérale capitaliste. Très cool à loccasion sur certaines questions de société, il tient dune main ferme un cap orthodoxe en matière de doctrine économique. Une pincée décologie, un nuage de social (le moins possible), vu quon est dans le pays des révolutions, Commune, Front Popu et tout ça, une grosse dose de laissez faire, laissez passer, et le tour est joué. On est dans laxe Messier-Jospin, en gros : lun sourit, lautre pas, de sorte que le PDG de Vivendi-Universal parvient à sembler plus « humain » que le premier ministre socialo. Mais cest la même eau de boudin froid qui irrigue leurs cervelles.
Quand on sait que la droite na, par conséquent, plus rien à dire ou à proposer en dehors de ses combats de chefs, et que la seule alternative quelle présente est de faire la même chose que la « gauche » plurielle mais plus vite et plus fort, et encore en serait-elle sans doute, peut-être2, empêchée par de puissants mouvements sociaux, ce qui donc revient au même, en effet, pourquoi on irait semmerder à voter PS pour le regretter pendant cinq ans et entendre tous ces bavards continuer de brouiller davantage les cartes en se réclamant dun camp - la gauche - qui nest pas le leur ?
Le débat est ouvert, comme on dit. Mais à force de mener le bon peuple en bateau, faut pas sétonner dune mutinerie ou dun méchant récif qui vous transforme la coque en collection de bûchettes.
Suspense
Le PCF serait-il dirigé par une tendance Hitchcock ? Depuis deux ans, on nous tient en haleine avec un scénario écrit par des maîtres de lambiguïté et de la fausse piste, voire du double langage, et interprété par des comédiens transformistes, capables dendosser toutes les défroques dans une même scène et cachant sous leur manteau dArlequin des tourments auprès desquels la psychose de Norman Bates passe pour un (méchant) rhume de cerveau. Un film écrit par un Sir Alfred en grande forme et monté par un Robbe-Grillet qui aurait visité tous les stands gastronomiques de la fête de lHuma. On ny comprend rien, mais comme on se demande si le héros va sen sortir3, on regarde quand même. Et puis ça commence à faire chier un peu, le gus prend des pains, KO debout, ça traîne en longueur, alors les scénaristes, voyant laudimat ou le box-office seffondrer, ont concocté un rebondissement de dernière heure : va-t-on voter la loi dite de « modernisation sociale »4 ? va-t-on, du coup, rester ou non dans la majorité, ou même au gouvernement ? Arghhh ! On est tout près du passage à lacte, lacier luit du couteau qui va trancher ces liens sordides. Et puis, rien ! On se remet à discuter en petits comités, on prend ensemble le petit déj, Elisabeth Guigou a cette redoutable blondeur qui plaisait tant au gros Hitch. La grande scène finale, celle qui vous colle à votre fauteuil est en place. Mais comme le vieux maître est mort, on est sûr, quel que sera le dénouement, que ce ne sera pas un chef-duvre. Final cut : les députés communistes se sont couchés. Les syndicats ne voient pas bien lavancée que constituerait cette « nouvelle » loi. Les intersyndicales ricanent. Encore un effort, camarades. Cest pas Arlette qui va vous passer devant, cest vous qui êtes dans le fossé, pendant que le petit vélo gauchiste fait sa pointe de vitesse en descente. On est en pleine série Z...
Ciao, Bella, ciao !
LItalie nous propose en ce moment un nouveau modèle socio-politique : une dictature à la fois médiatique, ultralibérale, xénophobe, raciste, mafieuse, et jen passe. Jusque là le modèle américain suffisait à faire frémir : un président stupide aux mains des grands groupes industriels et financiers, porteur dune idéologie ultra-conservatrice, adepte de la loi de la jungle, fan de la chaise électrique et de linjection létale, bien décidé à couvrir la planète de la merde produite par lactivité juteuse (hein, que ce mot est sale, dans ce contexte ?) des world companies. Avec des networks aux ordres, évidemment. Les Italiens, qui sont, sur le plan historique, à peu près le contraire des Américains, sont allés par leur vote droit au but : comme si, dans un pays plus petit, il fallait un condensé ; ils ont porté au pouvoir la même engeance politique, doublée dun patron de media qui nont même plus le souci dêtre à la botte, puisquils sont déjà dedans... On noublie pas, bien sûr, lalliance de Berlusconi avec le facho Umberto Bossi, et avec Gianfranco Fini, qui a relooké le MSI, parti authentiquement (historiquement) fasciste, en dégueulasse machine électorale.
