Sortie du DVD de Notre Monde
Notre Monde Notre Monde (2013, 119') un film de Thomas LacosteRassemblant plus de 35 intervenants, philosophes, sociologues, économistes, magistrats, médecins, universitaires et écrivains, Notre Monde propose un espace dexpression pour travailler, comme nous y enjoint JeanLuc Nancy à « une pensée commune ». Plus encore quun libre espace de parole, Notre Monde sappuie sur un ensemble foisonnant de propositions concrètes pour agir comme un rappel essentiel, individuel et collectif : « faites de la politique » et de préférence autrement.
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© Passant n°33 [février 2001 - mars 2001]
© Passant n°33 [février 2001 - mars 2001]
par Claude Corman
Imprimer l'articleOtan en emporte le vent
Je mappelle Zangra. Jai vingt trois ans et je vais mourir. Je sais que je vais mourir, jai une leucémie myéloblastique aiguë. Les bonnes cellules de la moelle sont étouffées par la prolifération de globules blancs cancéreux. Ce que je ressens ? Une lassitude intense, un dégoût de tout, de la bouffe, des murs de lhosto, de la télé bavarde, des hommes et des femmes qui me rendent visite. La fatigue est une souveraine sans égale. On peut lutter contre la peur, contre toutes sortes dennemis, on peut élever des barricades contre la haine, mais pas contre la fatigue.
Jétais un jeune soldat. Je me souviens à peine.
« Messieurs, votre mission sera une mission humanitaire. Nous allons au Kosovo pour protéger les populations civiles serbes et albanaises. Notre rôle est déviter les violences entre ces populations. »
Parfois on parle de nous à la télé. On nous appelle : Le syndrome des Balkans. Du coup, ma maladie a un autre nom, plus drôle, plus exotique ! On incrimine les munitions à uranium appauvri quauraient balancé les Amer-loques contre les véhicules blindés. Mais on nen est pas sûr. Cest peut-être une sale rumeur colportée par les Européens contre lAmérique, une intox médiatique pour rééquilibrer le commandement de lOtan.
- ça va ? ça va bien se passer. Tu verras. Les médecins mont assuré quon sait bien guérir ces maladies du sang. Les autres soldats qui ont la même maladie que toi vont bien. Ils ont eu des greffes de moelle et ils vont bien... Ils sont en rémission, disent les docteurs.
- Je sais, maman, je sais.
Une guerre morale, une guerre au service des droits de lhomme, une guerre pour châtier un nationaliste criminel et raciste, une guerre avec zéro mort, une guerre du bon côté... Avec autant de bonnes raisons de la faire, vive la guerre !
Je me souviens : il y avait sur les ponts qui enjambent la Save à Belgrade des foules de gens qui portaient des cibles sur leurs habits et qui narguaient les bombardements alliés. Après je suis parti au Kosovo faire respecter la paix.
Cest passé vite. La mort nest jamais au bon rendez-vous. Je mappelle Zangra. Cest drôle. Le même nom que dans la chanson de Brel où il est question dun soldat qui désespère de rencontrer lennemi et vieillit dans son fortin. Le désert des tartares, cest aussi un syndrome ? On finit par mourir de maladie ou dennui, ou à cause des effets spéciaux des munitions, ou par je ne sais quoi dautre, mais pas en combattant. On séteint civilement, comme tout le monde. A quoi bon être soldat, aujourdhui ? Le syndrome des Balkans : la mort de larchiduc Francois-Ferdinand à Sarajevo ? Non, une tumeur du sang qui na pas coulé.
Là haut dans le ciel étoilé qui surplombe lhôpital, les fantômes conversent. Il y a un jeune soldat, un paysan français de vingt trois ans qui est mort dans une tranchée, un petit matin de 1917, éviscéré par un éclat dobus. Et aussi un type de son âge que les nazis ont exécuté en 1943, parce quil était juif, communiste, terroriste, apatride. Au-dessus deux, les étoiles plus brillantes du ciel qui décorent les costumes des officiers couvrent leurs voix. Daccord, dit lune, la guerre des tranchées, cétait horrible. Mais la face du monde en a été changée. Les empires russe, austro-hongrois se sont effondrés. De nouvelles nations sont nées.
Et puis, dit une autre voix engalonnée : daccord, les exécutions dotages et de jeunes résistants ont été un drame. Mais vous avez gagné la guerre, jeunes gens. Les dictatures nationalistes et xénophobes ont été anéanties ; Hitler, Mussolini ont rendu lâme. Et les nations ont changé ; elles sont devenues des démocraties.
Les étoiles les plus brillantes du Ciel resplendissaient de mille éclats et les jeunes hommes de vingt trois ans navaient que des souvenirs de jeunesse à échanger. Des babioles. Une danse de village et une balade yiddish. Rien !
Ils étaient vingt et trois quand les fusils fleurirent. Vingt et trois
Il y avait de plus en plus détoiles qui parlaient dans le Ciel. Une vraie cacophonie. Les unes parlaient des tortures comme dun mal regrettable mais nécessaire, les autres avaient la couleur éclatante des bombes de napalm. Les plus grosses, pareilles à des ogres affamés se flattaient de pouvoir bientôt dévorer les plus petites en plein vol.
Les fantômes ne conversaient plus. Nous étions morts trop jeunes pour demander des comptes aux étoiles ! Quétions nous dautre que les tapis de leurs rêves ?
Et puis le vacarme cessa. Je ne voyais plus quune faible et unique lumière dans le ciel sombre qui sapprochait à vive allure de ma chambre dhôpital. Dieu ? Un ange gardien ? Une roquette à uranium appauvri ?
