Sortie du DVD de Notre Monde
Notre Monde Notre Monde (2013, 119') un film de Thomas LacosteRassemblant plus de 35 intervenants, philosophes, sociologues, économistes, magistrats, médecins, universitaires et écrivains, Notre Monde propose un espace dexpression pour travailler, comme nous y enjoint JeanLuc Nancy à « une pensée commune ». Plus encore quun libre espace de parole, Notre Monde sappuie sur un ensemble foisonnant de propositions concrètes pour agir comme un rappel essentiel, individuel et collectif : « faites de la politique » et de préférence autrement.
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© Passant n°29 [juin 2000 - juillet 2000]
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Les salariés ne demandent pas la lune
Les patrons nont pas dargent pour payer les salariés mais ils ont des idées ! La Direction de lhypermarché Casino de Poitiers vient den administrer la preuve : plutôt que daccorder une augmentation de salaires à ses employés, elle leur a remis un bout de papier attestant que chacun devenait propriétaire dun hectare de lune1. Je nai pas de quoi payer mon loyer mais je suis propriétaire de la lune. Je rêve. Déjà, je murmure un hymne à lastre, je lui dédis mes amours, je me prends pour Rimbaud (Mallarmé avait surnommé Rimbaud le « passant considérable ». « Il faut être absolument moderne » écrivait le poète entre deux strophes. Etre moderne, être embarqué dans le cyberespace, assurer sa position dans la « nouvelle » économie, pour un patron, cest payer ses salariés non pas en salaires, cest trop simple, ça fait vieux jeu, et surtout ça coûte, mais en bouts de papier censés représenter quelques arpents de lune. Jusquici, les salariés des grandes surfaces étaient payés au lance-pierre. Dorénavant, ils nauront que les cailloux lunaires, sans la fronde. A moins que
Prolétaires de tous les pays
Cela ne suffisait pas de condamner à mourir de faim et de soif un milliard et demi dêtre humains pourquoi sen émouvoir puisque ces gens, étant analphabètes, ne savent même pas quils pourraient vivre dignement , cela ne suffisait pas dexploiter plus de cent millions denfants au travail forcé ainsi, comme il ny a pas décoles, ils ne traînent pas dans les rues , cela ne suffisait pas de dévaster la planète aucune crainte à avoir puisquon entrepose les déchets près des populations pauvres2 , cela ne suffisait pas de piller les ressources on peut dormir tranquille car Vivendi soccupe de leau , tout cela ne suffisait pas, le capitalisme invente les droits de polluer, cest-à-dire les droits de propriété privée sur la nature (voir la chronique La bourse ou la vie dans le Passant n° 28), et les droits de propriété sur la lune.
Capital, seul objet de mon ressentiment,
Capital, à qui vient son bras dimmoler les enfants,
Capital, que lon voit se repaître dans lor,
Capital, que je hais car il nous déshonore.
On peut compter sur le capitalisme pour expédier sur orbite les damnés de la terre quand ils seront devenus trop gênants. Déjà, aux XVIIIe et XIXe siècles, il avait jeté sur les routes les pauvres des campagnes et lancé sur les mers les crève-la-faim irlandais pour aller coloniser lAmérique. Quand la technique le permettra, pourquoi ne pas envoyer quelques pauvres préparer le terrain de nouveaux eldorados sur la lune ou sur Mars ?
