Sortie du DVD de Notre Monde
Notre Monde Notre Monde (2013, 119') un film de Thomas LacosteRassemblant plus de 35 intervenants, philosophes, sociologues, économistes, magistrats, médecins, universitaires et écrivains, Notre Monde propose un espace dexpression pour travailler, comme nous y enjoint JeanLuc Nancy à « une pensée commune ». Plus encore quun libre espace de parole, Notre Monde sappuie sur un ensemble foisonnant de propositions concrètes pour agir comme un rappel essentiel, individuel et collectif : « faites de la politique » et de préférence autrement.
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© Passant n°33 [février 2001 - mars 2001]
© Passant n°33 [février 2001 - mars 2001]
par Bernard Friot
Imprimer l'articlePour supprimer le chômage, il faut payer les chômeurs
Payer les chômeurs, cest transformer des « sans emploi » en « salariés ». Et cest
infiniment plus sûr que de mettre les villes à la campagne !
Au recensement de 1962, 67 % des
personnes âgées de 20 à 60 ans avaient un emploi, soit moins quà celui de 1990, où elles étaient 70 %. Nous étions plus proches du plein emploi en pleine crise quau cur des (prétendues) trente glorieuses. Et si nous sommes si facilement convaincus du contraire, cest parce quen même temps que nous nous sommes rapprochés du plein emploi, le chômage a explosé. Comment expliquer un tel phénomène ?
Que nous soyons plus proches du plein emploi tel que nous lentendons aujourdhui, à savoir le pourcentage des 20-60 ans occupés (avant 20 ans, on est à lécole, et en retraite après 60), cest évident : cest clair dans les chiffres que je viens de donner, ça lest aussi dun point de vue qualitatif, car cest au cours des années soixante que le droit du travail en matière demploi sest construit. Les petits boulots sont moins nombreux et les emplois plus sûrs aujourdhui quil y a cinquante ans. Quand on parle du « plein emploi » des « trente glorieuses », on oublie toujours les femmes, alors largement exclues de lemploi. Et on oublie aussi les « vieux », comme on appelait à lépoque une bonne partie des retraités ouvriers ou employés, abonnés aux petits boulots au lendemain de leur entrée en retraite, car la pension représentait une misère dans ces catégories de travailleurs.
Pour comprendre que plein emploi et chômage ont grandi ensemble, il faut dabord comprendre pourquoi il ny a pas de chômeurs dans les années cinquante alors quil y a plus de sans-emploi quaujourdhui dans les 20-60 ans. Cela nest pas difficile : comment voulez-vous quil y ait des chômeurs tant que lUNEDIC et lANPE nexistent pas ? Sil ny a ni lieu où sinscrire comme demandeur demploi, ni indemnisation, le problème est réglé ! En tout cas par le vide : on déclarera un sans-emploi « femme », et chacun sait (à lépoque, et les temps ont changé, merci) quune femme est une femme, pas une demandeuse demploi. Ou on le déclarera « handicapé », « fou du village », que sais-je encore (limagination dans ce domaine est sans limite), et chacun sait quun handicapé est un handicapé, pas (voir plus haut). On se souvient de lacte militant qua été pour les femmes celui de sinscrire à lANPE et de revendiquer ainsi le droit dêtre demandeuses demploi.
Reprenons les dates : lUNEDIC est créée à la fin de 1958 mais lindemnisation ne sera réalité quaprès la création de lANPE en août 1967, et encore faudra-t-il le temps de rodage de linstitution. Nous ne sommes donc en situation de reconnaître les sans-emploi comme chômeurs quà la fin des années soixante. Et comment les a-t-on reconnus ? Par du salaire : la cotisation UNEDIC est un élément du salaire qui sert à payer les chômeurs. Les « sans emploi » ne sont des « chômeurs » que depuis quon les paye.
Objection du lecteur : javale ma salive et jadmets ton raisonnement, mais alors comment dans ces conditions peux-tu dire quon va supprimer le chômage en payant les chômeurs ?
Réponse : en passant dun salaire chichement mesuré à un vrai, bon et beau salaire qui fera des « sans emploi » non plus des « chômeurs » mais des salariés !
Car - et cest bien là tout le problème - la conquête du droit à être payé pour être demandeur demploi a fait des « sans emploi » des « chômeurs », ce qui est déjà mieux que des « femmes » ou des « handicapés » voués à leur féminité ou à leur handicap (ou aujourdhui des « jeunes » voués à leur jeunesse), mais elle nen a pas fait des salariés. Car le salaire touché est très éloigné du salaire dactivité, et trop brièvement perçu. Le maximum de remplacement a été atteint en 1974 avec le maintien du salaire pendant un an aux licenciés économiques, et dans certaines branches très sinistrées et très combatives comme la sidérurgie, des con-ventions ont également permis le maintien du salaire jusquà la retraite, mais tout cela fait plutôt figure dexception fugace.
