Sortie du DVD de Notre Monde
Notre Monde Notre Monde (2013, 119') un film de Thomas LacosteRassemblant plus de 35 intervenants, philosophes, sociologues, économistes, magistrats, médecins, universitaires et écrivains, Notre Monde propose un espace dexpression pour travailler, comme nous y enjoint JeanLuc Nancy à « une pensée commune ». Plus encore quun libre espace de parole, Notre Monde sappuie sur un ensemble foisonnant de propositions concrètes pour agir comme un rappel essentiel, individuel et collectif : « faites de la politique » et de préférence autrement.
Retour
© Passant n°30 [août 2000 - septembre 2000]
© Passant n°30 [août 2000 - septembre 2000]
par Nicolas Frize
Imprimer l'articleLamour est transmissible
Déclaration
Je ne voudrai jamais savoir qui tu es, ni tencercler dans ta propre image, ni tenfermer dans mon idée. Si je taime, cest parce que tu es, tel(le) que tu apparais et non pas tel(le) que je taperçois (la frontière est folle !). Ce qui mémeut, cest ton existence, le fait que tu vives là, avec tout ton lot de réactions, de luttes, ta beauté, tes idées, ton impact sur les choses, les sensations que tu provoques, ta présence dans lhistoire de nous tous, ton corps à perte de vue offert au monde, si loin de toi, si près de chacun de nous qui tentourons. Tu rayonnes en diffractant. Le monde nest pas ton miroir, il est ton creuset, tu y offres ta pâte, ta chair, tes mots, tes yeux, les méandres de tes sens, tu éclaires ce qui tentoure sous un angle unique, je taime et je ne suis pas le seul.
Je suis attentif à ce qui test le plus intime mais ny entrerai jamais, je resterai au dehors de ta personne, au dehors des temps et des espaces qui tappartiennent ou que tu empruntes, tu nas pas plus de vie privée que moi - nous sommes tous publics, mais tu as une perception du monde singulière et cest elle que nous recherchons tous : nous sommes des amoureux fous (même si je ne sais pas toujours qui sont les autres). Tu nous entraînes dans le doute et le fantastique : avec toi, tout change de couleur, de sonorités et de sentiments, tu nous tends, tu nous approfondis Je suis attiré par tes odeurs, par les lieux que tu fréquentes, par ton lit, tes oreillers, tes matières, je mintéresse aux gens que tu touches, à tes regards, tes jouissances, toutes les vies que tu peux mener
Il ny aura jamais de confusion entre tes draps et les miens : je veux tinviter invite-moi !
Tu nes à personne, ni à lun(e), ni à chacun(e), ni à tous ni à toi-même Tu es aux courants, au mouvement.
Là où tu es, quand tu es personne ne te vole. Loin de la propriété, privée ou publique, nous savons fuir les clans, les replis, les accouplements, les mariages, les pacs, les sectes et toutes formes de carcéralités primitives ou progressistes, hypocritement sentimentales, toujours à laffût de chaînes déguisées en preuves ! La société est tout entière et nous la formons ; pourquoi la diviser ? Je nai pas de mur à moi, et ta maison nest pas davantage la tienne : je veux aller te visiter, sentir ta peau, me perdre dans tes mots, accompagner tes combats, mimprégner de tes plaisirs. Tu es un(e) autre, à jamais étranger(e), cest si bon de se rencontrer toutes ces secondes, tous ces matins, depuis tant de temps, pour toujours !
Manifeste
Lamour est transmissible. Chacun de nous a déjà appris tout petit à aimer deux personnes, ses deux parents (malheureusement deux cest bien peu !!!), puis y a ajouté un premier amour, un second, un troisième Quand on commence à aimer, on aime de plus en plus, on ne peut plus sarrêter Cest comme le sommeil ou la nourriture ! Mais le monde sest divisé en deux : pendant que les uns décident quaimer cétait dévorer, ingérer, consommer à lintérieur de soi, les autres respectent des frontières physiques et civiles, ne disposent pas du corps de lautre, semploient à ladmirer, le frôler, à glisser dessus, à lécouter, à goûter sa souveraineté ! Aucun de nous ne peut prétendre, sans objectif de totalité ou de conquête, à confondre son es-pace, ses projets, sa sexualité, ses be-soins personnels les plus intimes, avec ceux dun(e) autre ! Lidéologie du cou-ple avance lidée de complémentarité comme argumentaire dune osmose idéale : mais celle-ci peut savérer être loutil dune domination à double sens. Tenons-nous à lécart des duos cartésiens, où le désir sert dalibi au manque, les projets « en commun » pris en otage entre inhibition de lun et exhibition de lautre, le sexe en chantage mutuel permanent, la sexualité de lun étant exclusivement contrôlée par lautre.
