Sortie du DVD de Notre Monde
Notre Monde Notre Monde (2013, 119') un film de Thomas LacosteRassemblant plus de 35 intervenants, philosophes, sociologues, économistes, magistrats, médecins, universitaires et écrivains, Notre Monde propose un espace dexpression pour travailler, comme nous y enjoint JeanLuc Nancy à « une pensée commune ». Plus encore quun libre espace de parole, Notre Monde sappuie sur un ensemble foisonnant de propositions concrètes pour agir comme un rappel essentiel, individuel et collectif : « faites de la politique » et de préférence autrement.
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© Passant n°31 [octobre 2000 - novembre 2000]
© Passant n°31 [octobre 2000 - novembre 2000]
par Frère Mc Murdo
Imprimer l'articleLes grands prêtres de Californie
Les grands prêtres de Californie1 dans les années 50, ce sont les vendeurs de voitures doccasion. Telle est la profession du héros de ce court roman, par ailleurs sacré goujat comme on aurait dit à lépoque. Tous les moyens sont en effet bons pour arriver à mettre dans son lit une jolie jeune femme dégottée dans un dancing. Il compte sur son bagout pour la séduire, comme il mène ses ventes. Tout est dans le tape-à-lil dans le comportement de ce sacré macho, qui change de voiture et de costard comme il aspire à changer de copine, mais aussi fort cultivé (les poèmes de T.S. Eliot et les romans de Joyce nont guère de secrets pour lui), patriote sincère (on est au temps de la guerre de Corée) et rendant un hommage non moins sincère et inattendu à un syndicaliste victime de la répression policière dans les années 20. Bref, un portrait complexe. Chronique brutale et variation sur lart des apparences et de la dissimulation des deux protagonistes (lhéroïne réserve elle aussi quelques surprises au lecteur), charme dun joli récit édité presque un demi-siècle après sa parution, époque où le machisme faisait flores dans le genre noir. Coup dessai, coup de maître de Charles Willeford, excellent auteur américain, auteur de trop rares (et donc très précieux) romans noirs édités chez Rivages.
On ne présente plus Elmore Leonard, brillantissime auteur de polars, scénariste de westerns, adapté récemment deux fois à lécran, par Soderbergh et Tarantino. Jai un faible, je lavoue pour deux de ses romans les plus anciens, La joyeuse kidnappée (réédité en Folio) et Homme inconnu n° 89, sorti en Super Noire et hélas jamais réédité. Bon. Pronto2 fait partie de la série des romans se déroulant en Floride, plus précisément à Miami. Comme lindiquait Georges Clooney dans une récente interview à un média français, la langue et le sens du dialogue constituent les points forts dElmore. Par parenthèse, celui-là auréolé de son nouveau prestige dacteur ayant réussi son passage des nanars aux pellicules plus branchées, nhésite plus à afficher des jugements péremptoires. En loccurrence, je pense lappréciation adaptée au sujet traité. Quoiquil en soit, le roman fait évoluer des malfrats de la pègre des jeux entre lItalie et les Etats-Unis et fait intervenir un marshal particulièrement déterminé pour mettre au pas tout ce joli monde. Mené avec efficacité et somme toute promptement, ce roman a encore des charmes annexes : sur la vie à Rapallo dErza Pound, poète américain et chantre de Mussolini, sur la longue grève des mineurs de Harlan dans le Kentucky au milieu des années 70, immortalisée dans le film documentaire Harlan County USA, bref mille et une raisons de sy plonger.
