Sortie du DVD de Notre Monde
Notre Monde Notre Monde (2013, 119') un film de Thomas LacosteRassemblant plus de 35 intervenants, philosophes, sociologues, économistes, magistrats, médecins, universitaires et écrivains, Notre Monde propose un espace dexpression pour travailler, comme nous y enjoint JeanLuc Nancy à « une pensée commune ». Plus encore quun libre espace de parole, Notre Monde sappuie sur un ensemble foisonnant de propositions concrètes pour agir comme un rappel essentiel, individuel et collectif : « faites de la politique » et de préférence autrement.
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© Passant n°32 [décembre 2000 - janvier 2001]
© Passant n°32 [décembre 2000 - janvier 2001]
par Hervé Le Corre
Imprimer l'articleBordeaux, à droite dans ses bottes
Ce nest sans doute pas un hasard : le Passant Ordinaire est apparu dans le paysage bordelais, grisâtre et poussiéreux à lépoque, en même temps quAlain Juppé. En 94 paraissait le premier numéro de notre revue, au moment même où la fin de règne du vieux Chaban, qui faisait rien que des bêtises, laissait vacante la place de maire. Six ans plus tard, la ville est mieux éclairée la nuit, mais y voit-on pour autant plus clair ? Au moment des bilans qui vont fleurir, à quelques mois des municipales, penchons-nous un peu sur le local, cet universel plein de murs...
À lépoque, ce bon Monsieur Juppé, chef du RPR, ancien ministre des Affaires Etran-gères, ancien cacique à la mairie de Paris (ce qui était encore une carte de visite jouable à lépoque), a dû se dire que, ma foi, un point de chute pas trop éloigné de sa maison de campagne (la célèbre villa « Lou Tignous ») cétait une idée pas con, et il sest déclaré candidat au poste de maire, à lappel, on sen souvient, de tout le petit personnel cravaté des « décideurs » économiques et politiques qui en avaient marre de rester courbés pour singer le lumbago municipal quimposait laïeul pourtant vénéré pendant des décennies1. Cétait gagné davance, et on allait voir ce quon allait voir...
Carrière exclusivement parisienne et nationale oblige, on ignorait à peu près que limpétrant était natif des Landes ; sans doute pour éviter de se voir coller une image par trop province de paysan parvenu, et qui plus est gasconne, du genre péquenot amateur de gras de canard et tueur de pigeons migrateurs, cette touchante facette du personnage était passée sous silence Imagine leffet désastreux auprès des rédactions du Figaro ou de Libé ! La « tentation de Venise », cétait tout de même plus chic que « le vertige de la palombière » ! Depuis, les médias locaux ont su avec complaisance cultiver le côté terroir de môssieu qui, nommé entre temps Premier ministre, droit dans ses bottes face aux grévistes de décembre 95, avait bien besoin de donner à son ultralibéralisme hautain et implacable2 une grimace humaine. On trouva même à lintraitable mousquetaire danciens condisciples de lycée qui confirmèrent quil était bon élève, pas marrant marrant, on sen serait douté.
Dès son arrivée à lhôtel de ville, le maire a beaucoup sabré, détruit, retranché. En comptable sourcilleux, comme un Zorro déjà droit dans ses bottes dégainant tout à coup sa calculette, il a opéré des coupes claires dans le budget de la culture, virant au passage quelques dépensières danseuses de Chaban, mais privant par ailleurs la ville de sa seule manifestation de dimension internationale, sans doute jugée trop audacieuse par un électorat abonné aux matinées du Grand-Théâtre, SIGMA. Il a fait raser les hangars des quais, sans expliquer très clairement ce quon mettrait à la place : sans doute rien ! Une vaste promenade, des guinguettes, quelques marchands. Une escale pour paquebots3 On appelle ça, à la mairie, revitaliser le centre ville. Il a promu de grandes fiestas « populaires » sur des esplanades hérissées de podiums, et par milliers les bordelais ont cru que la ville se mettait à revivre : coûteuse fête du vin, Mondial de foot Les foules sentimentales ont été invitées à vibrer sur commande. Panem et circenses ! décrète le petit César du haut de sa tribune.
Du coup, la ville se déguise certains soirs en cité du sud, et elle semble alors plutôt moins mortelle quelle ne la été par le passé : un peu comme si leuphorie beauf du Ptit futé avait remplacé lennui distingué dépeint par Mauriac Chacun appréciera le progrès de civilisation ainsi accompli...
Cest à peu près tout : on croise davantage de viande saoule, les braillards se donnent rendez-vous dans les troquets de la Victoire, où des bistrotiers vachement cools remplissent les godets en même temps que leurs tiroirs-caisses. Une pseudo convivialité comme nouvelle mode mercantile ; pourquoi pas, dans une ville qui a fondé sa prospérité sur le pinard et la traite des esclaves obligés de survivre ou de crever les uns sur les autres, enchaînés à fond de cale ?