Il faut toujours, pour bien comprendre, en revenir à la pension de retraite, qui est la plus grande conquête sociale du 20e siècle. De même que les « vieux » ont, fort heureusement, disparu depuis quon les paie (depuis que leur pension est proche de leur dernier salaire dactivité, les vieux ouvriers ne sont plus des « vieux », ce sont des salariés retraités), on fera disparaître les chômeurs en les payant. Au bonheur dêtre retraité répondra celui dêtre sûr de conserver son salaire quels que soient les aléas de la vie professionnelle.
Vous trouvez normal que quelquun qui perd son emploi perde son salaire ? Faisons un peu dhistoire à la serpe. Lidée de mesurer les ressources des individus au travail fourni est une idée récente, qui a joué un rôle positif dans le désengluement communautaire, clientéliste ou familial dindividus posés comme enfants de leurs uvres et non pas de leur origine sociale. Mais nous nen sommes plus à changer une sociétés dordres, de castes ou de clans. Nous en sommes à changer une société où une formidable accumulation financière tient en respect des travailleurs dont le travail subordonné est extrêmement productif. Les détenteurs de cette accumulation, qui sont les bénéficiaires directs de cette productivité, doivent payer les temps libérés du travail subordonné en versant des cotisations supplémentaires à lUNEDIC. Ce qui a été commencé avec les vieux doit être poursuivi avec les chômeurs. De même quune péréquation du salaire a transformé les vieux en salariés, une péréquation du salaire doit transformer les chômeurs en salariés. Ce qui suppose daugmenter les salaires, et donc les cotisations patronales.
Trois mots pour annoncer dautres épisodes de cette chronique qui proclame « le droit de salaire » :
Si on maintient leur salaire aux chômeurs comme aux retraités, qui va produire la valeur nécessaire ? Cette valeur est de toute façon produite. Le seul problème est quelle retourne aux individus sous forme de salaire, quils soient occupés, chômeurs ou retraités, sinon elle nourrit une inflation de la rente génératrice de crise.
Est-ce que tous les employeurs pourront supporter une augmentation des cotisations patronales ? Oui si lincroyable ponction de la rente se réduit et si les prix des PME captives de leur client ou de leur fournisseur sont augmentés.
Est-ce que le « droit demploi » nest pas aussi important que le « droit de salaire » ? Cest la question la plus difficile. On constate en tout cas que la « lutte pour lemploi » a fait fondre le salaire sans améliorer lemploi. Sagissant des chômeurs, le fait de commencer par maintenir leur salaire est un préalable à ce quils exercent le droit demploi.
infiniment plus sûr que de mettre les villes à la campagne !
Au recensement de 1962, 67 % des
personnes âgées de 20 à 60 ans avaient un emploi, soit moins quà celui de 1990, où elles étaient 70 %. Nous étions plus proches du plein emploi en pleine crise quau cur des (prétendues) trente glorieuses. Et si nous sommes si facilement convaincus du contraire, cest parce quen même temps que nous nous sommes rapprochés du plein emploi, le chômage a explosé. Comment expliquer un tel phénomène ?
Que nous soyons plus proches du plein emploi tel que nous lentendons aujourdhui, à savoir le pourcentage des 20-60 ans occupés (avant 20 ans, on est à lécole, et en retraite après 60), cest évident : cest clair dans les chiffres que je viens de donner, ça lest aussi dun point de vue qualitatif, car cest au cours des années soixante que le droit du travail en matière demploi sest construit. Les petits boulots sont moins nombreux et les emplois plus sûrs aujourdhui quil y a cinquante ans. Quand on parle du « plein emploi » des « trente glorieuses », on oublie toujours les femmes, alors largement exclues de lemploi. Et on oublie aussi les « vieux », comme on appelait à lépoque une bonne partie des retraités ouvriers ou employés, abonnés aux petits boulots au lendemain de leur entrée en retraite, car la pension représentait une misère dans ces catégories de travailleurs.
Pour comprendre que plein emploi et chômage ont grandi ensemble, il faut dabord comprendre pourquoi il ny a pas de chômeurs dans les années cinquante alors quil y a plus de sans-emploi quaujourdhui dans les 20-60 ans. Cela nest pas difficile : comment voulez-vous quil y ait des chômeurs tant que lUNEDIC et lANPE nexistent pas ? Sil ny a ni lieu où sinscrire comme demandeur demploi, ni indemnisation, le problème est réglé ! En tout cas par le vide : on déclarera un sans-emploi « femme », et chacun sait (à lépoque, et les temps ont changé, merci) quune femme est une femme, pas une demandeuse demploi. Ou on le déclarera « handicapé », « fou du village », que sais-je encore (limagination dans ce domaine est sans limite), et chacun sait quun handicapé est un handicapé, pas (voir plus haut). On se souvient de lacte militant qua été pour les femmes celui de sinscrire à lANPE et de revendiquer ainsi le droit dêtre demandeuses demploi.
