Sortie du DVD de Notre Monde
Notre Monde Notre Monde (2013, 119') un film de Thomas LacosteRassemblant plus de 35 intervenants, philosophes, sociologues, économistes, magistrats, médecins, universitaires et écrivains, Notre Monde propose un espace dexpression pour travailler, comme nous y enjoint JeanLuc Nancy à « une pensée commune ». Plus encore quun libre espace de parole, Notre Monde sappuie sur un ensemble foisonnant de propositions concrètes pour agir comme un rappel essentiel, individuel et collectif : « faites de la politique » et de préférence autrement.
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© Passant n°28 [mars 2000 - avril 2000]
© Passant n°28 [mars 2000 - avril 2000]
par Bernard Bolze
Imprimer l'articleLes murs ont la parole, pas encore les prisonniers
Le patrimoine pénitentiaire na pas eu à souffrir, très naturellement, de la tempête météorologique qui a balayé la France le mois dernier. Ici, lapparence est encore sauve. Une tempête médiatique aura suffi, depuis, à mettre en évidence un système pervers et délabré. Les murs ont parlé. De lèpre et bien pire. Et si la forme, cest le fond qui remonte à la surface, fallait-il que la « marmite infernale » ait mijoté trop longtemps pour connaître une telle déflagration.
Nous aimerions quil y ait un avant et un après laffaire soulevée par le Dr Vasseur(1). Que pourrait réserver laprès ? La destruction de quelques prisons dun autre âge ? Chacun sen réjouira. La construction détablissements neufs ? Voilà très sûrement la réponse conjuguée de lEtat et du politique : fabriquer de nouvelles prisons ! Nous pensons avec dautres, que le parc actuel dispose dun nombre suffisant de places et que le droit et la dignité des personnes détenues ne se mesurent pas au meilleur des mondes, hygiénique et sécuritaire.
Le Monde publiait, samedi 16 novembre 1991, un texte en forme de manifeste intitulé Pour un Observatoire international des prisons. A peine a-t-il pris une ride. Mais que pouvait-on lire il y a presque dix ans ? « En France, la prison nest pas un lieu de droit et le détenu nest plus un citoyen. Le prisonnier ne vote pas. Le prisonnier na pas droit à la santé ni à la Sécurité sociale. Quand il a du travail, il ne bénéficie pas dun salaire décent. Le prisonnier na pas droit au RMI, le minimum dinsertion, quand la prison prétend justement le réinsérer. Le prisonnier na pas droit dassociation. Le prisonnier na pas droit à linstruction et à la formation. Ou de façon discrétionnaire. Le prisonnier na pas droit à lintimité quand lEtat saffirme garant des liens familiaux, et il est arrivé quune femme détenue accouche menottes aux poignets avec présence policière dans la salle de travail.
Le prisonnier peut être longuement et redoutablement soumis à lisolement. A la simple peine privative de liberté, la prison croit souvent devoir ajouter larbitraire, le mépris, la violence, lhumiliation.
Le prisonnier a droit à la censure de son courrier, à la « double peine » sil est étranger. Il a droit à des peines accessoires, à linterdiction de séjour, à la communication de son casier judiciaire en dehors des services judiciaires et de police. La prison coûte cher à la société pour un résultat affligeant : le détenu ne sort pas « libre », le préjudice subi par la victime na pas été réparé. La prison enferme les plus pauvres, précipite leur exclusion. Elle ensevelit dans la souffrance là où il faudrait réparation. Pour réintégrer la communauté des hommes, plus que de confort, le prisonnier a besoin dhumanité, et quel regard le journaliste, lavocat, lhomme politique, lenseignant, le salarié dentreprise, lartisan ou lartiste accordent-ils à celui-ci ? »
Puisse t-il y avoir un avant et un après laffaire déclenchée par le Dr Vasseur. Puissent désormais se faire entendre ceux qui savent, et ceux qui « ne savaient pas » avoir la décence de se taire. Puisse notre regard sur les prisonniers changer, plus encore que les prisons. Toute personne enfermée est une part de nous, puissent enfin les prisonniers parler.
Nous aimerions quil y ait un avant et un après laffaire soulevée par le Dr Vasseur(1). Que pourrait réserver laprès ? La destruction de quelques prisons dun autre âge ? Chacun sen réjouira. La construction détablissements neufs ? Voilà très sûrement la réponse conjuguée de lEtat et du politique : fabriquer de nouvelles prisons ! Nous pensons avec dautres, que le parc actuel dispose dun nombre suffisant de places et que le droit et la dignité des personnes détenues ne se mesurent pas au meilleur des mondes, hygiénique et sécuritaire.
Le Monde publiait, samedi 16 novembre 1991, un texte en forme de manifeste intitulé Pour un Observatoire international des prisons. A peine a-t-il pris une ride. Mais que pouvait-on lire il y a presque dix ans ? « En France, la prison nest pas un lieu de droit et le détenu nest plus un citoyen. Le prisonnier ne vote pas. Le prisonnier na pas droit à la santé ni à la Sécurité sociale. Quand il a du travail, il ne bénéficie pas dun salaire décent. Le prisonnier na pas droit au RMI, le minimum dinsertion, quand la prison prétend justement le réinsérer. Le prisonnier na pas droit dassociation. Le prisonnier na pas droit à linstruction et à la formation. Ou de façon discrétionnaire. Le prisonnier na pas droit à lintimité quand lEtat saffirme garant des liens familiaux, et il est arrivé quune femme détenue accouche menottes aux poignets avec présence policière dans la salle de travail.
Le prisonnier peut être longuement et redoutablement soumis à lisolement. A la simple peine privative de liberté, la prison croit souvent devoir ajouter larbitraire, le mépris, la violence, lhumiliation.
Le prisonnier a droit à la censure de son courrier, à la « double peine » sil est étranger. Il a droit à des peines accessoires, à linterdiction de séjour, à la communication de son casier judiciaire en dehors des services judiciaires et de police. La prison coûte cher à la société pour un résultat affligeant : le détenu ne sort pas « libre », le préjudice subi par la victime na pas été réparé. La prison enferme les plus pauvres, précipite leur exclusion. Elle ensevelit dans la souffrance là où il faudrait réparation. Pour réintégrer la communauté des hommes, plus que de confort, le prisonnier a besoin dhumanité, et quel regard le journaliste, lavocat, lhomme politique, lenseignant, le salarié dentreprise, lartisan ou lartiste accordent-ils à celui-ci ? »
Puisse t-il y avoir un avant et un après laffaire déclenchée par le Dr Vasseur. Puissent désormais se faire entendre ceux qui savent, et ceux qui « ne savaient pas » avoir la décence de se taire. Puisse notre regard sur les prisonniers changer, plus encore que les prisons. Toute personne enfermée est une part de nous, puissent enfin les prisonniers parler.
Fondateur de LObservatoire International des Prisons (OIP, 40 rue dHauteville, F-75010 Paris, Tél. 33 (0)1 47 70 47 01).
(1) Véronique Vasseur, Médecin-chef à la prison de la Santé, Cherche midi, 2000, 220p., 98 F.
(1) Véronique Vasseur, Médecin-chef à la prison de la Santé, Cherche midi, 2000, 220p., 98 F.
Bernard Bolze