Sortie du DVD de Notre Monde
Notre Monde Notre Monde (2013, 119') un film de Thomas LacosteRassemblant plus de 35 intervenants, philosophes, sociologues, économistes, magistrats, médecins, universitaires et écrivains, Notre Monde propose un espace dexpression pour travailler, comme nous y enjoint JeanLuc Nancy à « une pensée commune ». Plus encore quun libre espace de parole, Notre Monde sappuie sur un ensemble foisonnant de propositions concrètes pour agir comme un rappel essentiel, individuel et collectif : « faites de la politique » et de préférence autrement.
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© Passant n°31 [octobre 2000 - novembre 2000]
© Passant n°31 [octobre 2000 - novembre 2000]
par Emmanuel Galland
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« Pendant mes premières années à Paris, à partir de 1924, je vivais la nuit, je me couchais à laube, me levais avec le coucher du soleil et déambulais à travers la ville, de Montparnasse à Montmartre. Même si javais toujours ignoré, voire détesté la photographie, mon désir de traduire toutes ces choses qui menchantaient dans ce Paris nocturne me poussait maintenant à devenir photographe. Ainsi, Paris la nuit est né et fut publié en 1933. »
Brassaï 1
Magical Mystery Tour
Quest-ce quannonce un regroupement de 3000 à 5000 jeunes, sur un mode régulier ? Forcément quelque chose. Mais même si ce type de rassemblement sapparente à des formes connues (les concerts rock, la vague Woodstock et son pacifisme comme porte-étendard), la scène rave ne se réclame daucune « contre-culture ». Daucun « contre », ajouterais-je. Cet univers diffère également du night-clubbing. Déjà ici, la nuit na plus de fin. Une autre forme de socialité, une autre forme de plaisir sannoncent dans le classique accès de fièvre du samedi soir. Mais dans quelle dimension ? La question est de savoir quelles sont les caractéristiques dune génération dadolescents qui ont tout à découvrir. Et tout à apprendre (désapprendre). Car ceux quon décrit rapidement et de plus en plus souvent sous le terme de « décrocheurs » en laissent plus dun désarçonné. Décrocher, cest accepter dabandonner le prêt-à-penser et le bon (?) entendement de la vie courante, de notre contemporanéité.
Tout se fait dans la candeur, en douce. Toutefois, cet espace de liberté se dessine à lintérieur dun monde clos marqué par une violence sourde. Paradoxe. Drôle de combinaison qui nous entremêle dans la tourmente « vertigineuse de la non référence et en même temps de la sur-référence » (Bernard Schütze). Le post-modernisme reçoit alors un cinglant coup dans cette fusion dune inconscience collective et dun collage bigarré. Toutes les parties constituantes sont difficilement discernables. On peut parler ainsi de confusion des sens et des genres. Saisissant mais difficile à saisir. Lieu de dérive assumée et non pas de déviation incontrôlée.
« Autant aidé par des substances qui peuvent être musicales ou drogues ou autres qui sont aussi des éléments dexacerbation. » 2
Tout comme certains sabandonnent ou soublient dans lalcool ou la consommation de drogues licites (Prozac, tranquillisants, cigarette, café, ).
« Lecstasy, parmi toutes les drogues récréatives, possède une vertu unique : elle améliore la communication. Cest ce qui explique sa consommation en groupe, aussi bien que son utilisation à des fins de psychothérapie ou dintrospection. Le succès de cette nouvelle substance sexplique peut-être par les problèmes personnels et relationnels que crée la société moderne : lisolement, la difficulté de sassumer, la répugnance à exprimer un amour qui ne soit pas uniquement charnel. Elle possède des potentialités insoupçonnées en matière de thérapie, dexpression artistique ou de découverte de la spiritualité. Les abus de certains hédonistes lui ont donné mauvaise presse, et les coups de projecteur éclairent davantage les inconvénients que ses qualités. » 3
À la perte de repère (absence de modèle identificatoire fort à la fois individuel et collectif proposé par la société actuelle), le rave répond par la mixture de la musique (son auto-vampirisation constante), les accoutrements débridés, le machinique et le chamanique qui font bon ménage, la danse transmutationnelle, le temps et lespace dissous dans un rituel virtualisé, une ouverture vers lautre sexe et vers le même sexe au-delà des paramètres connus de la séduction. Ce dernier point peut sexpliquer par un déplacement de la notion de plaisir en pleine ère du sida, en plein terrain dapprentissage de la sexualité.
« Tous les moyens mis en uvre dans lorganisation de la rave visent à conditionner une rupture. Le mot « sortir » prend ici un sens profond. « Sortir », cest sextraire volontairement, gratuitement, dune vie sociale réglée, tracée, pour vivre « autre chose » ». 4
Rien à espérer mais tout à ré-inventer
Car cette génération et ceux qui y adhèrent ne revendiquent rien (à quoi bon ?) sinon que de façon muette la paix dans un certain hédonisme consommé de la danse. Une pause tout de même réactive face à un quotidien sans lendemains qui chantent. Le « NO FUTURE », 20 ans après les débuts punk, étant toujours dactualité. « Linstant est à nous » signale la dernière campagne pour la bière Black Label (printemps 97). Lenjeu se situe là : le présent (linstant même) et le Moi (transcendé dans le magma de la foule en défoulement) sont pour ainsi dire les deux mamelles dont les ravers salimentent. Le besoin de palpiter, de se sentir vivre, vibrant. Sursaut salvateur.
