Sortie du DVD de Notre Monde
Notre Monde Notre Monde (2013, 119') un film de Thomas LacosteRassemblant plus de 35 intervenants, philosophes, sociologues, économistes, magistrats, médecins, universitaires et écrivains, Notre Monde propose un espace dexpression pour travailler, comme nous y enjoint JeanLuc Nancy à « une pensée commune ». Plus encore quun libre espace de parole, Notre Monde sappuie sur un ensemble foisonnant de propositions concrètes pour agir comme un rappel essentiel, individuel et collectif : « faites de la politique » et de préférence autrement.
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© Passant n°28 [mars 2000 - avril 2000]
© Passant n°28 [mars 2000 - avril 2000]
par Patrick Baudry
Imprimer l'articleDes pas singuliers
Dans des sociétés qui nous sont étrangères, les gens ne vivent pas rivés à leur corps. Il arrive quils voyagent secrètement quand on croit quils demeurent là où on les voit, et quils se déplacent invisiblement à leur propre insu. Tel qui est en train de dormir rend visite à des parents éloignés qui lui savent gré davoir accompli un si long chemin pour venir les saluer. Ou ils continuent détudier, tandis quils ronflent obstinément, un coin de terre où poussera la prochaine récolte. Souvent ils se réveillent fatigués mais aussi grandis par ces travaux ou ces obligations nocturnes qui ne vont pas toujours sans danger (car cette capacité à se trouver là où lon nest pas peut justifier quon vous accuse dun crime que vous ne pouviez physiquement commettre : on comprend que ces déplacements étranges ne tiennent pas que du caprice). Ou cest dans la journée quun un air pensif mais aussi dabruti, quune allure dabsence à quoi se mêle la blessure dune lucidité, témoigne de bifurcations qui les agitent.
Nous-mêmes nhabitons-nous quun seul endroit ? Et si cela est vrai, depuis quand nous a-t-on assignés à cette unique résidence ? Qui aura décidé que lexistence brouillonne, que les rêveries et les vagabondages valent moins que les angles droits et fait de la droiture lindice physique dune normalité ?
« Je ne veux voir quune tête ». On connaît ces dressages. A lexigence du corps intègre qui devrait renfermer une individualité étanche correspond lidéal du « corps social ». Un seul corps, un seul chef...
Mais nous continuons de tordre les lignes et de nous glisser dans les brèches. La technologie aura-t-elle éventé lutopie à force de lavoir « réalisée » : « Vous lavez rêvé, Sonny la fait » ? Un talent demeure pour confondre les images dun monde trop net. La « Figure de lhomme-aux-verres-fumés » qui « hante un Paris trop normal » (Roger Caillois) marche dans nos pas singuliers.
Nous-mêmes nhabitons-nous quun seul endroit ? Et si cela est vrai, depuis quand nous a-t-on assignés à cette unique résidence ? Qui aura décidé que lexistence brouillonne, que les rêveries et les vagabondages valent moins que les angles droits et fait de la droiture lindice physique dune normalité ?
« Je ne veux voir quune tête ». On connaît ces dressages. A lexigence du corps intègre qui devrait renfermer une individualité étanche correspond lidéal du « corps social ». Un seul corps, un seul chef...
Mais nous continuons de tordre les lignes et de nous glisser dans les brèches. La technologie aura-t-elle éventé lutopie à force de lavoir « réalisée » : « Vous lavez rêvé, Sonny la fait » ? Un talent demeure pour confondre les images dun monde trop net. La « Figure de lhomme-aux-verres-fumés » qui « hante un Paris trop normal » (Roger Caillois) marche dans nos pas singuliers.