Sortie du DVD de Notre Monde
Notre Monde Notre Monde (2013, 119') un film de Thomas LacosteRassemblant plus de 35 intervenants, philosophes, sociologues, économistes, magistrats, médecins, universitaires et écrivains, Notre Monde propose un espace dexpression pour travailler, comme nous y enjoint JeanLuc Nancy à « une pensée commune ». Plus encore quun libre espace de parole, Notre Monde sappuie sur un ensemble foisonnant de propositions concrètes pour agir comme un rappel essentiel, individuel et collectif : « faites de la politique » et de préférence autrement.
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© Passant n°31 [octobre 2000 - novembre 2000]
© Passant n°31 [octobre 2000 - novembre 2000]
par C.C. alias Isaac Laquedem
Imprimer l'articleGermes nocifs
Il y a environ trois mois eut lieu en Chine une exposition dart contemporain stupéfiante à laquelle le parti communiste chinois tout occupé à éliminer les « germes nocifs » dans ladministration et lintelligentsia du pays ne prêta guère attention. Mais de quoi sagissait-il au juste ? Ni plus ni moins que dune installation qui, dépassant tout ce qui sest jusquici fait dans ce domaine, pourrait en avoir épuisé le concept jusquà la moelle. Quand le Palais des Papes accueillait dans ses murs une exposition sur la Beauté, lavant-garde artistique chinoise sintéressant à la vie et à la mort, documentait dans la chair défunte les aubes et les crépuscules de lexistence humaine et suspendait dans un décor dabattoir des torsades de bêtes encore animées. Le visiteur de lexposition admirait donc dans la première salle une tête de vieillard pétrifiée dans un grand bac de glace et sur la tempe droite de laquelle lartiste avait collé comme sil sagissait dune monstrueuse tumeur ou dune créature siamoise, un avorton sorti dun bocal de maternité. Après quelques heures, la glace fondant avec la chaleur et les spots, linstallation sauto-détruisait, vieillard et enfant coulant dans les profondeurs glauques de la baignoire.
A ceux que navait pas rebuté luvre de Zhyang Li Peng 1, et qui sétaient attendris sur ce résumé sublime de la filiation, Zhyang Li Pong réservait une plus intense émotion dans la salle suivante : là, deux guirlandes métalliques de 10 mètres dégringolaient de la voûte vers les spectateurs. Sur chaque câble, lartiste avait minutieusement épinglé des batraciens, des reptiles et des insectes qui se tordaient en vain sur leur fil de supplice. Les animaux pris au piège ne faisaient pas quexprimer par leurs contorsions ridicules la bêtise de toute vie animale. Car, tout cloués quils fussent à leurs filins dacier, ils nen oubliaient pas pour autant leurs appétits despèce. Ainsi les crapauds mangeaient-ils avant de mourir les insectes et les serpents se déhanchaient en tous sens pour dévorer qui une grenouille, qui un lézard. Zhyang Li Pong avait par cette installation résumé la longue chaîne des êtres biologiques. Incapables déchapper à leur destinée génétique, les animaux accrochés au câble mortel nen respectaient pas moins leur rang zoologique... Et lhomme dans tout ça ? Repassez chez mon copain Zhyang Li Pong. Si la glace na pas encore fondu ! Mais entre la naissance et la mort ? Quid ? Je croyais que lart sintéressait aussi à cette période ! Non ! Trop confuse, trop emmêlée, cette période. Rien à en dire qui ne coure le risque de devenir un nouveau « germe nocif » à éradiquer.
Les créateurs sont des gens bien difficiles à comprendre. Par exemple, le Premier dentre eux, qui arracha le monde à son chaos primordial, et y sema ses créatures animales et humaines, que fait-il aujourdhui ? Et bien pas grand-chose. Il laisse à ses serviteurs le privilège dinterpréter le sens de la Création. Ainsi le grand Rabbin séfarade Ovadia Yossef, leader spirituel du parti Shass, a-t-il déclaré dans son homélie du 9 avril, jour anniversaire de la destruction des deux temples, date propice à des spéculations sur les catastrophes qui ont frappé Israël, que les six millions de trépassés de la Shoah nétaient pas morts pour rien, car ils étaient lincarnation des âmes pécheresses dIsraël ! Et le Saint Homme en grande verve nen resta pas là. Il ajouta que Dieu se repentait davoir créé les Arabes et aussi cette créature sans cervelle, Ehud Barak, qui dirige - mais son temps est compté ! - les affaires de la Terre Sainte...
En résumé, Dieu a rayé de la carte le Yiddishland, songe à effacer les Arabes de la Terre et se demande si le premier ministre dIsraël nest pas un goy... Pong et Peng ont peut-être raison. Il ne faut pas se frotter aux « germes nocifs », surtout quand linfaillible perspicacité du Parti Communiste chinois et du rabbin Yossef semploie à les débusquer et à les vaincre.