La cargaison vaine des milliers duvres de théâtre ou autres gribouillis obsessionnels, des centaines de films hystériques, dopéras maladifs et de magazines stériles, à travers lhistoire ancienne ou contemporaine a colonisé notre présent, noyant nos capacités daimer dans des foutaises narcissiques où fidélité, cocufiages, contrats de couples/contrats de pouvoir et autres petits coups dadultères insipides le disputent au poliçage des relations, à la moralisation permanente, toutes formes de haine déguisées en possession, appelée ici outrageusement « amour » ! Ces auteurs prennent le monde en otage avec leurs impuissances personnelles à aimer, une et a fortiori plusieurs personnes, déguisant celles-ci en passion, inventant de grandes épopées ou de minables récits qui ne sont, sauf respect pour leur style, que de pâles et faibles histoires de culs bornées et polluantes ! Qui tous ces gens prétendent-ils aimer ? Quelle jouissance y a t il à simplifier la vie, à confondre attachement et violation de lespace amoureux de lautre, à singérer dans sa vie personnelle ? Pourquoi tant de malheureux se font-ils dépouiller par cet idéal étéré du couple : couples fous qui explosent sans cesse, par milliers et sans relâche, faisant voler du même coup tous leurs rêves, leurs vies, leurs espoirs, déchirant des enfants au passage qui auraient pu vivre lamour et qui navaient rien demandé. Ces enfants ont été trompés au moins deux fois : une fois de croire quils sont les enfants dun couple - comme si linné avait du sens sans lacquis, une deuxième fois de navoir pas de couple à se mettre sous la dent, pour alimenter cette inutile croyance. Pourquoi obéir à ses impuissances, abandonner son époque, nier la réalité, refuser dembrasser la complexité, la contradiction, la recherche, aimer autant la souffrance : comme avant laccident, chacun pense que lexplosion narrivera quaux autres, comme avant le déluge, chacun veut réinventer la vie, alors quil est simplement démuni de modèle intellectuel et sentimental alternatif, quil ne fait que singer les ornières de ses aînés, quil reproduit lâchement ce qui lui est sans cesse dicté par un environnement exclusif, par un monde qui se replie, se clôt, capitalise, nous inculque comment réussir sa vie en sappropriant celle dun autre, en sagrippant à elle.
Quest-ce que cest que cette histoire de contrats ? Ces couples savent, au plus fort de leur amour quils vont déjà mal alors ils produisent une pièce de théâtre de plus, klaxonnante, souvent bourrée et coûteuse, saffichent devant témoins pour claironner leur dépendance, dans un acte administratif, financier, religieux ! Ils ont à se donner une fidélité sur un papier, à se fixer un programme sur un contrat, à se promettre assistance ! Mais quont-ils donc à se reprocher déjà ? Cest pourtant clair : leur spectacle de guignol sert de cache sexe, il faut cacher le sexe de lautre, revendiquer le droit de cuissage, la prostitution officielle - chacun entretient lautre, et surtout se déguiser derrière le paravent de la liaison « officielle » pour que personne ne se rende compte que les con-joints quittent le monde, que dorénavant ils vont sinterdire daimer le monde, interdire à lautre de vivre par lui-même, dêtre autonome économiquement, sexuellement, physiquement, intellectuellement ! Toutes les sectes religieuses officielles de par le monde ont pris grand soin de bénir, livres saints à lappui, ces rites répétitifs, fûssent-ils laïques ! Arrachons-nous nos vies, communions, pacsons-nous, renforçons nos petits couples étriqués dans quelques cloisons et paperasses administratives de plus. La domination et la maîtrise de lautre sauraient-elles être gages damour ? Toujours plus dégalité ?
La liberté de lautre étend la mienne à linfini ! Je nous propose plutôt de nous aimer.
