Sortie du DVD de Notre Monde
Notre Monde Notre Monde (2013, 119') un film de Thomas LacosteRassemblant plus de 35 intervenants, philosophes, sociologues, économistes, magistrats, médecins, universitaires et écrivains, Notre Monde propose un espace dexpression pour travailler, comme nous y enjoint JeanLuc Nancy à « une pensée commune ». Plus encore quun libre espace de parole, Notre Monde sappuie sur un ensemble foisonnant de propositions concrètes pour agir comme un rappel essentiel, individuel et collectif : « faites de la politique » et de préférence autrement.
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© Passant n°29 [juin 2000 - juillet 2000]
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Eliane Dommange, la face grise de lhistoire.
« Depuis le procès, je ne suis plus la même, il y a des choses que je faisais et que je trouve aujourdhui inutiles et dautres que je ne faisais pas et que je veux faire ». Eliane Dommange comme son oncle Maurice David Matisson, sa cousine Esther Fogiel, comme Michel, Juliette et quelques autres, a voulu consommer jusquà la lie le procès de Bordeaux. Avec son mari, elle a quitté Paris pour sinstaller pendant ces longs mois dans la capitale girondine. Souvent, elle quittait brusquement la salle daudience. Souvent, ses yeux sembuaient de larmes derrière ses lunettes. Souvent, la colère faisait trembler sa voix fragile. Souvent, sous la sexagénaire discrète pointait la petite fille de 8 ans quelle fut en 42. Elle était là avec son frère Jacky pour incarner la mémoire dAntoinette et Henry Alisvask, commerçants dorigine Lettone, interdits dactivité, sauf de cacher des résistants, des francs tireurs... Henry et Antoinette et leurs trois enfants furent arrêtés dans leur appartement de la rue Buhan à Bordeaux alors quils attendaient le passeur pour gagner la zone libre. Conduits au Fort du Hâ, les enfants furent sauvés grâce à lintervention dun gendarme. Comme 6 autres membres de sa famille, ses parents périrent dans les camps dextermination. Cet entretien sest déroulé fin octobre, au lendemain de la tentative de fuite de Maurice Papon.
Quel sentiment avez vous éprouvé en voyant Maurice Papon emprisonné ?
Cest vrai que cela me fait plaisir mais je ne peux pas le manifester parce que jarrive pas à bien me lexpliquer. Moi jai toujours dit quenvoyer Papon en prison à son âge, ce nest pas un but en soi, le but cétait quil soit condamné. Mais avec mon mari, on a été voir le camp de concentration en Alsace, il y trois semaines. Quand vous sortez de là, vous dites mais Papon il faut quil paye ! Alors vous voyez, il y a un mélange, une lutte avec moi même. Dun côté, je suis contente, il faut quil se rende compte de ce que les juifs et les résistants ont supporté dans la déportation, les humiliations Et il y a mon côté humanitaire qui dit : « mais à quoi ça sert ? » Pourtant il vaut mieux ne pas penser à Papon, mais à la génération daujourdhui en disant : « quoi quait fait un homme, il faut aller au bout de la peine ».
La fuite de M. Papon en Suisse vous a-t-elle surprise ?
Pas du tout, on la vu pendant les 6 mois du procès, il a toujours fui même si des fois, il lâchait un petit mot en disant : « cest moi qui tirais les ficelles, jétais à une réception avec les nazis le jour où lon déportait des juifs », ou « jétais à la chasse avec les SS. » Non, jaurais été étonné quil se présente...
Dans votre déposition vous avez dit : « le pardon, je ne pourrai pas ». Etes vous toujours sur ces positions là ?
Non, je ne peux pas pardonner à Papon. Il a arrêté et fait déporter mes parents, ces gens qui navaient rien fait. Cétaient monsieur-tout-le-monde bien que jaie appris un mois avant le procès quils avaient fait de la résistance. Quand on est résistant, on sait les risques et les responsabilités que lon prend mais là ils ont été déportés. Pourquoi ? Pour rien ! Parce quils croyaient au même dieu que tout le monde mais dune autre façon, et ça je peux pas ladmettre...
