Sortie du DVD de Notre Monde
Notre Monde Notre Monde (2013, 119') un film de Thomas LacosteRassemblant plus de 35 intervenants, philosophes, sociologues, économistes, magistrats, médecins, universitaires et écrivains, Notre Monde propose un espace dexpression pour travailler, comme nous y enjoint JeanLuc Nancy à « une pensée commune ». Plus encore quun libre espace de parole, Notre Monde sappuie sur un ensemble foisonnant de propositions concrètes pour agir comme un rappel essentiel, individuel et collectif : « faites de la politique » et de préférence autrement.
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© Passant n°32 [décembre 2000 - janvier 2001]
© Passant n°32 [décembre 2000 - janvier 2001]
par Howard « Fireballs » Mc Coy
Imprimer l'articleHey, Junior !
A lheure où ces lignes sont écrites, la victoire électorale de George W Bush, Junior, comme on le qualifie parfois (ce qui nest pas sans rappeler le personnage de chien abruti imaginé par Tex Avery), ne fait plus guère de doute. Le vent soufflant de Floride napportant plus guère que les miasmes des bayous, infestés de gators et de mocassins deau, il semble bien que lAmérique naura plus le choix, dans les quatre ans qui viennent, quentre la morsure qui broie et celle qui empoisonne. Le fait que notre pays soit gouverné par un imbécile complètement instrumentalisé par les lobbies nest pas nouveau. Si lon était méchant, et sans doute un peu superficiel, on pourrait penser quaprès tout, les Américains ont la représentation politique quils méritent. Le problème, aujourdhui, qui agite même les grosses têtes des rednecks texans, est que ce système de représentation, qui se donne volontiers pour modèle universel de démocratie, complaisamment relayé par la plupart des médias occidentaux, en a pris ces jours-ci un rude coup. Et que nous sommes peut-être à la veille de connaître ici une salutaire crise politique qui pourra rendre au moins plus sain et plus sûr le système électoral hérité des pères fondateurs du XVIIIe siècle.
On a beaucoup ri - et tremblé à lidée de cette menace fantôme - de lignorance affligeante de Junior dans à peu près tous les domaines qui sont de la compétence (si ce mot a encore un sens à son propos), dun homme dEtat, qui plus est appelé à jouer sur la scène internationale le rôle quon sait, et quon redoute. On perdrait du temps, et beaucoup de place, à énumérer le bêtisier accablant de ses déclarations : rien néchappe, en effet, à lespèce de vigilance ahurie du nouveau probable président. On raconte, dans les rédactions de la côte-est, quappliqué au dispositif de défense spatiale antimissile auquel il tient tant, le maillage de la bêtise tous azimuts de Bush rendrait le territoire des Etats-Unis pratiquement inviolable, même par les systèmes de guidage et de brouillage les plus sophistiqués. Son indigence intellectuelle est capable dintercepter, de neutraliser et de rendre abscons nimporte quoi Le champ entier des connaissances humaines, même les plus accessibles au grand pu-blic américain, pourtant peu curieux et instruit, peut être labouré par les terrifiants rotors de ce paysan riche : le sol en demeurera dévasté et stérile pour de longues années. Du côté de Minneapolis, on prie tous les jours le Seigneur pour quil ne parle jamais dagriculture
Du coup, le programme ultra-conservateur du ticket républicain, entre ces mains pataudes dont chacune ignore toujours ce que fait sa jumelle, relève dun catalogue du musée des horreurs feuilleté par le Zombie Sans Tête. Car noublions pas que Bush est un fervent supporter de la vente libre des armes à feu sur lensemble du territoire, quil est opposé à la liberté de choix des femmes en matière davortement, quen tant que gouverneur du Texas il a prouvé sa foi dans la peine de mort, refusant toutes les grâces qui lui étaient soumises (voir texte ci-contre, la chronique du Poisson qui pêche), et quenfin, sur le plan économique et social, il est partisan dune réduction drastique des crédits dEtat pour laide sociale et léducation, promettant des centaines de milliards de dollars de réductions dimpôts dans les années à venir, ce qui privera Washington, mais aussi les Etats de la fédération, de toute recette capable de redistribuer un tant soit peu les colossales richesses produites par le pays.
A rifle and a bible, et malheur aux « vaincus » laissés pour compte de la prospérité. Tout le génie du Texas péquenot, celui davant la nouvelle frontière, celui aussi de Dallas, mis au service des grands groupes industriels et financiers. On nous projette un très mauvais western urbain, raciste et ultra violent, interprété par Chuck Norris et mis en scène par Charlton Heston.