Politiquement, cest un peu court. Certains feignent de croire que Bordeaux et son maire auraient enfin appris à sourire. Cest confondre un peu vite lhumaine animation des zygomatiques avec quelques rictus destinés aux médias, et cest oublier, pour ce qui est de la ville, que certains sourires ne font quaccuser davantage les rides. On se contente de faire croire aux Bordelais quils vivent mieux alors que la ville est submergée de bagnoles, toujours privée dun plan de circulation cohérent, désertée par lactivité économique, culturellement sinistrée par une équipe municipale qui na aucune vision, aucun projet, et se contente de saupoudrer des subventions au coup par coup, à la gueule du client et selon lhumeur4.
Cest sur ces sujets-là, on lespère du moins, que la campagne pour les prochaines élections se jouera. Sil y a, bien sûr, une campagne. Car lopposition municipale, en ce moment, se résume à quoi ? Dabord des socialistes qui multiplient les mouvements de menton et les défis screugneugneu du niveau dune cour de récré surveillée par des journalistes (« Juppé, tes pas cap de débattre avec moi, tas les chocottes de prendre ta branlée », trépigne Gilles Savary en conseil municipal. Lautre se marre tous les soirs en se repassant le film, ça le détend bien pour dormir) pendant quils cogèrent tranquillement la CUB avec la droite. Ensuite un brasseur de dossiers, de droite lui aussi5, qui installe de temps en temps une table de camping dans quelque rue piétonne pour interpeller les citoyens et convoquer la presse. Beaucoup de bruit pour rien, une passion pour les questions de leau et des transports (essentielles, on ne dit pas le contraire) qui lui vaudrait en Russie le sobriquet de « bateleur de la Volga », sans aucun projet global, mais animé dune ambition qui le met à la portée de tous les compromis politiciens. Un velléitaire ambigu et bon marché.
Cest à peu près tout.
Et la gauche ? À Bordeaux, vu les traditions et la sociologie de la ville, elle est mal en point, mais elle existe : militants politiques et associatifs, syndicalistes, sont nombreux à parcourir les rues en cortèges, à ani-
mer débats et forums, à sinvestir. Il y a à Bordeaux un peuple de gauche, il y a à Bordeaux des quartiers à labandon qui attendent encore un réel développement dinfrastructures, un véritable investissement politique et financier de la part de la ville. On peut construire là-dessus. On pourrait imaginer un rassemblement vraiment à gauche, unitaire, ouvert, proposant pour Bordeaux un projet alternatif.
On pourrait.
Rêvons un peu.
Hervé Le Corre
(1) Même Sud Ouest, ancien organe central de lHôtel de ville, était passé pratiquement dans lopposition : cest dire !
(2) On se rappelle, bien sûr, le bilan comptable de Thomson, établi en direct à la télé : « Un franc, ça ne vaut pas plus ! Un franc ! »
(3) Ça donne des spectacles rigolos de gros cons friqués en goguette dans les vieilles rues, short et caméscope obligatoires, mais cest tout. Notons quil sest trouvé à Bordeaux des écrivains, enfin, cest comme ça quils se désignent entre eux, pour sextasier devant ce retour du tourisme maritime dans la ville.
(4) À propos de culture, lenquête publiée en juin dernier par Sud Ouest était éloquente : personne pour approuver, fût-ce du bout des lèvres, le bilan municipal. À la
mairie, on sest plaint de la partialité de lenquête. Renseignements pris, personne navait levé le doigt quand il avait été demandé des volontaires
(5) Ce qui prime pour lui, cest le traitement des dossiers. Peu importe quil faille pour cela côtoyer dans certains comités les élus du Front National.
(2) On se rappelle, bien sûr, le bilan comptable de Thomson, établi en direct à la télé : « Un franc, ça ne vaut pas plus ! Un franc ! »
(3) Ça donne des spectacles rigolos de gros cons friqués en goguette dans les vieilles rues, short et caméscope obligatoires, mais cest tout. Notons quil sest trouvé à Bordeaux des écrivains, enfin, cest comme ça quils se désignent entre eux, pour sextasier devant ce retour du tourisme maritime dans la ville.
(4) À propos de culture, lenquête publiée en juin dernier par Sud Ouest était éloquente : personne pour approuver, fût-ce du bout des lèvres, le bilan municipal. À la
mairie, on sest plaint de la partialité de lenquête. Renseignements pris, personne navait levé le doigt quand il avait été demandé des volontaires
(5) Ce qui prime pour lui, cest le traitement des dossiers. Peu importe quil faille pour cela côtoyer dans certains comités les élus du Front National.