LItalie de Garibaldi et Gramsci, des conseils ouvriers, des partisans antifascistes, de Beppe Fenoglio, de Vittorini, de Primo Levi, de Sciascia, de Tabucchi, et puis de Rosselini, Rossi, Visconti, de Sica, Fellini, Scola, Moretti, ce pays admirable où lon peut se sentir toujours chez soi sans jamais oublier quon est ailleurs, du Sud au Nord, de Reggio à Padoue en passant par Naples, où lon fait cuire le veau à lhuile dolive, où les larmes du Christ se boivent, ce putain de pays dont Louis Althusser fut amoureux comme un gamin, merde, merde, lItalie a voté pour la Bête, Hydre et Gorgone, Harpie et Méduse.
Oui, dira-t-on pour doucher mon lyrisme, mais il y a eu Mussolini, les chemises noires, la république de Saló. Alors... ?
Alors rien. Il y juste des moments où lon a envie de sourire et daimer, malgré la tristesse.
Tu votes quoi au deuxième tour ?
Cette question, je sens quon na pas fini de (se) la poser et de lentendre. Because, et pas seulement chez les gauchos, on sinterroge à juste titre : à quoi sert-il dapporter à des socialistes (le plus souvent) les voix de la radicalité ou de la simple justice sociale, quand on sait par avance quelles seront trahies quelques mois plus tard ? Hein ? Cest la question qui tue, pas vrai, les rose-bonbon ? Parce quil est une évidence : le PS incarne aujourdhui le stade non pas ultime, mais le plus sophistiqué à ce jour, de la pensée libérale capitaliste. Très cool à loccasion sur certaines questions de société, il tient dune main ferme un cap orthodoxe en matière de doctrine économique. Une pincée décologie, un nuage de social (le moins possible), vu quon est dans le pays des révolutions, Commune, Front Popu et tout ça, une grosse dose de laissez faire, laissez passer, et le tour est joué. On est dans laxe Messier-Jospin, en gros : lun sourit, lautre pas, de sorte que le PDG de Vivendi-Universal parvient à sembler plus « humain » que le premier ministre socialo. Mais cest la même eau de boudin froid qui irrigue leurs cervelles.
Quand on sait que la droite na, par conséquent, plus rien à dire ou à proposer en dehors de ses combats de chefs, et que la seule alternative quelle présente est de faire la même chose que la « gauche » plurielle mais plus vite et plus fort, et encore en serait-elle sans doute, peut-être2, empêchée par de puissants mouvements sociaux, ce qui donc revient au même, en effet, pourquoi on irait semmerder à voter PS pour le regretter pendant cinq ans et entendre tous ces bavards continuer de brouiller davantage les cartes en se réclamant dun camp - la gauche - qui nest pas le leur ?
Le débat est ouvert, comme on dit. Mais à force de mener le bon peuple en bateau, faut pas sétonner dune mutinerie ou dun méchant récif qui vous transforme la coque en collection de bûchettes.
Suspense
Le PCF serait-il dirigé par une tendance Hitchcock ? Depuis deux ans, on nous tient en haleine avec un scénario écrit par des maîtres de lambiguïté et de la fausse piste, voire du double langage, et interprété par des comédiens transformistes, capables dendosser toutes les défroques dans une même scène et cachant sous leur manteau dArlequin des tourments auprès desquels la psychose de Norman Bates passe pour un (méchant) rhume de cerveau. Un film écrit par un Sir Alfred en grande forme et monté par un Robbe-Grillet qui aurait visité tous les stands gastronomiques de la fête de lHuma. On ny comprend rien, mais comme on se demande si le héros va sen sortir3, on regarde quand même. Et puis ça commence à faire chier un peu, le gus prend des pains, KO debout, ça traîne en longueur, alors les scénaristes, voyant laudimat ou le box-office seffondrer, ont concocté un rebondissement de dernière heure : va-t-on voter la loi dite de « modernisation sociale »4 ? va-t-on, du coup, rester ou non dans la majorité, ou même au gouvernement ? Arghhh ! On est tout près du passage à lacte, lacier luit du couteau qui va trancher ces liens sordides. Et puis, rien ! On se remet à discuter en petits comités, on prend ensemble le petit déj, Elisabeth Guigou a cette redoutable blondeur qui plaisait tant au gros Hitch. La grande scène finale, celle qui vous colle à votre fauteuil est en place. Mais comme le vieux maître est mort, on est sûr, quel que sera le dénouement, que ce ne sera pas un chef-duvre. Final cut : les députés communistes se sont couchés. Les syndicats ne voient pas bien lavancée que constituerait cette « nouvelle » loi. Les intersyndicales ricanent. Encore un effort, camarades. Cest pas Arlette qui va vous passer devant, cest vous qui êtes dans le fossé, pendant que le petit vélo gauchiste fait sa pointe de vitesse en descente. On est en pleine série Z...