Nous, ce nest pas je et tu, nous cest nous ! La société nest pas la sommation cartésienne de milliers de je et de tu, tous accouplés les uns à côté des autres dans leurs cahutes privatives, romantiques ou intéressées, cest peut-être quelque chose de cent fois plus dynamique et respectueux de chacun, plus complexe et moins confusionnel : la subjectivité de chacun de nous ne peut pas être au service de la collectivité si elle est soumise à la privatisation de sa force amoureuse. La société a besoin de lamour, non pas comme « Dieu » qui réclame lamour aveugle de ses fidèles soumis, mais précisément linverse : lémancipation commune a besoin de lémancipation individuelle, de la fidélité insoumise. Aimer les framboises, ce nest pas être infidèle aux fraises, en revanche, cesser daimer les fraises sous le prétexte étranger que des framboises mûres viennent de provoquer la jouissance de notre palais amoureux, cest la preuve tangible quau fond, on naimait pas les fraises. La fidélité nest rien dautre que la permanence, lexigence de durée hors de toute conjoncture.
Vous êtes si nombreux, fruits sucrés, amers, acides, salés que jaime tant ! Ne cessez jamais dêtre autant !
Je suis attentif à ce qui test le plus intime mais ny entrerai jamais, je resterai au dehors de ta personne, au dehors des temps et des espaces qui tappartiennent ou que tu empruntes, tu nas pas plus de vie privée que moi - nous sommes tous publics, mais tu as une perception du monde singulière et cest elle que nous recherchons tous : nous sommes des amoureux fous (même si je ne sais pas toujours qui sont les autres). Tu nous entraînes dans le doute et le fantastique : avec toi, tout change de couleur, de sonorités et de sentiments, tu nous tends, tu nous approfondis Je suis attiré par tes odeurs, par les lieux que tu fréquentes, par ton lit, tes oreillers, tes matières, je mintéresse aux gens que tu touches, à tes regards, tes jouissances, toutes les vies que tu peux mener
Il ny aura jamais de confusion entre tes draps et les miens : je veux tinviter invite-moi !
Tu nes à personne, ni à lun(e), ni à chacun(e), ni à tous ni à toi-même Tu es aux courants, au mouvement.
Là où tu es, quand tu es personne ne te vole. Loin de la propriété, privée ou publique, nous savons fuir les clans, les replis, les accouplements, les mariages, les pacs, les sectes et toutes formes de carcéralités primitives ou progressistes, hypocritement sentimentales, toujours à laffût de chaînes déguisées en preuves ! La société est tout entière et nous la formons ; pourquoi la diviser ? Je nai pas de mur à moi, et ta maison nest pas davantage la tienne : je veux aller te visiter, sentir ta peau, me perdre dans tes mots, accompagner tes combats, mimprégner de tes plaisirs. Tu es un(e) autre, à jamais étranger(e), cest si bon de se rencontrer toutes ces secondes, tous ces matins, depuis tant de temps, pour toujours !
Manifeste
Lamour est transmissible. Chacun de nous a déjà appris tout petit à aimer deux personnes, ses deux parents (malheureusement deux cest bien peu !!!), puis y a ajouté un premier amour, un second, un troisième Quand on commence à aimer, on aime de plus en plus, on ne peut plus sarrêter Cest comme le sommeil ou la nourriture ! Mais le monde sest divisé en deux : pendant que les uns décident quaimer cétait dévorer, ingérer, consommer à lintérieur de soi, les autres respectent des frontières physiques et civiles, ne disposent pas du corps de lautre, semploient à ladmirer, le frôler, à glisser dessus, à lécouter, à goûter sa souveraineté ! Aucun de nous ne peut prétendre, sans objectif de totalité ou de conquête, à confondre son es-pace, ses projets, sa sexualité, ses be-soins personnels les plus intimes, avec ceux dun(e) autre ! Lidéologie du cou-ple avance lidée de complémentarité comme argumentaire dune osmose idéale : mais celle-ci peut savérer être loutil dune domination à double sens. Tenons-nous à lécart des duos cartésiens, où le désir sert dalibi au manque, les projets « en commun » pris en otage entre inhibition de lun et exhibition de lautre, le sexe en chantage mutuel permanent, la sexualité de lun étant exclusivement contrôlée par lautre.
