Sortie du DVD de Notre Monde
Notre Monde Notre Monde (2013, 119') un film de Thomas LacosteRassemblant plus de 35 intervenants, philosophes, sociologues, économistes, magistrats, médecins, universitaires et écrivains, Notre Monde propose un espace dexpression pour travailler, comme nous y enjoint JeanLuc Nancy à « une pensée commune ». Plus encore quun libre espace de parole, Notre Monde sappuie sur un ensemble foisonnant de propositions concrètes pour agir comme un rappel essentiel, individuel et collectif : « faites de la politique » et de préférence autrement.
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© Passant n°30 [août 2000 - septembre 2000]
© Passant n°30 [août 2000 - septembre 2000]
par Brigitte Giraud
Imprimer l'articleLamour au plus que parfait ?
Le Passant Ordinaire : Que pensez-vous du lien ordinaire existant entre amour et sexualité ?
Philippe Brenot* : Amour et sexualité sont deux termes parfois réunis, souvent dissociés, en fonction des désirs ou des réalités. Les sociétés occidentales vivent aujourdhui sur le mythe, plutôt que le modèle, de la conjonction de laffectivité, de la sexualité, et même de la réussite sociale. Depuis lidéal amoureux du Moyen Age qui veut rapprocher le sexe et lamour, cette quête sest trouvée en face de réalités (XVIe, XVIIe siècles), dutopies libertines (XVIIIe siècle), de la rigueur morale (XIXe siècle) ou encore de lillusion libertaire du XXe siècle pour prendre conscience de la difficulté de lépanouissement du couple. Pourquoi celui-ci se réaliserait-il sur tous les domaines du possible, et non sur les domaines possibles de la rencontre à deux qui, pour certains, se fera seulement au plan physique, pour dautres au plan intellectuel, dautres au plan de la réussite sociale, de limage de soi La poursuite de la quête de lidéal amoureux mène souvent à des désillusions. Il est vrai que les deux termes damour et de sexualité sont souvent confondus ou synonymes, cest le pourquoi de cette confusion. Mais il est des amours sans sexualité et des sexualités sans amour.
P.O. Le domaine des sexothérapies montre une grande diversité dans les mesures daide apportée aux couples en difficulté. Y a-t-il donc tant dinsatisfaits, de douloureux, de souffrants sur le plan de la sexualité ?
P. B. Ce que nous appelons « difficultés sexuelles » nest que létat dun couple à un moment donné, et il est naturel que la réalisation intime ne soit pas toujours possible en fonction des désirs de lun, de lautre et donc de leur conjonction dans le couple. Lacceptation des variations, des fluctuations de létat amoureux, du degré dintimité du couple conditionne le degré de satisfaction. Certains couples, ou certaines époques, sont très largement tolérants et conscients des variations de létat du couple. Notre époque totalitaire en matière de réalisation amoureuse naccepte pas la moindre faille à ce système. Et sur le modèle des feuilletons américains où la première difficulté entraîne la séparation, les couples se séparent lorsquils ne connaissent pas la plénitude totale et permanente.
Dans cette mesure, la misère sexuelle est le lot des sociétés contemporaines avec un vécu dinsatisfaction souvent méconnu, négligé ou inconscient, qui a une profonde incidence sur dautres systèmes somatiques et participe à la constitution de tableaux psychosomatiques ou organiques plus importants. Cest ainsi quune grande part des affections cardiovasculaires, métaboliques, endocriniennes, sont certainement en relation avec des frustrations sexuelles au sens large du terme, cest-à-dire frustration et insatisfaction affectives et sexuelles. La libération des murs a permis de mieux accepter les comportements et les pratiques sexuelles, mais dans le même temps daugmenter la frustration des nombreux couples qui ne vivent pas cette plénitude prônée par les media (notamment féminins) qui la leur mettent quotidiennement devant les yeux.
P.O. Le sexologue ne pratique pas une science exacte. Il faut, jimagine, quil use dune infinie prudence dautant quil touche à lintime, à la structure profonde dun être. Quen pensez-vous ?