Heureusement il y a Avignon et la France où lon se préoccupe toujours de la Beauté. Zootechniciens, couturiers libertins, coiffeurs futuristes, trouble-fête du bon goût et des rigidités esthétiques, bref, tout ce que nos avant-gardes plastiques comptent de créateurs aussi audacieux pour faire la mode quhabiles à ne pas effaroucher leurs souteneurs par des chinoiseries cruelles ont célébré la Beauté dans la vieille Cité des Papes. Lune de ces artistes éclairées, jouant avec une complexe installation de gants, samusait davoir introduit dans lantique demeure des Souverains Pontifes la marque infâme de Satan. Jaurais dû en rire, comme on rit aujourdhui, chichement, en sexcusant presque de prêter attention à lironie convenue des temps. Mais je navais pas lhumeur rieuse. Peut-être parce que je me suis surpris à penser que les « germes nocifs » avaient plus la gueule des rébus de papier glissés dans les fentes dun Mur de mémoire par un homme à la démarche gourde que celle des polissonneries « chic » dAvignon. Hélas, la béatification de Pie IX ma refilé sur le champ des cauchemars de papamobile et ma collé une humeur maussade impropre à créer ou écrire quoi que ce soit. Jarrête donc !
Au fait, pour changer de sujet, mais ce nest pas si certain, je vous fais part de ce petit dicton yiddish : « Quand un emmerdeur quitte une salle, cest comme si un ami venait dy entrer ! »
A ceux que navait pas rebuté luvre de Zhyang Li Peng 1, et qui sétaient attendris sur ce résumé sublime de la filiation, Zhyang Li Pong réservait une plus intense émotion dans la salle suivante : là, deux guirlandes métalliques de 10 mètres dégringolaient de la voûte vers les spectateurs. Sur chaque câble, lartiste avait minutieusement épinglé des batraciens, des reptiles et des insectes qui se tordaient en vain sur leur fil de supplice. Les animaux pris au piège ne faisaient pas quexprimer par leurs contorsions ridicules la bêtise de toute vie animale. Car, tout cloués quils fussent à leurs filins dacier, ils nen oubliaient pas pour autant leurs appétits despèce. Ainsi les crapauds mangeaient-ils avant de mourir les insectes et les serpents se déhanchaient en tous sens pour dévorer qui une grenouille, qui un lézard. Zhyang Li Pong avait par cette installation résumé la longue chaîne des êtres biologiques. Incapables déchapper à leur destinée génétique, les animaux accrochés au câble mortel nen respectaient pas moins leur rang zoologique... Et lhomme dans tout ça ? Repassez chez mon copain Zhyang Li Pong. Si la glace na pas encore fondu ! Mais entre la naissance et la mort ? Quid ? Je croyais que lart sintéressait aussi à cette période ! Non ! Trop confuse, trop emmêlée, cette période. Rien à en dire qui ne coure le risque de devenir un nouveau « germe nocif » à éradiquer.
Les créateurs sont des gens bien difficiles à comprendre. Par exemple, le Premier dentre eux, qui arracha le monde à son chaos primordial, et y sema ses créatures animales et humaines, que fait-il aujourdhui ? Et bien pas grand-chose. Il laisse à ses serviteurs le privilège dinterpréter le sens de la Création. Ainsi le grand Rabbin séfarade Ovadia Yossef, leader spirituel du parti Shass, a-t-il déclaré dans son homélie du 9 avril, jour anniversaire de la destruction des deux temples, date propice à des spéculations sur les catastrophes qui ont frappé Israël, que les six millions de trépassés de la Shoah nétaient pas morts pour rien, car ils étaient lincarnation des âmes pécheresses dIsraël ! Et le Saint Homme en grande verve nen resta pas là. Il ajouta que Dieu se repentait davoir créé les Arabes et aussi cette créature sans cervelle, Ehud Barak, qui dirige - mais son temps est compté ! - les affaires de la Terre Sainte...
En résumé, Dieu a rayé de la carte le Yiddishland, songe à effacer les Arabes de la Terre et se demande si le premier ministre dIsraël nest pas un goy... Pong et Peng ont peut-être raison. Il ne faut pas se frotter aux « germes nocifs », surtout quand linfaillible perspicacité du Parti Communiste chinois et du rabbin Yossef semploie à les débusquer et à les vaincre.
Heureusement il y a Avignon et la France où lon se préoccupe toujours de la Beauté. Zootechniciens, couturiers libertins, coiffeurs futuristes, trouble-fête du bon goût et des rigidités esthétiques, bref, tout ce que nos avant-gardes plastiques comptent de créateurs aussi audacieux pour faire la mode quhabiles à ne pas effaroucher leurs souteneurs par des chinoiseries cruelles ont célébré la Beauté dans la vieille Cité des Papes. Lune de ces artistes éclairées, jouant avec une complexe installation de gants, samusait davoir introduit dans lantique demeure des Souverains Pontifes la marque infâme de Satan. Jaurais dû en rire, comme on rit aujourdhui, chichement, en sexcusant presque de prêter attention à lironie convenue des temps. Mais je navais pas lhumeur rieuse. Peut-être parce que je me suis surpris à penser que les « germes nocifs » avaient plus la gueule des rébus de papier glissés dans les fentes dun Mur de mémoire par un homme à la démarche gourde que celle des polissonneries « chic » dAvignon. Hélas, la béatification de Pie IX ma refilé sur le champ des cauchemars de papamobile et ma collé une humeur maussade impropre à créer ou écrire quoi que ce soit. Jarrête donc !
Au fait, pour changer de sujet, mais ce nest pas si certain, je vous fais part de ce petit dicton yiddish : « Quand un emmerdeur quitte une salle, cest comme si un ami venait dy entrer ! »
C.C. alias Isaac Laquedem