Toute votre vie vous avez été confrontée à ce que vous appelez « la face grise de votre histoire », ces cauchemars la nuit, en contradiction avec ce que vous viviez dans votre famille, ces nuits où vous étiez de nouveau lenfant quon enlevait à ses parents et cette crainte quon vous prenne les vôtres...
Hier soir je discutais avec mon fils, il en a parlé pour la première fois avec ses collègues, il navait jamais pu le faire, dire notamment quil avait porté plainte, quil avait participé au procès, et jai senti que quelque chose se dénouait chez lui... Ces événements ont marqué une grande partie de mon enfance, de mon adolescence et même de ma vie de femme. Jai jamais osé dire que jétais juive alors que dautres lont proclamé après la guerre. Récemment, jétais à une fête populaire et il y avait un car avec à lintérieur des gens qui écoutaient quelquun parler, cétaient des femmes qui étaient immobiles et qui regardaient vers lavant du véhicule et bien, cette image ma fait craquer... Je pense que cest lié à mon histoire. Car je nai aucun souvenir conscient de la manière dont nous avons descendu nos trois étages, et dont nous avons été transportés. Jai été émue au point de ne pas pouvoir regarder cet autobus, car je voulais garder une contenance. Mais si javais été seule, je crois que jaurais regardé pour aller chercher au fond de moi même... Savoir pourquoi ça me rappelait quelque chose qui me prend Tout ça pour vous dire que 55 ans après, ça marque...
A partir de quand avez vous accepté labsence ?
Jai jamais cru que mes parents nous avaient abandonnés, ça ne ma jamais effleuré, jai toujours pensé quils allaient revenir, je les attendais à chaque coup quon frappait à la porte, et puis les jours les mois les années passent et jai jamais voulu accepter quils soient morts dans un camp, je me suis toujours dit : bon, cest arrivé mais jai toujours pensé quils avaient perdu la mémoire, cest peut-être pour moi mais javais besoin quils vivent quelque part, quils vivent heureux quelque part, je métais fait un cinéma, et persuadé quils avaient fondé une famille... Non pas pour nous abandonner car on se sentait très aimés de nos parents. Mais il fallait pour moi, petite fille, que je leur refasse une destinée et une vie, je pense que cest ça et que ça ma beaucoup aidé aussi...
Allez vous essayer daller plus loin aujourdhui, laffaire est terminée sur le plan judiciaire, le temps va faire son oeuvre mais allez vous laider en travaillant sur les mots ou bien allez vous laisser le temps agir ?
Le seul projet que jai mais je ne sais pas si je pourrai, je voudrais aller au camp dAuschwitz, je sais que ce sera difficile, pas demain peut-être pas après demain, mais jirai, peut-être pas pour moi par devoir pour mes parents, pour ma famille et je voudrais pouvoir le faire. Ce serait peut-être une façon de les enterrer définitivement
Vincent Gire
Quel sentiment avez vous éprouvé en voyant Maurice Papon emprisonné ?
Cest vrai que cela me fait plaisir mais je ne peux pas le manifester parce que jarrive pas à bien me lexpliquer. Moi jai toujours dit quenvoyer Papon en prison à son âge, ce nest pas un but en soi, le but cétait quil soit condamné. Mais avec mon mari, on a été voir le camp de concentration en Alsace, il y trois semaines. Quand vous sortez de là, vous dites mais Papon il faut quil paye ! Alors vous voyez, il y a un mélange, une lutte avec moi même. Dun côté, je suis contente, il faut quil se rende compte de ce que les juifs et les résistants ont supporté dans la déportation, les humiliations Et il y a mon côté humanitaire qui dit : « mais à quoi ça sert ? » Pourtant il vaut mieux ne pas penser à Papon, mais à la génération daujourdhui en disant : « quoi quait fait un homme, il faut aller au bout de la peine ».