« En Sardaigne, on naît avec un sentiment de prédestination, et on grandit avec On est prisonnier dun langage, ennemi de lavenir » dit un des protagonistes de Un silence de fer3. Et une autre : « cest une île, un langage à part, trop lointain, un silence datant de trop nombreux siècles ». Le titre du roman désigne dailleurs (et plus explicitement en italien) la période de la protohistoire - lâge de fer - pendant laquelle lîle a été conquise par les Romains. Il symbolise ce temps de loccupation étrangère, quon croirait à jamais immobile, et quun groupe de jeunes nationalistes avaient, dix ans auparavant, essayé de secouer par des attentats. Les voilà donc, devenus trentenaires en train de se débattre encore avec ces idées. Pour leur courir derrière, les fuir ou les feinter. Mais dautres intérêts plus maffieux sont aussi en jeu et tout cela ne peut aboutir quà un chaos sanglant. Par moments, lombre de Sciascia et de ses romans sur la Sicile plane sur ce roman fiévreux et ramassé. Mais quand donc nos insulaires à nous, je parle là des Corses, allumeront-ils à leur tour le détonateur du récit littéraire noir ?
Il y a dans la littérature et le cinéma américains de beaux personnages déboueurs : dans Le seigneur des porcheries de Tristan Eglof (chez Gallimard), dans Badlands, film de Terence Malik En voici un autre, Virgil, héros du roman de Chris Offut Le bon frère4.Il na jamais quitté les frontières de son comté natal dans le Kentucky. Il faut et il suffit que la loi non écrite de la vengeance ne lentraîne à faire justice de lassassin présumé de son frère adoré pour quil parte en exil vers le Montana, Etat du Nord (« son esprit fonctionnait mieux dans le Nord et il décida daller dans un lieu où lhiver était long » explique sobrement lauteur). Il y rencontre, outre la déprime liée à ce justement trop long hiver, les miliciens de la Libre Amérique, en guerre contre lEtat fédéral. Offut sait décrire avec un lyrisme très maîtrisé les grands espaces américains, des collines boisées du comté natal aux montagnes encaissées, refuge de son héros. Avec une tendresse particulière pour la poésie des routes inter-Etats, des chaussées de ce que nous nommons les routes départementales, les chemins vicinaux, des sentiers qui suivent les pistes à gibier ou les lits des torrents. Pour poursuivre le raisonnement, ces voies mènent à des hommes ; voilà pourquoi Virgil, qui aime la compagnie de ses semblables, les suit sans cesse. Voilà pourquoi il est déchiré par le meurtre quil a accompli, et qui la obligé à rompre toutes les amarres avec ceux quil aimait dans le comté de Blizzard. Voilà pourquoi enfin il souffre de se retrouver avec dautres exilés, ces miliciens qui vivent retranchés et qui développent un fort sentiment dappartenance culturel et ethnique. Ce rejet des autres, Virgil ne le supporte pas. Aussi lépisode final du roman est-il reçu comme une délivrance. Le récit de Chris Offut est un très beau morceau de littérature américain
Frère Mc Murdo
On ne présente plus Elmore Leonard, brillantissime auteur de polars, scénariste de westerns, adapté récemment deux fois à lécran, par Soderbergh et Tarantino. Jai un faible, je lavoue pour deux de ses romans les plus anciens, La joyeuse kidnappée (réédité en Folio) et Homme inconnu n° 89, sorti en Super Noire et hélas jamais réédité. Bon. Pronto2 fait partie de la série des romans se déroulant en Floride, plus précisément à Miami. Comme lindiquait Georges Clooney dans une récente interview à un média français, la langue et le sens du dialogue constituent les points forts dElmore. Par parenthèse, celui-là auréolé de son nouveau prestige dacteur ayant réussi son passage des nanars aux pellicules plus branchées, nhésite plus à afficher des jugements péremptoires. En loccurrence, je pense lappréciation adaptée au sujet traité. Quoiquil en soit, le roman fait évoluer des malfrats de la pègre des jeux entre lItalie et les Etats-Unis et fait intervenir un marshal particulièrement déterminé pour mettre au pas tout ce joli monde. Mené avec efficacité et somme toute promptement, ce roman a encore des charmes annexes : sur la vie à Rapallo dErza Pound, poète américain et chantre de Mussolini, sur la longue grève des mineurs de Harlan dans le Kentucky au milieu des années 70, immortalisée dans le film documentaire Harlan County USA, bref mille et une raisons de sy plonger.
