Sortie du DVD de Notre Monde
Notre Monde Notre Monde (2013, 119') un film de Thomas LacosteRassemblant plus de 35 intervenants, philosophes, sociologues, économistes, magistrats, médecins, universitaires et écrivains, Notre Monde propose un espace dexpression pour travailler, comme nous y enjoint JeanLuc Nancy à « une pensée commune ». Plus encore quun libre espace de parole, Notre Monde sappuie sur un ensemble foisonnant de propositions concrètes pour agir comme un rappel essentiel, individuel et collectif : « faites de la politique » et de préférence autrement.
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© Passant n°30 [août 2000 - septembre 2000]
© Passant n°30 [août 2000 - septembre 2000]
par Michaël Faure
Imprimer l'articleSexualité, prison et culpabilité
« Les personnes détenues ne sont pas des anges » nous dit-on. Pourtant on fait comme si, tant on les considère comme assexuées, allant jusquà les priver de sexualité. La non mixité reste toujours la règle dans les géôles françaises comme dans les salles de classe dantan. La prison devrait pourtant être un « lieu idéal » pour la sexualité puisquelle est le lieu de lombre, de lobscurité, du caché, du pas propre... Que neni !
« La force de lhabitude, du pouvoir, de la répression et des textes est parvenu à occulter en nous, prisonniers et ex-prisonniers lidée élémentaire que lactivité sexuelle est indissociable de la vie humaine. Les réducteurs de têtes et daspirations qui nous gouvernent sont parvenus à tuer en nous le désir du désir »(1). Ces propos de Serge Livrozet date de 1978. La même année, Jacque Lesage de la Haye
- un ex-détenu - publiait La guillotine du sexe. Où en sommes nous à ce jour ?
La réforme du régime pénitentiaire disciplinaire du 2 avril 1996 notifie que « constitue une faute du deuxième degré, le fait dimposer à la vue dautrui des actes obscènes ou susceptibles doffenser la pudeur ». La rédaction de cet article et cette manière de désigner la sexualité sans la nommer ou en la réduisant à des « actes obscènes » en dit long sur les représentations du législateur à lendroit de la sexualité. Quand à la « pudeur offensée », cest un peu lhôpital qui se fout de la charité.
Paradoxalement, la chancellerie annonçait le 2 mars dernier, limplantation dunité de visites familiales (UVF) sur trois sites pilotes, à la maison centrale de Poisssy (Yvelines), au centre de détention de Saint-Martin-de-Ré (Charentes-Maritime) et à la maison centrale des femmes de Rennes dici fin 2001(2). Ce projet a été abordé à moultes reprises ces vingt dernières années et sans cesse remis aux calendes grècques si bien quil fait aujourdhui figure darlésienne(3).
Quoiquil en soit les UVF ne suffiront pas à répondre à la question du droit à lintimité et à la vie privée des personnes détenues - notamment en maisons darrêt - et à juguler la surpopulation et la surinflation carcérale. Une relance des alternatives à lincarcération, le développement de réelles politiques daménagement des peines avec possibilités de recours, une réforme de la loi sur la présomption dinnocence, linstauration de numérus clausus sont des préalables à une évolution significative en ce sens.
En létat, la détention assigne la personne détenue dans une enclave où le plaisir est une zone interdite. Tout est comme si la personne nétait pas reconnue comme digne de mériter et de donner du plaisir ni comme sujet désirant et désiré. La peine ou la punition doit inclure linterdiction du plaisir. Tout est comme si le détenu devait être banni sur un plan affectif et sexuel.
