Sortie du DVD de Notre Monde
Notre Monde Notre Monde (2013, 119') un film de Thomas LacosteRassemblant plus de 35 intervenants, philosophes, sociologues, économistes, magistrats, médecins, universitaires et écrivains, Notre Monde propose un espace dexpression pour travailler, comme nous y enjoint JeanLuc Nancy à « une pensée commune ». Plus encore quun libre espace de parole, Notre Monde sappuie sur un ensemble foisonnant de propositions concrètes pour agir comme un rappel essentiel, individuel et collectif : « faites de la politique » et de préférence autrement.
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© Passant n°28 [mars 2000 - avril 2000]
© Passant n°28 [mars 2000 - avril 2000]
par Jean-Marc Rouillan
Imprimer l'articleLe devoir de résistance !
La peine de mort existe toujours dans les prisons françaises. Il est vrai que la tête du condamné ne roule plus dans la sciure. Le spectacle sanguinaire était trop obscène à la tragi-comédie de nos sociétés aseptisées. Pourtant de nos jours la peine de substitution perpétue le meurtre. Ce nest quun lent assassinat façonné de mille morts quotidiennes. Une exécution consommée sur 20 ans, parfois davantage, mais tout aussi infaillible que la 1ame du couteau. La mort a été déléguée à la besogne des arbitraires, des violences « nécessaires », des jours sans vie, du désespoir (
).
Aujourdhui la mort du détenu est présentée comme « naturelle » : suicides, maladies et folies. Ultime négation puisque ces défunts ne sont pas comptabilisés comme étant des prisonniers. Car si les conditionnelles médicales ont quasiment disparu de la réalité carcérale, ladministration se charge dévacuer le mourant dans un hôpital extérieur avant quil ne trépasse. Quelquefois, ils attendent jusquau dernier coma, jusquau dernier souffle avant de leffacer de leur registre. Ils craignent la rémission miraculeuse et surtout que le moribond puisse bénéficier de quelques jours supplémentaires de « liberté volée ».
Pour linstant, de stratagèmes en dissimulations, ladministration masque encore lévidence de cette gestion mortifère. Peu nombreux osent faire le lien entre les ravages de la mort lente, et les verdicts en additions incompressibles, la psychiatrisation des centrales, le pourrissoir général des prisons entretenu par lAP et un corps judiciaire entièrement dévoué aux thèses sécuritaires et conservatrices.
La peine de mort est administrative. Elle na pas de visage comme les juges dApplication des Peines ou les bureaucrates de la place Vendôme qui lutilisent avec minutie et « innocence ». Le bourreau portait cagoule, ces gens-là se cachent derrière les règlements, les arithmétiques pénales, le conformisme réactionnaire ambiant.
De soumissions en fausses révoltes, nous sommes tous responsables de linstauration du nouvel ordre carcéral. Presque sans broncher, sans nous révolter, dans les prisons comme à lextérieur, nous avons abandonné le terrain à linstitution de la mort lente ( ).
Le système administratif de la mort lente affecte des milliers et des milliers dhommes et de femmes :
- Les perpétuités, bien évidemment, dont le nombre ne cesse de croître depuis deux décennies. Avec les nouvelles politiques dapplication de peine, ils ne seront plus commués. Par le passé, la perpétuité était encore dans lhorreur une peine à échelle humaine. Peu ou prou, le condamné savait quil effectuerait 17-18 ans. Aujourdhui avec la peine de 30 ans et la perpétuité « réelle » (réelle comme sil existait des perpétuités fictives !), les détenus ayant effectué plus de 20 années ne sont plus des exceptions.
- Les détenus accumulant plusieurs peines non « confusionnables » et à qui il faudrait au moins deux vies pour effectuer leurs condamnations. Les prisonniers libérables en 2056 ou en 2062 ne sont pas rares !
- Les détenus ayant des peines incompressibles au-delà de 15 années.
- Mais la mort lente touche également des milliers de prisonniers qui ne trouvent pas en eux les ressources pour résister au rouleau compresseur de lanéantissement produit par lélimination carcérale et en particulier par le régime des quartiers disolement QI et des centrales de sécurité ( ).