Reste que les Américains sinterrogent, ce qui leur arrive parfois, mais que ce coup-ci ils se posent quelques bonnes questions sur le système politique en vigueur ici. One man, one vote, a-t-on coutume de dire pour décrire rapidement le minimum démocratique exigible dun pays libre. Voire. Bush sera élu alors quil est minoritaire dà peu près 100 000 voix, en vertu du vote bloqué des grands électeurs. Ce système, conçu par les « pères de la nation », témoignait à lépoque de la méfiance des élites à légard de lexpression politique du peuple, quil fallait canaliser, normaliser, dont il fallait, surtout, atténuer les sautes dhumeur et le pluralisme. On pouvait à la rigueur le comprendre sur un territoire gigantesque, incomplet, pas encore conquis par le génocide sur les populations indiennes. Mais la pérennité de ce mode de fonctionnement montre bien quau fond rien na changé, et que la démocratie relève le plus souvent, ici sans doute plus encore quailleurs, de la fiction efficacement scénarisée, et incarnée par de talentueuses marionnettes, elles-mêmes animées par de redoutables manipulateurs. En ce début de XXIe siècle, les Etats-Unis dAmérique sont ils en train de découvrir le bon vieux suffrage universel direct ? Les donneurs de leçons vont-ils être obligés de réviser leur b-a ba ?
Il est possible que la « modernité » change de camp, ou en tout cas de contenu.
Ce serait bien le strict minimum souhaitable, si lexpression aujourdhui figée de « démocratie américaine » veut avoir encore un sens.
On a beaucoup ri - et tremblé à lidée de cette menace fantôme - de lignorance affligeante de Junior dans à peu près tous les domaines qui sont de la compétence (si ce mot a encore un sens à son propos), dun homme dEtat, qui plus est appelé à jouer sur la scène internationale le rôle quon sait, et quon redoute. On perdrait du temps, et beaucoup de place, à énumérer le bêtisier accablant de ses déclarations : rien néchappe, en effet, à lespèce de vigilance ahurie du nouveau probable président. On raconte, dans les rédactions de la côte-est, quappliqué au dispositif de défense spatiale antimissile auquel il tient tant, le maillage de la bêtise tous azimuts de Bush rendrait le territoire des Etats-Unis pratiquement inviolable, même par les systèmes de guidage et de brouillage les plus sophistiqués. Son indigence intellectuelle est capable dintercepter, de neutraliser et de rendre abscons nimporte quoi Le champ entier des connaissances humaines, même les plus accessibles au grand pu-blic américain, pourtant peu curieux et instruit, peut être labouré par les terrifiants rotors de ce paysan riche : le sol en demeurera dévasté et stérile pour de longues années. Du côté de Minneapolis, on prie tous les jours le Seigneur pour quil ne parle jamais dagriculture
Du coup, le programme ultra-conservateur du ticket républicain, entre ces mains pataudes dont chacune ignore toujours ce que fait sa jumelle, relève dun catalogue du musée des horreurs feuilleté par le Zombie Sans Tête. Car noublions pas que Bush est un fervent supporter de la vente libre des armes à feu sur lensemble du territoire, quil est opposé à la liberté de choix des femmes en matière davortement, quen tant que gouverneur du Texas il a prouvé sa foi dans la peine de mort, refusant toutes les grâces qui lui étaient soumises (voir texte ci-contre, la chronique du Poisson qui pêche), et quenfin, sur le plan économique et social, il est partisan dune réduction drastique des crédits dEtat pour laide sociale et léducation, promettant des centaines de milliards de dollars de réductions dimpôts dans les années à venir, ce qui privera Washington, mais aussi les Etats de la fédération, de toute recette capable de redistribuer un tant soit peu les colossales richesses produites par le pays.
A rifle and a bible, et malheur aux « vaincus » laissés pour compte de la prospérité. Tout le génie du Texas péquenot, celui davant la nouvelle frontière, celui aussi de Dallas, mis au service des grands groupes industriels et financiers. On nous projette un très mauvais western urbain, raciste et ultra violent, interprété par Chuck Norris et mis en scène par Charlton Heston.
Reste que les Américains sinterrogent, ce qui leur arrive parfois, mais que ce coup-ci ils se posent quelques bonnes questions sur le système politique en vigueur ici. One man, one vote, a-t-on coutume de dire pour décrire rapidement le minimum démocratique exigible dun pays libre. Voire. Bush sera élu alors quil est minoritaire dà peu près 100 000 voix, en vertu du vote bloqué des grands électeurs. Ce système, conçu par les « pères de la nation », témoignait à lépoque de la méfiance des élites à légard de lexpression politique du peuple, quil fallait canaliser, normaliser, dont il fallait, surtout, atténuer les sautes dhumeur et le pluralisme. On pouvait à la rigueur le comprendre sur un territoire gigantesque, incomplet, pas encore conquis par le génocide sur les populations indiennes. Mais la pérennité de ce mode de fonctionnement montre bien quau fond rien na changé, et que la démocratie relève le plus souvent, ici sans doute plus encore quailleurs, de la fiction efficacement scénarisée, et incarnée par de talentueuses marionnettes, elles-mêmes animées par de redoutables manipulateurs. En ce début de XXIe siècle, les Etats-Unis dAmérique sont ils en train de découvrir le bon vieux suffrage universel direct ? Les donneurs de leçons vont-ils être obligés de réviser leur b-a ba ?
Il est possible que la « modernité » change de camp, ou en tout cas de contenu.
Ce serait bien le strict minimum souhaitable, si lexpression aujourdhui figée de « démocratie américaine » veut avoir encore un sens.
Chicago, Illinois
Traduction Carmen Sternwood
Traduction Carmen Sternwood
Howard « Fireballs » Mc Coy