Sortie du DVD de Notre Monde
Notre Monde Notre Monde (2013, 119') un film de Thomas LacosteRassemblant plus de 35 intervenants, philosophes, sociologues, économistes, magistrats, médecins, universitaires et écrivains, Notre Monde propose un espace dexpression pour travailler, comme nous y enjoint JeanLuc Nancy à « une pensée commune ». Plus encore quun libre espace de parole, Notre Monde sappuie sur un ensemble foisonnant de propositions concrètes pour agir comme un rappel essentiel, individuel et collectif : « faites de la politique » et de préférence autrement.
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© Passant n°31 [octobre 2000 - novembre 2000]
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Qui veut noyer limpôt laccuse du naufrage
Haro sur limpôt. Ce nest pas nouveau, limpôt est sur la sellette depuis que la République existe. Cela ne surprendra personne puisque limpôt est linstrument économique de laction publique, et cest à ce titre quil faut comprendre les attaques dont il est lobjet.
Parmi celles-ci il y a la version populiste résumée par ladage « trop dimpôt tue limpôt » qui est la pâle copie dune courbe prétendument savante dessinée par un économiste libéral nommé Laffer quil na jamais pu démontrer. Il y a aussi laffirmation selon laquelle les investissements publics évinceraient les investissements privés en captant les ressources épargnées. A la base de ces arguments, on trouve lidée que lactivité menée sous la responsabilité de lEtat ou des collectivités locales serait gaspilleuse, inutile, contre-productive et responsable de marasme économique. Et tout le (beau) monde dapplaudir à la proposition de baisser les impôts.
A contre-courant
Presque tous les économistes présentent les choses ainsi : 45% du Produit Intérieur Brut sont prélevés sous formes dimpôts et de cotisations sociales ; ce sont les fameux prélèvements obligatoires. Et ils concluent : cest trop et, de toute façon, cest spoliateur. Quitte à ramer à contre-courant, ces deux conclusions sont idiotes.
Si lon en croit la vulgate libérale et sa cousine social-libérale, les prélèvements seraient effectués sur lactivité marchande privée, la seule productive et donc utile à la société. Faux, pour trois raisons.
Une : les impôts et cotisations sont versés par les personnes travaillant dans le public comme dans le privé.
Deux : par les dépenses publiques déducation, de santé, dinfrastructures, la collectivité, non seulement crée des richesses utiles pour le présent et lavenir, mais elle engendre des effets positifs sur lactivité privée elle-même. Pourquoi alors le commentateur matinal sur une radio publique (payé grâce à limpôt quil vilipende) se réjouit-il en annonçant que les ventes dautomobiles ou de téléphones portables augmentent et se lamente-t-il devant le « dérapage » des dépenses de santé ? Parce que ces dernières introduisent une dose de redistribution des revenus insupportable pour les libéraux et les groupes sociaux les plus favorisés.
Trois : nhésitons pas à faire un peu de théorie car la théorie tue la bêtise (nouvel adage déposé par Le Passant). Il y a dans notre système économique deux catégories dagents producteurs : les entreprises privées et la collectivité publique. Les premières décident de produire quand elles anticipent des débouchés pour leurs marchandises qui répondent à des besoins uniquement solvables. Elles réalisent alors des investissements et mettent en circulation des salaires avec lesquels les salariés achèteront. La vente sur le marché valide cette anticipation, la mévente la sanctionne.
Quant à la collectivité, anticipant lexistence de besoins collectifs, elle réalise des investissements publics et embauche. Dans ce cas, la validation est effectuée ex ante par une décision démocratique, le paiement de limpôt venant ensuite exprimer laccord de la population pour quexistent un système éducatif et une protection sociale et que soient assurées la sécurité publique et la justice. Deux preuves. Une : la production de services collectifs précède toujours limpôt ; jamais un instituteur na été payé au début du mois, il enseigne dabord et il est payé après grâce à un revenu produit par son activité et non pas ponctionné et qui retourne à son pôle émetteur grâce à limpôt de telle sorte que le cycle se perpétue. Deux : lOrganisation Mondiale de la Santé a établi un classement doù il ressort que la France a le premier service de santé au monde.
La notion de prélèvement est donc trompeuse : les prélèvements obligatoires sont en fait des suppléments souhaités par tous. La contradiction réside dans le fait que le consentement se situe sur un plan global et que les réticences sexpriment sur le plan individuel, alimentées par de profondes inégalités et par la propagande libérale selon laquelle seule la production marchande serait légitime car elle engendre de la valeur au sens marchand et un profit privé. Pourtant, si lactivité publique ne produit ni valeur ni profit, elle crée de la valeur dusage, cest-à-dire de la richesse. En ne distinguant pas valeur et richesse, les libéraux tentent de justifier la marchandisation du monde et le recul des services publics.
