Sortie du DVD de Notre Monde
Notre Monde Notre Monde (2013, 119') un film de Thomas LacosteRassemblant plus de 35 intervenants, philosophes, sociologues, économistes, magistrats, médecins, universitaires et écrivains, Notre Monde propose un espace dexpression pour travailler, comme nous y enjoint JeanLuc Nancy à « une pensée commune ». Plus encore quun libre espace de parole, Notre Monde sappuie sur un ensemble foisonnant de propositions concrètes pour agir comme un rappel essentiel, individuel et collectif : « faites de la politique » et de préférence autrement.
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© Passant n°29 [juin 2000 - juillet 2000]
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Sans foi ni loi
La partie sest jouée en trois temps. Il y avait eu dans les années 70 un grand coup de balai sur les vieux secteurs industriels tels que le textile, la sidérurgie et les chantiers navals. Les dégraissages, lélimination des « canards boiteux » et les premières délocalisations avaient supprimé les emplois devenus trop coûteux et restauré une rentabilité qui sétait émoussée au fil des ans car même les meilleures choses comme le taylorisme ont leurs limites, sinon leur fin. Ce fut le premier temps de la valse de la libéralisation du capitalisme. Il préparait le second dans les années 80 : briser durablement toute résistance salariale dans les entreprises restructurées. Léquation chômage élevé plus capitaux libres daller et venir se résolvait en profits mirobolants et valorisation boursière euphorique. Restait à accomplir le troisième temps de la valse. Le plus difficile et le plus long, parce que léconomie capitaliste triomphante se heurtait à une difficulté majeure : comment faire adhérer des populations meurtries par le chômage et malmenées par la précarisation à un système aussi dévastateur, cest-à-dire sur quelles bases reconstruire une cohésion sociale minimale alors que toutes les régulations anciennes assurées par les Etats-providence étaient progressivement laminées ?
Au bout de vingt ans, le patronat esquisse le troisième pas et il peut espérer finir de tourner sa valse. Le projet de « refondation sociale » du MEDEF se fixe pour but de supprimer la loi et de la remplacer par le contrat. Du génie à létat pur, dans le genre Méphisto. La loi émane de la société et, en retour, simpose à elle, garantie par lEtat. Elle dresse le cadre dans lequel ensuite les individus vont établir des rapports économiques, certes souvent inégalitaires, mais qui ne se réduisent pas à un pur esclavage. Ainsi, la loi a institué un droit du travail, résultat des luttes sociales et reflet à un moment donné dun rapport de forces et dun compromis. Nouveau champion de la négociation au plus près de lentreprise, le MEDEF juge le droit du travail suranné. Place au contrat entre le salarié et son employeur, postulés égaux. Exit le contrat à durée indéterminée, et vive le « contrat de mission » qui durera le temps de réaliser le projet commandé, ou bien le « contrat à durée maximum » qui nexcédera pas cinq ans. La potion est amère, mais quelques actions souscrites auprès dun fonds de pension ou un fonds dépargne salariale essaieront de ladoucir.
En 2000, lUnedic sera en excédent de 6 milliards et 14 milliards sont prévus en 2001. Quen faire ? Atténuer la dégressivité des allocations-chômage ? Elargir le nombre de chômeurs indemnisés puisquils ne sont que 40% à percevoir des allocations ? Non, lEtat ne doit pas encourager la « paresse ». En revanche, M. le baron Seillière, qui gagne en un an ce quun Rmiste mettrait 2000 ans à obtenir, veut soumettre le chômeur à un « contrat daide au retour à lemploi » qui conditionnera le versement des allocations à son ardeur à accepter nimporte quelle proposition demploi, aussi précaire soit-il.
Les accidents du travail et les maladies professionnelles sont en recrudescence. Aux yeux du MEDEF, la médecine du travail, quoique le plus souvent mieux disposée envers les employeurs quenvers les salariés, nest plus adaptée car lentreprise court toujours le risque de voir sa responsabilité engagée. Il faut lui substituer un contrat qui liera un médecin libéral à une entreprise. Cest simple, il suffisait dy penser.
Le projet de « refondation sociale » du MEDEF rappelle étrangement celui de lAMI de lOCDE. Dans les deux cas, il sagit de ligoter les Etats, dempêcher toute velléité de régulation et de délégitimer toute intervention collective sur la vie sociale. Sous couvert de liberté, on libère la capacité de nuisance du puissant et on musèle léventuelle résistance du faible. A la place dune société régie par le droit, coupable de permettre lémergence de projets collectifs, on prépare le retour à des rapports personnels de suzerain à vassal, cest-à-dire, selon lexpression du juriste Alain Supiot, la reféodalisation de la société. La « refondation sociale », cest lachèvement de la contre-révolution libérale.
Au bout de vingt ans, le patronat esquisse le troisième pas et il peut espérer finir de tourner sa valse. Le projet de « refondation sociale » du MEDEF se fixe pour but de supprimer la loi et de la remplacer par le contrat. Du génie à létat pur, dans le genre Méphisto. La loi émane de la société et, en retour, simpose à elle, garantie par lEtat. Elle dresse le cadre dans lequel ensuite les individus vont établir des rapports économiques, certes souvent inégalitaires, mais qui ne se réduisent pas à un pur esclavage. Ainsi, la loi a institué un droit du travail, résultat des luttes sociales et reflet à un moment donné dun rapport de forces et dun compromis. Nouveau champion de la négociation au plus près de lentreprise, le MEDEF juge le droit du travail suranné. Place au contrat entre le salarié et son employeur, postulés égaux. Exit le contrat à durée indéterminée, et vive le « contrat de mission » qui durera le temps de réaliser le projet commandé, ou bien le « contrat à durée maximum » qui nexcédera pas cinq ans. La potion est amère, mais quelques actions souscrites auprès dun fonds de pension ou un fonds dépargne salariale essaieront de ladoucir.
En 2000, lUnedic sera en excédent de 6 milliards et 14 milliards sont prévus en 2001. Quen faire ? Atténuer la dégressivité des allocations-chômage ? Elargir le nombre de chômeurs indemnisés puisquils ne sont que 40% à percevoir des allocations ? Non, lEtat ne doit pas encourager la « paresse ». En revanche, M. le baron Seillière, qui gagne en un an ce quun Rmiste mettrait 2000 ans à obtenir, veut soumettre le chômeur à un « contrat daide au retour à lemploi » qui conditionnera le versement des allocations à son ardeur à accepter nimporte quelle proposition demploi, aussi précaire soit-il.
Les accidents du travail et les maladies professionnelles sont en recrudescence. Aux yeux du MEDEF, la médecine du travail, quoique le plus souvent mieux disposée envers les employeurs quenvers les salariés, nest plus adaptée car lentreprise court toujours le risque de voir sa responsabilité engagée. Il faut lui substituer un contrat qui liera un médecin libéral à une entreprise. Cest simple, il suffisait dy penser.
Le projet de « refondation sociale » du MEDEF rappelle étrangement celui de lAMI de lOCDE. Dans les deux cas, il sagit de ligoter les Etats, dempêcher toute velléité de régulation et de délégitimer toute intervention collective sur la vie sociale. Sous couvert de liberté, on libère la capacité de nuisance du puissant et on musèle léventuelle résistance du faible. A la place dune société régie par le droit, coupable de permettre lémergence de projets collectifs, on prépare le retour à des rapports personnels de suzerain à vassal, cest-à-dire, selon lexpression du juriste Alain Supiot, la reféodalisation de la société. La « refondation sociale », cest lachèvement de la contre-révolution libérale.