En attendant, cest tout bénéfice. En payant les salariés en bouts de papier qui ne coûtent que le papier et lencre de la photocopieuse, il ny a pas de cotisations sociales à verser : pour quoi faire puisque, si je rêve à la lune, je serais moins stressé et moins malade, donc plus besoin de sécu. En promettant aux salariés des augmentations de rémunération sous forme dactions ou de plans dépargne salariale encore des bouts de papier , non seulement ce sont des promesses de vent, mais cela permet de faire miroiter aux pauvres un enrichissement boursier qui ne pourrait provenir que dune exploitation dencore plus pauvres queux (voir Le bon bougre et le pauvre bougre de J.M. Harribey dans le Passant n° 27).
exigez votre dû et plus encore
On le répète ici invariablement : seuls, les travailleurs créent la valeur des richesses produites. Le capital ne crée aucune valeur. En apparence, le soleil tourne autour de la terre et les riches créent des emplois. En réalité, la terre tourne autour du soleil, et cest lemploi qui crée les riches car le travail engendre de la valeur nouvelle dont les propriétaires du capital sapproprient la plus grosse part pour senrichir davantage. Oui mais (je lattendais ! ), ils avancent le magot avant, certes, den récupérer un plus gros (voir la chronique La bourse ou la vie dans le Passant n° 27) : faut-il donc toujours des capitalistes pour avancer les fonds ? Non, labolition du capitalisme ne signifiera pas la fin de linvestissement ; celui-ci sera décidé démocratiquement : après avoir retrouvé la maîtrise collective de la création monétaire, il sera socialisé.
Qui sème le vent des petits bouts de papier
Récolte la tempête, espoir des humiliés.
Est-ce demander la lune que de la refuser par petits morceaux, comme lots de consolation, et dexiger, en tant que salariés, notre dû, cest-à-dire des conditions de travail et des salaires décents, de telle sorte que le produit de lactivité économique soit réparti équitablement ? La lune que nous souhaitons nest pas celle des patrons : le chemin des étoiles est tracé dans nos têtes et ne sera pas écrit sur des titres de propriété foncière ou financière. Nous ne voulons pas tenir les cordons de la Bourse et préférons retrouver le fil de la vie.
(A suivre)
(1) Lire aussi larticle de Jambonneau du Passant Ordinaire.
(2) Lancien chef des études économiques de la Banque mondiale, aujourdhui secrétaire dEtat au Trésor américain, Lawrence Summers, écrivait en 1992 : « Les pays sous-peuplés dAfrique sont largement sous-pollués. La qualité de lair y est dun niveau inutilement élevé par rapport à Los Angeles ou Mexico (...) Il faut encourager une migration plus importante des industries polluantes vers les pays les moins avancés (...) et se préoccuper davantage dun facteur aggravant les risques dun cancer de la prostate dans un pays où les gens vivent assez vieux pour avoir cette maladie, que dans un autre pays où deux cents enfants sur mille meurent avant davoir lâge de cinq ans. ( ) Le calcul du coût dune pollution dangereuse pour la santé dépend des profits absorbés par laccroissement de la morbidité et de la mortalité. De ce point de vue, une certaine dose de pollution devrait exister dans les pays où ce coût est le plus faible, autrement dit où les salaires sont les plus bas. Je pense que la logique économique qui veut que des masses de déchets toxiques soient déversées là où les salaires sont les plus faibles est imparable. »
(2) Lancien chef des études économiques de la Banque mondiale, aujourdhui secrétaire dEtat au Trésor américain, Lawrence Summers, écrivait en 1992 : « Les pays sous-peuplés dAfrique sont largement sous-pollués. La qualité de lair y est dun niveau inutilement élevé par rapport à Los Angeles ou Mexico (...) Il faut encourager une migration plus importante des industries polluantes vers les pays les moins avancés (...) et se préoccuper davantage dun facteur aggravant les risques dun cancer de la prostate dans un pays où les gens vivent assez vieux pour avoir cette maladie, que dans un autre pays où deux cents enfants sur mille meurent avant davoir lâge de cinq ans. ( ) Le calcul du coût dune pollution dangereuse pour la santé dépend des profits absorbés par laccroissement de la morbidité et de la mortalité. De ce point de vue, une certaine dose de pollution devrait exister dans les pays où ce coût est le plus faible, autrement dit où les salaires sont les plus bas. Je pense que la logique économique qui veut que des masses de déchets toxiques soient déversées là où les salaires sont les plus faibles est imparable. »