La fuite de M. Papon en Suisse vous a-t-elle surprise ?
Pas du tout, on la vu pendant les 6 mois du procès, il a toujours fui même si des fois, il lâchait un petit mot en disant : « cest moi qui tirais les ficelles, jétais à une réception avec les nazis le jour où lon déportait des juifs », ou « jétais à la chasse avec les SS. » Non, jaurais été étonné quil se présente...
Dans votre déposition vous avez dit : « le pardon, je ne pourrai pas ». Etes vous toujours sur ces positions là ?
Non, je ne peux pas pardonner à Papon. Il a arrêté et fait déporter mes parents, ces gens qui navaient rien fait. Cétaient monsieur-tout-le-monde bien que jaie appris un mois avant le procès quils avaient fait de la résistance. Quand on est résistant, on sait les risques et les responsabilités que lon prend mais là ils ont été déportés. Pourquoi ? Pour rien ! Parce quils croyaient au même dieu que tout le monde mais dune autre façon, et ça je peux pas ladmettre...
Toute votre vie vous avez été confrontée à ce que vous appelez « la face grise de votre histoire », ces cauchemars la nuit, en contradiction avec ce que vous viviez dans votre famille, ces nuits où vous étiez de nouveau lenfant quon enlevait à ses parents et cette crainte quon vous prenne les vôtres...
Hier soir je discutais avec mon fils, il en a parlé pour la première fois avec ses collègues, il navait jamais pu le faire, dire notamment quil avait porté plainte, quil avait participé au procès, et jai senti que quelque chose se dénouait chez lui... Ces événements ont marqué une grande partie de mon enfance, de mon adolescence et même de ma vie de femme. Jai jamais osé dire que jétais juive alors que dautres lont proclamé après la guerre. Récemment, jétais à une fête populaire et il y avait un car avec à lintérieur des gens qui écoutaient quelquun parler, cétaient des femmes qui étaient immobiles et qui regardaient vers lavant du véhicule et bien, cette image ma fait craquer... Je pense que cest lié à mon histoire. Car je nai aucun souvenir conscient de la manière dont nous avons descendu nos trois étages, et dont nous avons été transportés. Jai été émue au point de ne pas pouvoir regarder cet autobus, car je voulais garder une contenance. Mais si javais été seule, je crois que jaurais regardé pour aller chercher au fond de moi même... Savoir pourquoi ça me rappelait quelque chose qui me prend Tout ça pour vous dire que 55 ans après, ça marque...
A partir de quand avez vous accepté labsence ?
Jai jamais cru que mes parents nous avaient abandonnés, ça ne ma jamais effleuré, jai toujours pensé quils allaient revenir, je les attendais à chaque coup quon frappait à la porte, et puis les jours les mois les années passent et jai jamais voulu accepter quils soient morts dans un camp, je me suis toujours dit : bon, cest arrivé mais jai toujours pensé quils avaient perdu la mémoire, cest peut-être pour moi mais javais besoin quils vivent quelque part, quils vivent heureux quelque part, je métais fait un cinéma, et persuadé quils avaient fondé une famille... Non pas pour nous abandonner car on se sentait très aimés de nos parents. Mais il fallait pour moi, petite fille, que je leur refasse une destinée et une vie, je pense que cest ça et que ça ma beaucoup aidé aussi...
Allez vous essayer daller plus loin aujourdhui, laffaire est terminée sur le plan judiciaire, le temps va faire son oeuvre mais allez vous laider en travaillant sur les mots ou bien allez vous laisser le temps agir ?
Le seul projet que jai mais je ne sais pas si je pourrai, je voudrais aller au camp dAuschwitz, je sais que ce sera difficile, pas demain peut-être pas après demain, mais jirai, peut-être pas pour moi par devoir pour mes parents, pour ma famille et je voudrais pouvoir le faire. Ce serait peut-être une façon de les enterrer définitivement
Vincent Gire