P. B. Il est important de préciser que le mot sexologue ne peut être un substantif dans la mesure où il ne confère aucune légitimité thérapeutique. Sexologue ne peut être quadjectif dun terme porteur de compétence thérapeutique comme médecin, psychiatre, psychologue, psychanalyste ou encore gynécologue ou andrologue, selon la formation de chacun. Le qualificatif sexologue permet ainsi dajouter à la compétence thérapeutique la connaissance dun domaine qui, du fait des tabous et des inhibitions des sociétés occidentales, nest enseigné dans aucune université mais nécessite une formation particulière pour accéder à la complexité de la sexualité humaine. Il est surprenant de savoir quil ny a pas une heure denseignement sur la sexualité au cours des études médicales, ni au cours des études de psychologie, ni au cours des études de psychiatrie et quun médecin psychanalyste, psychologue, psychiatre na pas plus que quiconque de compétence pour aborder la sexualité. La prudence et la modestie doivent alors être grandes pour comprendre les ressorts tant biologiques, psychologiques, socio-anthropologiques de lintimité, de la personnalité, de lunion à deux.
P.O. Les troubles sexuels dépassent largement le seul problème « mécanique ». On « se » soigne mais on ne guérit pas de soi. Que répondez-vous en matière de sexologie ?
P. B. On ne guérit évidemment jamais de soi, cest-à-dire que, quelle que soit la thérapie, on conserve sa personnalité. Les troubles sexuels dépassent le seul problème mécanique, mais le dépassement des difficultés psychologiques nest cependant pas suffisant pour dépasser les difficultés organiques ou « mécaniques » car il existe une profonde intrication entre biologie et psychologie et surtout une dimension dapprentissage et de désapprentissage de la sexualité, cest-à-dire que le psychologique ne suffit pas, ni lorganique, que les troubles psychologiques deviennent organiques du seul fait de leur pérénnité, et que les thérapies devront alors toujours allier psychologie, biologie et réapprentissage.
Consulter un sexologue nest pas un aveu dimpuissance, mais une prise de conscience que lindividu ou le couple ne peuvent pas facilement dépasser seuls une difficulté sexuelle. Essentiellement en raison de la complexité du symptôme sexuel qui mêle lorganique initial à de la psychologie, ou la psychologie initiale à de lorganique, dans la mesure aussi où tout symptôme sexuel est un symptôme relationnel qui implique le couple. Les compétences et lhabileté du thérapeute permettront alors dengager une stratégie qui peut permettre le dépassement du symptôme, le retour à un nouvel équilibre à deux qui permet souvent que ne sexprime plus une difficulté individuelle qui trouvait dans le symptôme sexuel un bénéfice pour son économie. Le symptôme sexuel ne répond pas toujours au modèle des thérapies individuelles.
P.O. Quel est le lien qui relie le psychiatre sexologue à lhomme de lettres que vous êtes aussi ?
P. B. La sexologie est pour moi une psychosomatique, cest-à-dire une grille de lecture de lhumain à travers lune des dimensions les plus importantes de sa vie relationnelle et affective. La sexologie est pour moi une anthropologie, cest-à-dire encore une fois lune des lectures de lhumain au plus intime de lêtre, de ses pulsions, de son étantité. Elle est pour lhumaniste un mode daccès à la nature profonde de lêtre humain, cest en cela quelle rejoint la démarche de lécrivain, de lhomme de lettres, qui, au plus profond de lêtre, recherche la nature de lhumain. les mots sont régis par la pulsion de vie et la pulsion de mort qui en sont la syntaxe. Cest certainement à larticulation de la vie et du langage que se situent nos interrogations les plus fécondes.
Propos recueillis par Brigitte Giraud
* Philippe Brenot est psychiatre, anthropologue directeur denseignement en sexologie à lUniversité de Bordeaux II, auteur et éditeur à LEsprit du Temps.