« En Sardaigne, on naît avec un sentiment de prédestination, et on grandit avec On est prisonnier dun langage, ennemi de lavenir » dit un des protagonistes de Un silence de fer3. Et une autre : « cest une île, un langage à part, trop lointain, un silence datant de trop nombreux siècles ». Le titre du roman désigne dailleurs (et plus explicitement en italien) la période de la protohistoire - lâge de fer - pendant laquelle lîle a été conquise par les Romains. Il symbolise ce temps de loccupation étrangère, quon croirait à jamais immobile, et quun groupe de jeunes nationalistes avaient, dix ans auparavant, essayé de secouer par des attentats. Les voilà donc, devenus trentenaires en train de se débattre encore avec ces idées. Pour leur courir derrière, les fuir ou les feinter. Mais dautres intérêts plus maffieux sont aussi en jeu et tout cela ne peut aboutir quà un chaos sanglant. Par moments, lombre de Sciascia et de ses romans sur la Sicile plane sur ce roman fiévreux et ramassé. Mais quand donc nos insulaires à nous, je parle là des Corses, allumeront-ils à leur tour le détonateur du récit littéraire noir ?
Il y a dans la littérature et le cinéma américains de beaux personnages déboueurs : dans Le seigneur des porcheries de Tristan Eglof (chez Gallimard), dans Badlands, film de Terence Malik En voici un autre, Virgil, héros du roman de Chris Offut Le bon frère4.Il na jamais quitté les frontières de son comté natal dans le Kentucky. Il faut et il suffit que la loi non écrite de la vengeance ne lentraîne à faire justice de lassassin présumé de son frère adoré pour quil parte en exil vers le Montana, Etat du Nord (« son esprit fonctionnait mieux dans le Nord et il décida daller dans un lieu où lhiver était long » explique sobrement lauteur). Il y rencontre, outre la déprime liée à ce justement trop long hiver, les miliciens de la Libre Amérique, en guerre contre lEtat fédéral. Offut sait décrire avec un lyrisme très maîtrisé les grands espaces américains, des collines boisées du comté natal aux montagnes encaissées, refuge de son héros. Avec une tendresse particulière pour la poésie des routes inter-Etats, des chaussées de ce que nous nommons les routes départementales, les chemins vicinaux, des sentiers qui suivent les pistes à gibier ou les lits des torrents. Pour poursuivre le raisonnement, ces voies mènent à des hommes ; voilà pourquoi Virgil, qui aime la compagnie de ses semblables, les suit sans cesse. Voilà pourquoi il est déchiré par le meurtre quil a accompli, et qui la obligé à rompre toutes les amarres avec ceux quil aimait dans le comté de Blizzard. Voilà pourquoi enfin il souffre de se retrouver avec dautres exilés, ces miliciens qui vivent retranchés et qui développent un fort sentiment dappartenance culturel et ethnique. Ce rejet des autres, Virgil ne le supporte pas. Aussi lépisode final du roman est-il reçu comme une délivrance. Le récit de Chris Offut est un très beau morceau de littérature américain
Frère Mc Murdo
(1) Les grands prêtres de Californie de Charles Willeford, Rivages/Noir, traduit de laméricain par Danièle et Pierre Bondil.
(2) Pronto de Elmore Leonard, Rivages/Noir, traduit de laméricain par Michel Lebrun, 1ère édition Rivages 1996.
(3) Un silence de fer de Marcello Fois, Seuil, 89 F., traduit de litalien par Nathalie Bauer.
(4) Le grand frère de Chris Offut, Gallimard La Noire, 145 F., traduit de laméricain par Freddy Michalsky.
(2) Pronto de Elmore Leonard, Rivages/Noir, traduit de laméricain par Michel Lebrun, 1ère édition Rivages 1996.
(3) Un silence de fer de Marcello Fois, Seuil, 89 F., traduit de litalien par Nathalie Bauer.
(4) Le grand frère de Chris Offut, Gallimard La Noire, 145 F., traduit de laméricain par Freddy Michalsky.