Cette non reconnaissance dune liberté daccès au droit à lintimité participe de la négation de lintégrité de la personne. La personne doit être une personne sans « ça » ; avec la sexualité en moins. Tout est comme si on punissait la sexualité en lêtre. Comme si la sexualité était jugée coupable ou empreinte de culpabilité. Notons que dans le lieu où lon punit dune faute, la sexualité fait faute. Faute au sens de faire défaut mais également de manière pratique, implicite ou symbolique comme si la sexualité était une faute, un « pêché » quil fallait réprimer ou réprimander. La prison désigne ici la sexualité comme quelque chose de punissable et nous tend une fois encore un miroir dans lequel on ne veut pas se voir.
Situation humiliante et dégradante que dinfliger cette peine supplémentaire à un individu, que de lui dénier le droit à la sexualité. Infantilisation comme si la personne nétait pas à même dassumer la responsabilité de sa sexualité, ce qui justifierait une ingérence de lautorité publique dans sa vie privée. Tout est comme si le détenu devait discipliner son corps sur lequel ladministration aurait un droit de contrôle.
La négation de la reconnaissance du droit à la sexualité est une constante de lenfermement carcéral, psychiatrique et religieux. Il nous faudrait considérer ici linfluence du fait religieux sur la punition et la détention.
Historiquement la religion catholique a eu une influence majeure sur la détention ; la gestion de celle-ci et le contrôle des corps. Souvenons-nous des débats animés qui avaient cours au 18e siècle sur la sodomie ou la masturbation. Le contrôle de la sexualité déterminait des options dans la manière de détenir et de contenir. Certains prônaient lenfermement cellulaire (cest-à-dire individuel) là où dautres prônaient lenfermement collectif(4).
Le projet et les mécanismes disciplinaires de la prison ont été démontrés en détail par Michel Foucault(5). Souvenons-nous que le philosophe rappelait que par-delà la volonté de discipliner les corps, le jugement et la peine visaient à changer « lâme des criminels ». Ne serait-il pas temps de nous défaire de cette emprise du religieux et de notre religiosité à lendroit de la peine demprisonnement pour que la sanction - lorsque sanction il doit y avoir - prenne un visage laïque et par là plus humain ?
« La force de lhabitude, du pouvoir, de la répression et des textes est parvenu à occulter en nous, prisonniers et ex-prisonniers lidée élémentaire que lactivité sexuelle est indissociable de la vie humaine. Les réducteurs de têtes et daspirations qui nous gouvernent sont parvenus à tuer en nous le désir du désir »(1). Ces propos de Serge Livrozet date de 1978. La même année, Jacque Lesage de la Haye
- un ex-détenu - publiait La guillotine du sexe. Où en sommes nous à ce jour ?
La réforme du régime pénitentiaire disciplinaire du 2 avril 1996 notifie que « constitue une faute du deuxième degré, le fait dimposer à la vue dautrui des actes obscènes ou susceptibles doffenser la pudeur ». La rédaction de cet article et cette manière de désigner la sexualité sans la nommer ou en la réduisant à des « actes obscènes » en dit long sur les représentations du législateur à lendroit de la sexualité. Quand à la « pudeur offensée », cest un peu lhôpital qui se fout de la charité.
Paradoxalement, la chancellerie annonçait le 2 mars dernier, limplantation dunité de visites familiales (UVF) sur trois sites pilotes, à la maison centrale de Poisssy (Yvelines), au centre de détention de Saint-Martin-de-Ré (Charentes-Maritime) et à la maison centrale des femmes de Rennes dici fin 2001(2). Ce projet a été abordé à moultes reprises ces vingt dernières années et sans cesse remis aux calendes grècques si bien quil fait aujourdhui figure darlésienne(3).
Quoiquil en soit les UVF ne suffiront pas à répondre à la question du droit à lintimité et à la vie privée des personnes détenues - notamment en maisons darrêt - et à juguler la surpopulation et la surinflation carcérale. Une relance des alternatives à lincarcération, le développement de réelles politiques daménagement des peines avec possibilités de recours, une réforme de la loi sur la présomption dinnocence, linstauration de numérus clausus sont des préalables à une évolution significative en ce sens.