Une chose est certaine, la prison actuelle nest déjà plus la prison des années 70-80. Le carcéral se périodise avec la société dont elle est la forme supérieure de répression. Il y avait un lien évident entre les masses ouvrières de la Grande Fabrique en bleu de travail et les files prisonnières dûment numérotées en uniforme pénitentiaire, un lien entre la chaîne de production et les entraves collectives, entre les grands ateliers et le travail carcéral obligatoire. La prison se transforme avec la société et finalement ses nouveaux caractères renvoient aux qualités des rapports sociaux à lextérieur.
Aujourdhui, la mort lente est une des formes dominantes de la prison de la société néolibérale. Le « tout prison » et les longues peines portent la marque du zéro défaut et du « total control » du travail flexible. Finalement la mort lente est le degré ultime de la prison précaire. Et comme telle, cette condition déshumanisée est le reflet des populations en fin de droit. Mais comme au-dehors, si le système produit linexorable destruction, il assure simultanément la survie minimale, juste assez pour travestir son crime et échapper aux révoltes radicales. Dans lactualité, les débats autour du livre du Dr Vasseur ne sattaquent en rien aux réalités du nouveau bagne car ils finissent par être phagocytés à linstitutionnalisation de la mort lente. Ils tendent simplement à améliorer la survie. En quelques jours, le thème des longues peines a été évincé au profit de lorientation même des projets ministériels de prisons modèles.
Demain, les cellules seront peut être propres et fonctionnelles mais les détenus y crèveront de solitude, dindifférence, des pathologies physiques et psychiques de la prison « clean ». Car tout le décisif de la prison actuelle réside dans lexplosion des peines prononcées ( ).
La présentation des statistiques sur la longueur des peines en France est fallacieuse. Le turn-over des petites peines interdisent toute compréhension du prolongement de la durée effective du nouvel emprisonnement. Et justement, les personnes emprisonnées pour des délits mineurs qui hier encore naurait pas occasionné dincarcération, permettent de dissimuler la réalité actuelle. Dautant plus queux, comme les VIP, bénéficient de libération conditionnelle et autres mesures de lapplication des peines. Nous sommes également révoltés par le battage médiatique autour de la pétition des ex-prisonniers VIP ( ).
Selon eux, le carcéral serait le sanctuaire brutal du rapport de force et du viol entre prisonniers. Quelle pitrerie savoureuse lorsque la leçon vient dun Bob Denard ! Ce barbouze français serviteur du régime sud-africain de lapartheid na vécu à la tête des hordes mercenaires que par la violence et le viol au détriment des populations africaines. Quant à Le Floch Pringent en bon manitou de transnationale, il est plus prompt à dénoncer la petite violence au quotidien dans les cellules darrivants que le rapport de force imposé par les monopoles sur la société et surtout lui qui a dirigé ELF, cest-à-dire le plus important réseau de corruption, de racket et de violence néocoloniale durant les années 80 !
Le rapport de force dans la société néolibérale est plus fort à lextérieur que dans les prisons. Et dedans, la violence et les arbitraires de ladministration sont sans commune mesure avec les pressions entre prisonniers. De plus il est certain que les viols sont beaucoup plus nombreux dans les bureaux des responsables du personnel, les instituts religieux ou le simple cadre familial que dans nos cellules collectives ! Nous le répétons mais pour nous, toute cette fausse polémique na quun seul but : faire passer la réforme des prisons dans le sens voulu par Guigou et consort et non dans le sens des priorités en particulier dans le domaine des longues peines, de lisolement, de lapplication des peines et de mesures véritables de réintroduction dans la société au dehors.
Les réformes de la survie agissent à la gestion de la mort lente. Nous som-mes déjà des centaines, bientôt des milliers, à saisir notre condition de condamnés à mort. Et nous sommes face à cette vérité cru : de linsurrection contre linnommable fin quils nous destinent dépend notre humanité ( ).
Le combat contre linstitution des tortionnaires et des bourreaux sera sûrement sans concession. La répression sera féroce. Nous avons déjà goutté les vendettas de ladministration pour avoir une idée de ce quils nous réservent. Les crimes masqués en suicide, les tabassages, les années et les années de QI, les insultes et les vexations, enfin tout dont ils sont capables sous le couvert de la loi et des règlements. Néanmoins, notre refus ne craint plus la trique. Il ne peut rien nous arriver car si rien ne change radicalement nous sommes déjà morts et enterrés vivants.