Ciao, Bella, ciao !
LItalie nous propose en ce moment un nouveau modèle socio-politique : une dictature à la fois médiatique, ultralibérale, xénophobe, raciste, mafieuse, et jen passe. Jusque là le modèle américain suffisait à faire frémir : un président stupide aux mains des grands groupes industriels et financiers, porteur dune idéologie ultra-conservatrice, adepte de la loi de la jungle, fan de la chaise électrique et de linjection létale, bien décidé à couvrir la planète de la merde produite par lactivité juteuse (hein, que ce mot est sale, dans ce contexte ?) des world companies. Avec des networks aux ordres, évidemment. Les Italiens, qui sont, sur le plan historique, à peu près le contraire des Américains, sont allés par leur vote droit au but : comme si, dans un pays plus petit, il fallait un condensé ; ils ont porté au pouvoir la même engeance politique, doublée dun patron de media qui nont même plus le souci dêtre à la botte, puisquils sont déjà dedans... On noublie pas, bien sûr, lalliance de Berlusconi avec le facho Umberto Bossi, et avec Gianfranco Fini, qui a relooké le MSI, parti authentiquement (historiquement) fasciste, en dégueulasse machine électorale.
LItalie de Garibaldi et Gramsci, des conseils ouvriers, des partisans antifascistes, de Beppe Fenoglio, de Vittorini, de Primo Levi, de Sciascia, de Tabucchi, et puis de Rosselini, Rossi, Visconti, de Sica, Fellini, Scola, Moretti, ce pays admirable où lon peut se sentir toujours chez soi sans jamais oublier quon est ailleurs, du Sud au Nord, de Reggio à Padoue en passant par Naples, où lon fait cuire le veau à lhuile dolive, où les larmes du Christ se boivent, ce putain de pays dont Louis Althusser fut amoureux comme un gamin, merde, merde, lItalie a voté pour la Bête, Hydre et Gorgone, Harpie et Méduse.
Oui, dira-t-on pour doucher mon lyrisme, mais il y a eu Mussolini, les chemises noires, la république de Saló. Alors... ?
Alors rien. Il y juste des moments où lon a envie de sourire et daimer, malgré la tristesse.
(1) On nous avertit tout de même dun ralentissement éventuel de lactivité, amorcé aux Etats-Unis, au cas où il faudrait expliquer un coup de blues économique et social. Gouverner, cest prévoir, parfois...
(2) Peut-être, cest pas sûrement, malgré le calcul que semblent faire certains, du genre : au moins, avec la vraie droite au pouvoir, on fait de belles manifs, on a un adversaire fastoche à cibler. Calcul douteux, ou désespéré ?
(3) Le nombre de victimes potentielles est important, ça ajoute du piment : Robert Hue, lHumanité, le PCF lui-même, sont sous le couperet. Damned !
(4) Votée il y a quelques mois, sans rechigner, avec un contenu bien plus rétrograde, par les Verts et le PC.
Rectificatif : à propos des Mitterrand, il fallait lire dans les Notes... du numéro 34 du PO, Jean-Christophe à la place de Gilbert. Tout le monde avait compris, mais cest mieux de le dire.
(2) Peut-être, cest pas sûrement, malgré le calcul que semblent faire certains, du genre : au moins, avec la vraie droite au pouvoir, on fait de belles manifs, on a un adversaire fastoche à cibler. Calcul douteux, ou désespéré ?
(3) Le nombre de victimes potentielles est important, ça ajoute du piment : Robert Hue, lHumanité, le PCF lui-même, sont sous le couperet. Damned !
(4) Votée il y a quelques mois, sans rechigner, avec un contenu bien plus rétrograde, par les Verts et le PC.
Rectificatif : à propos des Mitterrand, il fallait lire dans les Notes... du numéro 34 du PO, Jean-Christophe à la place de Gilbert. Tout le monde avait compris, mais cest mieux de le dire.