Génération « comprimé »
Car ce qui est célébré dans de « rituel », avec ou sans substance, cest la volonté avant tout de festoyer. Relent des extravagances disco/gay, échos de lHalloween et de jeux de rôles au travers de bien des formes de carnavals ou parades populaires. « Portraits de la scène rave », car ce sont les ravers eux-mêmes qui volent le show en occupant, en revivifiant ces espaces délabrés, véritables « deadzones » post-industrielles5. Le spectacle est dans la salle, « plaisir spatial » (Stéphane Pratte, architecte). Plus souvent quautrement le dj reste dans lombre. Mais il ne faut pas se leurrer, à cause de la répétition des lieux, ce plaisir de la surprise risque pourtant de sestomper. Redon-dance.
« En ce sens, la techno est une thérapeutique, elle désarçonne le cavalier et élude le message mensonger ; limposteur, la fraude, la duperie tombent : les voix des chansons disparaissent, la présence scénique sépuise ( ) ».6
« Là où il y a eu de la frustration, de laliénation et du cynisme, il existe maintenant de nouvelles caractéristiques pour nous. Nous sommes pleins damour les uns envers les autres et nous le montrons. Nous sommes pleins de colère contre ce quon nous a fait. Et quand on se rappelle lautocensure et la répression de toutes ces années, des flots de larmes coulent de nos yeux. Mais nous sommes euphoriques, « high », nous vivons lenvol dun nouveau mouvement »7
« Le silence était revenu dans la pièce. Aucun son, sinon le crépitement de la drogue par-dessus les flammes. Prélude à leuphorie. Une fois que les gouttes étaient dans le bol à pipe, deux ou trois inhalations suffisaient pour faire naître la « divine fumée ». Discrètement, je prenais quelques images, et laissais les opiomanes à leurs rêves voluptueux » 8
*Photographe et co-fondateur des éditions Macano (Canada).
(1) The secret Paris of the 30s, Random House, New York, Thames and Hudson, London, 1976, (h.p.).
(2) Michel Maffesoli, entretien avec Michel Gaillot, « des effervescences festives », Bloc-notes, « La fête ! », n°13, sept. Oct. 1996, p. 69.
(3) Nicolas Saunders, E comme Ecstasy, Paris, Editions du Lézard, 1996, p. 196-197.
(4) Astrid Fontaine et Caroline Fontana, Raver, Paris, Anthropos, Economica, 1996, p. 14.
(5) Ex-Musée dart contemporain (Cité du Havre), arénas, salle de Bingo, Roulathèque, manège militaire, stade olympique, Atrium de la Tour Bell, Palais du commerce, Marché aux puces, sous-sol déglise, Musée Juste pour rire, sur la plage de Québec, sur un bateau au large du port de Québec, au milieu dun champ, entrepôts, lofts
(6) Thierry More, « La Techno ou comment la création survit à la mort de lArt », Bloc-notes, « Nouvelles motricités », n°9, été 1995, p. 29.
(7) Carl Wittman, « A Gay Manifesto », 1969, citation in Altered state, Matthew Collin, Londres, Serpents Tail, 1997, p. 10.
(8) Brassaï, The secret Paris of 30s, ibid, (h.p.).
(1) The secret Paris of the 30s, Random House, New York, Thames and Hudson, London, 1976, (h.p.).
(2) Michel Maffesoli, entretien avec Michel Gaillot, « des effervescences festives », Bloc-notes, « La fête ! », n°13, sept. Oct. 1996, p. 69.
(3) Nicolas Saunders, E comme Ecstasy, Paris, Editions du Lézard, 1996, p. 196-197.
(4) Astrid Fontaine et Caroline Fontana, Raver, Paris, Anthropos, Economica, 1996, p. 14.
(5) Ex-Musée dart contemporain (Cité du Havre), arénas, salle de Bingo, Roulathèque, manège militaire, stade olympique, Atrium de la Tour Bell, Palais du commerce, Marché aux puces, sous-sol déglise, Musée Juste pour rire, sur la plage de Québec, sur un bateau au large du port de Québec, au milieu dun champ, entrepôts, lofts
(6) Thierry More, « La Techno ou comment la création survit à la mort de lArt », Bloc-notes, « Nouvelles motricités », n°9, été 1995, p. 29.
(7) Carl Wittman, « A Gay Manifesto », 1969, citation in Altered state, Matthew Collin, Londres, Serpents Tail, 1997, p. 10.
(8) Brassaï, The secret Paris of 30s, ibid, (h.p.).