La cargaison vaine des milliers duvres de théâtre ou autres gribouillis obsessionnels, des centaines de films hystériques, dopéras maladifs et de magazines stériles, à travers lhistoire ancienne ou contemporaine a colonisé notre présent, noyant nos capacités daimer dans des foutaises narcissiques où fidélité, cocufiages, contrats de couples/contrats de pouvoir et autres petits coups dadultères insipides le disputent au poliçage des relations, à la moralisation permanente, toutes formes de haine déguisées en possession, appelée ici outrageusement « amour » ! Ces auteurs prennent le monde en otage avec leurs impuissances personnelles à aimer, une et a fortiori plusieurs personnes, déguisant celles-ci en passion, inventant de grandes épopées ou de minables récits qui ne sont, sauf respect pour leur style, que de pâles et faibles histoires de culs bornées et polluantes ! Qui tous ces gens prétendent-ils aimer ? Quelle jouissance y a t il à simplifier la vie, à confondre attachement et violation de lespace amoureux de lautre, à singérer dans sa vie personnelle ? Pourquoi tant de malheureux se font-ils dépouiller par cet idéal étéré du couple : couples fous qui explosent sans cesse, par milliers et sans relâche, faisant voler du même coup tous leurs rêves, leurs vies, leurs espoirs, déchirant des enfants au passage qui auraient pu vivre lamour et qui navaient rien demandé. Ces enfants ont été trompés au moins deux fois : une fois de croire quils sont les enfants dun couple - comme si linné avait du sens sans lacquis, une deuxième fois de navoir pas de couple à se mettre sous la dent, pour alimenter cette inutile croyance. Pourquoi obéir à ses impuissances, abandonner son époque, nier la réalité, refuser dembrasser la complexité, la contradiction, la recherche, aimer autant la souffrance : comme avant laccident, chacun pense que lexplosion narrivera quaux autres, comme avant le déluge, chacun veut réinventer la vie, alors quil est simplement démuni de modèle intellectuel et sentimental alternatif, quil ne fait que singer les ornières de ses aînés, quil reproduit lâchement ce qui lui est sans cesse dicté par un environnement exclusif, par un monde qui se replie, se clôt, capitalise, nous inculque comment réussir sa vie en sappropriant celle dun autre, en sagrippant à elle.
Quest-ce que cest que cette histoire de contrats ? Ces couples savent, au plus fort de leur amour quils vont déjà mal alors ils produisent une pièce de théâtre de plus, klaxonnante, souvent bourrée et coûteuse, saffichent devant témoins pour claironner leur dépendance, dans un acte administratif, financier, religieux ! Ils ont à se donner une fidélité sur un papier, à se fixer un programme sur un contrat, à se promettre assistance ! Mais quont-ils donc à se reprocher déjà ? Cest pourtant clair : leur spectacle de guignol sert de cache sexe, il faut cacher le sexe de lautre, revendiquer le droit de cuissage, la prostitution officielle - chacun entretient lautre, et surtout se déguiser derrière le paravent de la liaison « officielle » pour que personne ne se rende compte que les con-joints quittent le monde, que dorénavant ils vont sinterdire daimer le monde, interdire à lautre de vivre par lui-même, dêtre autonome économiquement, sexuellement, physiquement, intellectuellement ! Toutes les sectes religieuses officielles de par le monde ont pris grand soin de bénir, livres saints à lappui, ces rites répétitifs, fûssent-ils laïques ! Arrachons-nous nos vies, communions, pacsons-nous, renforçons nos petits couples étriqués dans quelques cloisons et paperasses administratives de plus. La domination et la maîtrise de lautre sauraient-elles être gages damour ? Toujours plus dégalité ?
La liberté de lautre étend la mienne à linfini ! Je nous propose plutôt de nous aimer.
Nous, ce nest pas je et tu, nous cest nous ! La société nest pas la sommation cartésienne de milliers de je et de tu, tous accouplés les uns à côté des autres dans leurs cahutes privatives, romantiques ou intéressées, cest peut-être quelque chose de cent fois plus dynamique et respectueux de chacun, plus complexe et moins confusionnel : la subjectivité de chacun de nous ne peut pas être au service de la collectivité si elle est soumise à la privatisation de sa force amoureuse. La société a besoin de lamour, non pas comme « Dieu » qui réclame lamour aveugle de ses fidèles soumis, mais précisément linverse : lémancipation commune a besoin de lémancipation individuelle, de la fidélité insoumise. Aimer les framboises, ce nest pas être infidèle aux fraises, en revanche, cesser daimer les fraises sous le prétexte étranger que des framboises mûres viennent de provoquer la jouissance de notre palais amoureux, cest la preuve tangible quau fond, on naimait pas les fraises. La fidélité nest rien dautre que la permanence, lexigence de durée hors de toute conjoncture.
Vous êtes si nombreux, fruits sucrés, amers, acides, salés que jaime tant ! Ne cessez jamais dêtre autant !
Compositeur de musique contemporaine
Nicolas Frize