Urgence dans les prisons de lEtat français :
1. Fermeture sans condition des quartiers de torture blanche que sont aujourdhui les QI après les QHS.
2. Remise en fonctionnement des procédures daménagement des peines : conditionnelles, commutations, compressions, permissions, extension des délais pour loctroi de la semi-liberté
3. Libération des prisonniers ayant accompli 20 années effectives.
4. Libération immédiate de tous les prisonniers malades et en fin de vie.
Aujourdhui la mort du détenu est présentée comme « naturelle » : suicides, maladies et folies. Ultime négation puisque ces défunts ne sont pas comptabilisés comme étant des prisonniers. Car si les conditionnelles médicales ont quasiment disparu de la réalité carcérale, ladministration se charge dévacuer le mourant dans un hôpital extérieur avant quil ne trépasse. Quelquefois, ils attendent jusquau dernier coma, jusquau dernier souffle avant de leffacer de leur registre. Ils craignent la rémission miraculeuse et surtout que le moribond puisse bénéficier de quelques jours supplémentaires de « liberté volée ».
Pour linstant, de stratagèmes en dissimulations, ladministration masque encore lévidence de cette gestion mortifère. Peu nombreux osent faire le lien entre les ravages de la mort lente, et les verdicts en additions incompressibles, la psychiatrisation des centrales, le pourrissoir général des prisons entretenu par lAP et un corps judiciaire entièrement dévoué aux thèses sécuritaires et conservatrices.
La peine de mort est administrative. Elle na pas de visage comme les juges dApplication des Peines ou les bureaucrates de la place Vendôme qui lutilisent avec minutie et « innocence ». Le bourreau portait cagoule, ces gens-là se cachent derrière les règlements, les arithmétiques pénales, le conformisme réactionnaire ambiant.
De soumissions en fausses révoltes, nous sommes tous responsables de linstauration du nouvel ordre carcéral. Presque sans broncher, sans nous révolter, dans les prisons comme à lextérieur, nous avons abandonné le terrain à linstitution de la mort lente ( ).
Le système administratif de la mort lente affecte des milliers et des milliers dhommes et de femmes :
- Les perpétuités, bien évidemment, dont le nombre ne cesse de croître depuis deux décennies. Avec les nouvelles politiques dapplication de peine, ils ne seront plus commués. Par le passé, la perpétuité était encore dans lhorreur une peine à échelle humaine. Peu ou prou, le condamné savait quil effectuerait 17-18 ans. Aujourdhui avec la peine de 30 ans et la perpétuité « réelle » (réelle comme sil existait des perpétuités fictives !), les détenus ayant effectué plus de 20 années ne sont plus des exceptions.
- Les détenus accumulant plusieurs peines non « confusionnables » et à qui il faudrait au moins deux vies pour effectuer leurs condamnations. Les prisonniers libérables en 2056 ou en 2062 ne sont pas rares !
- Les détenus ayant des peines incompressibles au-delà de 15 années.
- Mais la mort lente touche également des milliers de prisonniers qui ne trouvent pas en eux les ressources pour résister au rouleau compresseur de lanéantissement produit par lélimination carcérale et en particulier par le régime des quartiers disolement QI et des centrales de sécurité ( ).
Une chose est certaine, la prison actuelle nest déjà plus la prison des années 70-80. Le carcéral se périodise avec la société dont elle est la forme supérieure de répression. Il y avait un lien évident entre les masses ouvrières de la Grande Fabrique en bleu de travail et les files prisonnières dûment numérotées en uniforme pénitentiaire, un lien entre la chaîne de production et les entraves collectives, entre les grands ateliers et le travail carcéral obligatoire. La prison se transforme avec la société et finalement ses nouveaux caractères renvoient aux qualités des rapports sociaux à lextérieur.