Reprenons les dates : lUNEDIC est créée à la fin de 1958 mais lindemnisation ne sera réalité quaprès la création de lANPE en août 1967, et encore faudra-t-il le temps de rodage de linstitution. Nous ne sommes donc en situation de reconnaître les sans-emploi comme chômeurs quà la fin des années soixante. Et comment les a-t-on reconnus ? Par du salaire : la cotisation UNEDIC est un élément du salaire qui sert à payer les chômeurs. Les « sans emploi » ne sont des « chômeurs » que depuis quon les paye.
Objection du lecteur : javale ma salive et jadmets ton raisonnement, mais alors comment dans ces conditions peux-tu dire quon va supprimer le chômage en payant les chômeurs ?
Réponse : en passant dun salaire chichement mesuré à un vrai, bon et beau salaire qui fera des « sans emploi » non plus des « chômeurs » mais des salariés !
Car - et cest bien là tout le problème - la conquête du droit à être payé pour être demandeur demploi a fait des « sans emploi » des « chômeurs », ce qui est déjà mieux que des « femmes » ou des « handicapés » voués à leur féminité ou à leur handicap (ou aujourdhui des « jeunes » voués à leur jeunesse), mais elle nen a pas fait des salariés. Car le salaire touché est très éloigné du salaire dactivité, et trop brièvement perçu. Le maximum de remplacement a été atteint en 1974 avec le maintien du salaire pendant un an aux licenciés économiques, et dans certaines branches très sinistrées et très combatives comme la sidérurgie, des con-ventions ont également permis le maintien du salaire jusquà la retraite, mais tout cela fait plutôt figure dexception fugace.
Il faut toujours, pour bien comprendre, en revenir à la pension de retraite, qui est la plus grande conquête sociale du 20e siècle. De même que les « vieux » ont, fort heureusement, disparu depuis quon les paie (depuis que leur pension est proche de leur dernier salaire dactivité, les vieux ouvriers ne sont plus des « vieux », ce sont des salariés retraités), on fera disparaître les chômeurs en les payant. Au bonheur dêtre retraité répondra celui dêtre sûr de conserver son salaire quels que soient les aléas de la vie professionnelle.
Vous trouvez normal que quelquun qui perd son emploi perde son salaire ? Faisons un peu dhistoire à la serpe. Lidée de mesurer les ressources des individus au travail fourni est une idée récente, qui a joué un rôle positif dans le désengluement communautaire, clientéliste ou familial dindividus posés comme enfants de leurs uvres et non pas de leur origine sociale. Mais nous nen sommes plus à changer une sociétés dordres, de castes ou de clans. Nous en sommes à changer une société où une formidable accumulation financière tient en respect des travailleurs dont le travail subordonné est extrêmement productif. Les détenteurs de cette accumulation, qui sont les bénéficiaires directs de cette productivité, doivent payer les temps libérés du travail subordonné en versant des cotisations supplémentaires à lUNEDIC. Ce qui a été commencé avec les vieux doit être poursuivi avec les chômeurs. De même quune péréquation du salaire a transformé les vieux en salariés, une péréquation du salaire doit transformer les chômeurs en salariés. Ce qui suppose daugmenter les salaires, et donc les cotisations patronales.
Trois mots pour annoncer dautres épisodes de cette chronique qui proclame « le droit de salaire » :
Si on maintient leur salaire aux chômeurs comme aux retraités, qui va produire la valeur nécessaire ? Cette valeur est de toute façon produite. Le seul problème est quelle retourne aux individus sous forme de salaire, quils soient occupés, chômeurs ou retraités, sinon elle nourrit une inflation de la rente génératrice de crise.
Est-ce que tous les employeurs pourront supporter une augmentation des cotisations patronales ? Oui si lincroyable ponction de la rente se réduit et si les prix des PME captives de leur client ou de leur fournisseur sont augmentés.
Est-ce que le « droit demploi » nest pas aussi important que le « droit de salaire » ? Cest la question la plus difficile. On constate en tout cas que la « lutte pour lemploi » a fait fondre le salaire sans améliorer lemploi. Sagissant des chômeurs, le fait de commencer par maintenir leur salaire est un préalable à ce quils exercent le droit demploi.