Augmenter les impôts
Le gouvernement allemand a annoncé 291 milliards de francs de baisse dimpôts de 1998 à 2005. Le gouvernement français prévoit une baisse de 120 milliards sur les trois ans à venir, en plus des 80 milliards pour cette année. Dans les deux cas, la baisse concernera limpôt sur les bénéfices des sociétés et les taux du barème progressif de limpôt sur le revenu. Pour que cette dernière annonce soit bien comprise par la Bourse, il est précisé que la baisse portera même sur les taux les plus élevés du barème.
Cest le contraire de réformes fiscales justes dans leur principe et dans leurs modalités. Derrière la démagogie de la baisse des impôts, il y a la volonté de réduire les dépenses et donc les services publics. Et au lieu délargir les tranches de limpôt sur le revenu dans le bas du barème pour en moduler la progressivité, M. Fabius diminue tous les taux, alors que la seule baisse des taux bas et moyens aurait quand même profité aux riches : ainsi, ce sera coup double pour eux. Au lieu de renforcer le poids des impôts directs par rapport aux impôts indirects aujourdhui, un tiers/deux tiers , il maintient limportance de la TVA qui représente 45% des impôts, soit 2,5 fois limpôt sur le revenu. Au lieu dengager une transformation écologique de notre système de transports, le gouvernement cède devant le chantage des patrons routiers. Pour une fois que la logique économique a du bon le prix des carburants doit augmenter au fur et à mesure que nous épuisons les réserves de pétrole , où sont passés les libéraux ?
Limpôt est critiquable parce que les riches et les très riches ont mille moyens pour y échapper et non pas parce quil aurait atteint un seuil insupportable. Si la société considère comme une bonne chose lallongement de lespérance de vie, il faudra bien quelle consacre une part croissante du PIB à la vieillesse ; si léducation est véritablement une priorité, il faut que sa place dans le PIB augmente. Sauf si lon veut plaire au capital en privatisant ces domaines, il faudra donc des impôts mieux répartis et croissants au fur et à mesure de la montée des besoins collectifs dordre qualitatif, relativement aux besoins privés que la productivité permet de satisfaire à un coût de plus en plus faible. Il en va de la qualité de la vie, contre lavis de la Bourse.
A suivre
Mathilde Losserand
Parmi celles-ci il y a la version populiste résumée par ladage « trop dimpôt tue limpôt » qui est la pâle copie dune courbe prétendument savante dessinée par un économiste libéral nommé Laffer quil na jamais pu démontrer. Il y a aussi laffirmation selon laquelle les investissements publics évinceraient les investissements privés en captant les ressources épargnées. A la base de ces arguments, on trouve lidée que lactivité menée sous la responsabilité de lEtat ou des collectivités locales serait gaspilleuse, inutile, contre-productive et responsable de marasme économique. Et tout le (beau) monde dapplaudir à la proposition de baisser les impôts.
A contre-courant
Presque tous les économistes présentent les choses ainsi : 45% du Produit Intérieur Brut sont prélevés sous formes dimpôts et de cotisations sociales ; ce sont les fameux prélèvements obligatoires. Et ils concluent : cest trop et, de toute façon, cest spoliateur. Quitte à ramer à contre-courant, ces deux conclusions sont idiotes.
Si lon en croit la vulgate libérale et sa cousine social-libérale, les prélèvements seraient effectués sur lactivité marchande privée, la seule productive et donc utile à la société. Faux, pour trois raisons.
Une : les impôts et cotisations sont versés par les personnes travaillant dans le public comme dans le privé.
Deux : par les dépenses publiques déducation, de santé, dinfrastructures, la collectivité, non seulement crée des richesses utiles pour le présent et lavenir, mais elle engendre des effets positifs sur lactivité privée elle-même. Pourquoi alors le commentateur matinal sur une radio publique (payé grâce à limpôt quil vilipende) se réjouit-il en annonçant que les ventes dautomobiles ou de téléphones portables augmentent et se lamente-t-il devant le « dérapage » des dépenses de santé ? Parce que ces dernières introduisent une dose de redistribution des revenus insupportable pour les libéraux et les groupes sociaux les plus favorisés.