Non. Lécran vide de la télévision allumée me regardait bêtement. Plus de nouvelles du monde ! Cétait sans doute une bonne heure pour prendre congé.
Les étoiles des Balkans avaient rendu leur verdict. Un tapis de mauvaises cellules sans lendemain auquel on avait donné le nom pompier de syndrome. Je sentais bien que cétait mon tour et juste avant de quitter une fois pour toutes les Balkans et de rejoindre mes potes fantômes pour réécrire nos cahiers de jeunesse, il me vint en mémoire ce petit dicton de Khelm : « Celui qui se fait tapis na pas à craindre la poussière ».
Je ne sais pas vraiment si cela maida à mourir
Jétais un jeune soldat. Je me souviens à peine.
« Messieurs, votre mission sera une mission humanitaire. Nous allons au Kosovo pour protéger les populations civiles serbes et albanaises. Notre rôle est déviter les violences entre ces populations. »
Parfois on parle de nous à la télé. On nous appelle : Le syndrome des Balkans. Du coup, ma maladie a un autre nom, plus drôle, plus exotique ! On incrimine les munitions à uranium appauvri quauraient balancé les Amer-loques contre les véhicules blindés. Mais on nen est pas sûr. Cest peut-être une sale rumeur colportée par les Européens contre lAmérique, une intox médiatique pour rééquilibrer le commandement de lOtan.
- ça va ? ça va bien se passer. Tu verras. Les médecins mont assuré quon sait bien guérir ces maladies du sang. Les autres soldats qui ont la même maladie que toi vont bien. Ils ont eu des greffes de moelle et ils vont bien... Ils sont en rémission, disent les docteurs.
- Je sais, maman, je sais.
Une guerre morale, une guerre au service des droits de lhomme, une guerre pour châtier un nationaliste criminel et raciste, une guerre avec zéro mort, une guerre du bon côté... Avec autant de bonnes raisons de la faire, vive la guerre !
Je me souviens : il y avait sur les ponts qui enjambent la Save à Belgrade des foules de gens qui portaient des cibles sur leurs habits et qui narguaient les bombardements alliés. Après je suis parti au Kosovo faire respecter la paix.
Cest passé vite. La mort nest jamais au bon rendez-vous. Je mappelle Zangra. Cest drôle. Le même nom que dans la chanson de Brel où il est question dun soldat qui désespère de rencontrer lennemi et vieillit dans son fortin. Le désert des tartares, cest aussi un syndrome ? On finit par mourir de maladie ou dennui, ou à cause des effets spéciaux des munitions, ou par je ne sais quoi dautre, mais pas en combattant. On séteint civilement, comme tout le monde. A quoi bon être soldat, aujourdhui ? Le syndrome des Balkans : la mort de larchiduc Francois-Ferdinand à Sarajevo ? Non, une tumeur du sang qui na pas coulé.
Là haut dans le ciel étoilé qui surplombe lhôpital, les fantômes conversent. Il y a un jeune soldat, un paysan français de vingt trois ans qui est mort dans une tranchée, un petit matin de 1917, éviscéré par un éclat dobus. Et aussi un type de son âge que les nazis ont exécuté en 1943, parce quil était juif, communiste, terroriste, apatride. Au-dessus deux, les étoiles plus brillantes du ciel qui décorent les costumes des officiers couvrent leurs voix. Daccord, dit lune, la guerre des tranchées, cétait horrible. Mais la face du monde en a été changée. Les empires russe, austro-hongrois se sont effondrés. De nouvelles nations sont nées.
Et puis, dit une autre voix engalonnée : daccord, les exécutions dotages et de jeunes résistants ont été un drame. Mais vous avez gagné la guerre, jeunes gens. Les dictatures nationalistes et xénophobes ont été anéanties ; Hitler, Mussolini ont rendu lâme. Et les nations ont changé ; elles sont devenues des démocraties.
Les étoiles les plus brillantes du Ciel resplendissaient de mille éclats et les jeunes hommes de vingt trois ans navaient que des souvenirs de jeunesse à échanger. Des babioles. Une danse de village et une balade yiddish. Rien !
Ils étaient vingt et trois quand les fusils fleurirent. Vingt et trois
Il y avait de plus en plus détoiles qui parlaient dans le Ciel. Une vraie cacophonie. Les unes parlaient des tortures comme dun mal regrettable mais nécessaire, les autres avaient la couleur éclatante des bombes de napalm. Les plus grosses, pareilles à des ogres affamés se flattaient de pouvoir bientôt dévorer les plus petites en plein vol.
Les fantômes ne conversaient plus. Nous étions morts trop jeunes pour demander des comptes aux étoiles ! Quétions nous dautre que les tapis de leurs rêves ?
Et puis le vacarme cessa. Je ne voyais plus quune faible et unique lumière dans le ciel sombre qui sapprochait à vive allure de ma chambre dhôpital. Dieu ? Un ange gardien ? Une roquette à uranium appauvri ?
Non. Lécran vide de la télévision allumée me regardait bêtement. Plus de nouvelles du monde ! Cétait sans doute une bonne heure pour prendre congé.
Les étoiles des Balkans avaient rendu leur verdict. Un tapis de mauvaises cellules sans lendemain auquel on avait donné le nom pompier de syndrome. Je sentais bien que cétait mon tour et juste avant de quitter une fois pour toutes les Balkans et de rejoindre mes potes fantômes pour réécrire nos cahiers de jeunesse, il me vint en mémoire ce petit dicton de Khelm : « Celui qui se fait tapis na pas à craindre la poussière ».
Je ne sais pas vraiment si cela maida à mourir