En létat, la détention assigne la personne détenue dans une enclave où le plaisir est une zone interdite. Tout est comme si la personne nétait pas reconnue comme digne de mériter et de donner du plaisir ni comme sujet désirant et désiré. La peine ou la punition doit inclure linterdiction du plaisir. Tout est comme si le détenu devait être banni sur un plan affectif et sexuel.
Cette non reconnaissance dune liberté daccès au droit à lintimité participe de la négation de lintégrité de la personne. La personne doit être une personne sans « ça » ; avec la sexualité en moins. Tout est comme si on punissait la sexualité en lêtre. Comme si la sexualité était jugée coupable ou empreinte de culpabilité. Notons que dans le lieu où lon punit dune faute, la sexualité fait faute. Faute au sens de faire défaut mais également de manière pratique, implicite ou symbolique comme si la sexualité était une faute, un « pêché » quil fallait réprimer ou réprimander. La prison désigne ici la sexualité comme quelque chose de punissable et nous tend une fois encore un miroir dans lequel on ne veut pas se voir.
Situation humiliante et dégradante que dinfliger cette peine supplémentaire à un individu, que de lui dénier le droit à la sexualité. Infantilisation comme si la personne nétait pas à même dassumer la responsabilité de sa sexualité, ce qui justifierait une ingérence de lautorité publique dans sa vie privée. Tout est comme si le détenu devait discipliner son corps sur lequel ladministration aurait un droit de contrôle.
La négation de la reconnaissance du droit à la sexualité est une constante de lenfermement carcéral, psychiatrique et religieux. Il nous faudrait considérer ici linfluence du fait religieux sur la punition et la détention.
Historiquement la religion catholique a eu une influence majeure sur la détention ; la gestion de celle-ci et le contrôle des corps. Souvenons-nous des débats animés qui avaient cours au 18e siècle sur la sodomie ou la masturbation. Le contrôle de la sexualité déterminait des options dans la manière de détenir et de contenir. Certains prônaient lenfermement cellulaire (cest-à-dire individuel) là où dautres prônaient lenfermement collectif(4).
Le projet et les mécanismes disciplinaires de la prison ont été démontrés en détail par Michel Foucault(5). Souvenons-nous que le philosophe rappelait que par-delà la volonté de discipliner les corps, le jugement et la peine visaient à changer « lâme des criminels ». Ne serait-il pas temps de nous défaire de cette emprise du religieux et de notre religiosité à lendroit de la peine demprisonnement pour que la sanction - lorsque sanction il doit y avoir - prenne un visage laïque et par là plus humain ?
Sociologue, auteur de Sexualités et violences en prison avec Daniel Welzer-Lang et Lilian Mathieu, éditions Observatoire international des prisons/Aléas.
(1) Voir lexcellent ouvrage de Christophe Soulié Liberté sur Parole, éditions Analis 1995.
(2) Voir Jean-Michel Dumay, dans Le Monde du 4 mars 2000.
(3) Voir Michaël Faure, Le Passant Ordinaire n°26 et Le Monde diplomatique de Mai 1998.
(4) Voir Daniel Welzer-Lang, Lilian Mathieu, Michaël Faure, Sexualités et violences en prison, édition Aléas/O.I.P, 1996.
(5) Voir Michel Foucault, Surveiller et punir, Gallimard 1975.
(1) Voir lexcellent ouvrage de Christophe Soulié Liberté sur Parole, éditions Analis 1995.
(2) Voir Jean-Michel Dumay, dans Le Monde du 4 mars 2000.
(3) Voir Michaël Faure, Le Passant Ordinaire n°26 et Le Monde diplomatique de Mai 1998.
(4) Voir Daniel Welzer-Lang, Lilian Mathieu, Michaël Faure, Sexualités et violences en prison, édition Aléas/O.I.P, 1996.
(5) Voir Michel Foucault, Surveiller et punir, Gallimard 1975.