Aujourdhui, la mort lente est une des formes dominantes de la prison de la société néolibérale. Le « tout prison » et les longues peines portent la marque du zéro défaut et du « total control » du travail flexible. Finalement la mort lente est le degré ultime de la prison précaire. Et comme telle, cette condition déshumanisée est le reflet des populations en fin de droit. Mais comme au-dehors, si le système produit linexorable destruction, il assure simultanément la survie minimale, juste assez pour travestir son crime et échapper aux révoltes radicales. Dans lactualité, les débats autour du livre du Dr Vasseur ne sattaquent en rien aux réalités du nouveau bagne car ils finissent par être phagocytés à linstitutionnalisation de la mort lente. Ils tendent simplement à améliorer la survie. En quelques jours, le thème des longues peines a été évincé au profit de lorientation même des projets ministériels de prisons modèles.
Demain, les cellules seront peut être propres et fonctionnelles mais les détenus y crèveront de solitude, dindifférence, des pathologies physiques et psychiques de la prison « clean ». Car tout le décisif de la prison actuelle réside dans lexplosion des peines prononcées ( ).
La présentation des statistiques sur la longueur des peines en France est fallacieuse. Le turn-over des petites peines interdisent toute compréhension du prolongement de la durée effective du nouvel emprisonnement. Et justement, les personnes emprisonnées pour des délits mineurs qui hier encore naurait pas occasionné dincarcération, permettent de dissimuler la réalité actuelle. Dautant plus queux, comme les VIP, bénéficient de libération conditionnelle et autres mesures de lapplication des peines. Nous sommes également révoltés par le battage médiatique autour de la pétition des ex-prisonniers VIP ( ).
Selon eux, le carcéral serait le sanctuaire brutal du rapport de force et du viol entre prisonniers. Quelle pitrerie savoureuse lorsque la leçon vient dun Bob Denard ! Ce barbouze français serviteur du régime sud-africain de lapartheid na vécu à la tête des hordes mercenaires que par la violence et le viol au détriment des populations africaines. Quant à Le Floch Pringent en bon manitou de transnationale, il est plus prompt à dénoncer la petite violence au quotidien dans les cellules darrivants que le rapport de force imposé par les monopoles sur la société et surtout lui qui a dirigé ELF, cest-à-dire le plus important réseau de corruption, de racket et de violence néocoloniale durant les années 80 !
Le rapport de force dans la société néolibérale est plus fort à lextérieur que dans les prisons. Et dedans, la violence et les arbitraires de ladministration sont sans commune mesure avec les pressions entre prisonniers. De plus il est certain que les viols sont beaucoup plus nombreux dans les bureaux des responsables du personnel, les instituts religieux ou le simple cadre familial que dans nos cellules collectives ! Nous le répétons mais pour nous, toute cette fausse polémique na quun seul but : faire passer la réforme des prisons dans le sens voulu par Guigou et consort et non dans le sens des priorités en particulier dans le domaine des longues peines, de lisolement, de lapplication des peines et de mesures véritables de réintroduction dans la société au dehors.
Les réformes de la survie agissent à la gestion de la mort lente. Nous som-mes déjà des centaines, bientôt des milliers, à saisir notre condition de condamnés à mort. Et nous sommes face à cette vérité cru : de linsurrection contre linnommable fin quils nous destinent dépend notre humanité ( ).
Le combat contre linstitution des tortionnaires et des bourreaux sera sûrement sans concession. La répression sera féroce. Nous avons déjà goutté les vendettas de ladministration pour avoir une idée de ce quils nous réservent. Les crimes masqués en suicide, les tabassages, les années et les années de QI, les insultes et les vexations, enfin tout dont ils sont capables sous le couvert de la loi et des règlements. Néanmoins, notre refus ne craint plus la trique. Il ne peut rien nous arriver car si rien ne change radicalement nous sommes déjà morts et enterrés vivants.
Urgence dans les prisons de lEtat français :
1. Fermeture sans condition des quartiers de torture blanche que sont aujourdhui les QI après les QHS.
2. Remise en fonctionnement des procédures daménagement des peines : conditionnelles, commutations, compressions, permissions, extension des délais pour loctroi de la semi-liberté
3. Libération des prisonniers ayant accompli 20 années effectives.
4. Libération immédiate de tous les prisonniers malades et en fin de vie.
Avec les autres membres dAction Directe, Jean-Marc Rouillan purge actuellement une longue peine. Sans revenir ni sur les faits, ni sur la décision de la justice, il nous est apparu important de publier le témoignage de ce prisonnier qui connait la dureté du milieu carcéral.
Jean-Marc Rouillan