Trois : nhésitons pas à faire un peu de théorie car la théorie tue la bêtise (nouvel adage déposé par Le Passant). Il y a dans notre système économique deux catégories dagents producteurs : les entreprises privées et la collectivité publique. Les premières décident de produire quand elles anticipent des débouchés pour leurs marchandises qui répondent à des besoins uniquement solvables. Elles réalisent alors des investissements et mettent en circulation des salaires avec lesquels les salariés achèteront. La vente sur le marché valide cette anticipation, la mévente la sanctionne.
Quant à la collectivité, anticipant lexistence de besoins collectifs, elle réalise des investissements publics et embauche. Dans ce cas, la validation est effectuée ex ante par une décision démocratique, le paiement de limpôt venant ensuite exprimer laccord de la population pour quexistent un système éducatif et une protection sociale et que soient assurées la sécurité publique et la justice. Deux preuves. Une : la production de services collectifs précède toujours limpôt ; jamais un instituteur na été payé au début du mois, il enseigne dabord et il est payé après grâce à un revenu produit par son activité et non pas ponctionné et qui retourne à son pôle émetteur grâce à limpôt de telle sorte que le cycle se perpétue. Deux : lOrganisation Mondiale de la Santé a établi un classement doù il ressort que la France a le premier service de santé au monde.
La notion de prélèvement est donc trompeuse : les prélèvements obligatoires sont en fait des suppléments souhaités par tous. La contradiction réside dans le fait que le consentement se situe sur un plan global et que les réticences sexpriment sur le plan individuel, alimentées par de profondes inégalités et par la propagande libérale selon laquelle seule la production marchande serait légitime car elle engendre de la valeur au sens marchand et un profit privé. Pourtant, si lactivité publique ne produit ni valeur ni profit, elle crée de la valeur dusage, cest-à-dire de la richesse. En ne distinguant pas valeur et richesse, les libéraux tentent de justifier la marchandisation du monde et le recul des services publics.
Augmenter les impôts
Le gouvernement allemand a annoncé 291 milliards de francs de baisse dimpôts de 1998 à 2005. Le gouvernement français prévoit une baisse de 120 milliards sur les trois ans à venir, en plus des 80 milliards pour cette année. Dans les deux cas, la baisse concernera limpôt sur les bénéfices des sociétés et les taux du barème progressif de limpôt sur le revenu. Pour que cette dernière annonce soit bien comprise par la Bourse, il est précisé que la baisse portera même sur les taux les plus élevés du barème.
Cest le contraire de réformes fiscales justes dans leur principe et dans leurs modalités. Derrière la démagogie de la baisse des impôts, il y a la volonté de réduire les dépenses et donc les services publics. Et au lieu délargir les tranches de limpôt sur le revenu dans le bas du barème pour en moduler la progressivité, M. Fabius diminue tous les taux, alors que la seule baisse des taux bas et moyens aurait quand même profité aux riches : ainsi, ce sera coup double pour eux. Au lieu de renforcer le poids des impôts directs par rapport aux impôts indirects aujourdhui, un tiers/deux tiers , il maintient limportance de la TVA qui représente 45% des impôts, soit 2,5 fois limpôt sur le revenu. Au lieu dengager une transformation écologique de notre système de transports, le gouvernement cède devant le chantage des patrons routiers. Pour une fois que la logique économique a du bon le prix des carburants doit augmenter au fur et à mesure que nous épuisons les réserves de pétrole , où sont passés les libéraux ?
Limpôt est critiquable parce que les riches et les très riches ont mille moyens pour y échapper et non pas parce quil aurait atteint un seuil insupportable. Si la société considère comme une bonne chose lallongement de lespérance de vie, il faudra bien quelle consacre une part croissante du PIB à la vieillesse ; si léducation est véritablement une priorité, il faut que sa place dans le PIB augmente. Sauf si lon veut plaire au capital en privatisant ces domaines, il faudra donc des impôts mieux répartis et croissants au fur et à mesure de la montée des besoins collectifs dordre qualitatif, relativement aux besoins privés que la productivité permet de satisfaire à un coût de plus en plus faible. Il en va de la qualité de la vie, contre lavis de la Bourse.
A suivre
Mathilde Losserand
(1) Tous les coûts sont répercutés dans les prix. Si certains patrons sen tirent moins bien que dautres, cest parce quils sont victimes des conditions que leur imposent leurs donneurs dordre (dautres patrons plus gros). Ce nest pas la faute des taxes mais la conséquence de la concurrence capitaliste dans un secteur en surcapacité de production. Les patrons les plus libéraux, victimes du marché quils vénèrent, appellent au secours lEtat quils haïssent.