Sortie du DVD de Notre Monde
Notre Monde Notre Monde (2013, 119') un film de Thomas LacosteRassemblant plus de 35 intervenants, philosophes, sociologues, économistes, magistrats, médecins, universitaires et écrivains, Notre Monde propose un espace dexpression pour travailler, comme nous y enjoint JeanLuc Nancy à « une pensée commune ». Plus encore quun libre espace de parole, Notre Monde sappuie sur un ensemble foisonnant de propositions concrètes pour agir comme un rappel essentiel, individuel et collectif : « faites de la politique » et de préférence autrement.
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© Passant n°28 [mars 2000 - avril 2000]
© Passant n°28 [mars 2000 - avril 2000]
par Yves Buin
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La France est un étrange pays. Au soir des élections européennes du 13 juin, examinant les pourcentages obtenus en Gironde, dans la Somme et autres départements par la liste : « Chasse, pêche, nature et tradition » il apparaît, selon le commentaire des journalistes, que lassassinat des tourterelles est signe : « dun sursaut contestataire ». La France est gouvernée à gauche et lon sennuie autant que sous Balladur. Le pouvoir teinte-t-il donc à ce point les esprits que ceux qui lexercent cèdent inévitablement au mimétisme et adoptent, sans crainte du paradoxe, fausse modestie affichée, arrogance, auto-satisfecit, tout en sinstallant dans une éternité quasi-incontestable de la conduite des affaires ?
La droite, de sa longue fréquentation du pouvoir, a appris le cynisme, le mensonge calculé, laffairisme. Elle a reconnu le caractère voyou des pulsions et attitudes humaines. En y concédant, elle a su lutiliser. La référence à la morale est pour la droite, circonstancielle. Il lui est bon de répéter des sornettes sur la famille, la bonne éducation, le bon esprit, de rassurer les frileux. Ce ne sont là que maniements électoralistes : assise, qui permettent daccéder au sérieux des grandes choses et, par lui, dexercer son réalisme et assouvir ses appétits. Il ne faut pas dénier à la droite sa crédibilité. Sans illusion sur les fantaisies humaines, dédaignant mythologies et idéologies, elle joue toujours franc-jeu. « Démocratie libérale » est, en ce sens, dune sincérité totale. Et si la droite est institutionnellement en morceaux et tremble pour la survie de ses lucratifs appareils, elle na guère à se soucier de son influence, la gauche la relayée.
Il y a plus de vingt ans Gianfranco Sanguinetti faisait paraître un petit texte au titre provocateur : « Le véridique rapport sur les dernières chances de sauver le capitalisme en Italie » où il suggérait, comme Baudrillard lavait noté en son temps dans « La gauche divine », que le meilleur moyen de maintenir ledit capitalisme était de confier le gouvernement aux communistes. Sest-il trompé ? Que non. La plus grande partie de lEurope occidentale sest dotée en cette difficile période de crise, de gouvernements de gauche - dont lItalie dirigée par un premier ministre ancien dirigeant du P.C.I. reconverti. Nous sommes nombreux à ne pas avoir été surpris, quau printemps 1997, la France soit passée sans troubles ni états dâme aucuns, dun gouvernement de droite musclé - tout au moins dans les mimes - à une alternance de gauche avec des ministres communistes dans la pochette surprise. Indice dune grande maturité politique ou concession à la mer étale dune indistinction idéologique ? Nous pencherons pour la seconde hypothèse ne serait-ce quau regard des programmes proposés lors des dernières élections européennes.
La gauche, en France, en sa séquence post-miterrandienne dinventaire redouble ce qui avait été antérieurement exploité de 81 à 93, manipulé sans scrupule, et qui réfère a ses valeurs traditionnelles : la gauche morale, vertueuse, soucieuse de la loi. La gauche croit au progrès des mentalités, à lévolution historique, certes tortueuse, mais positive à terme. De ses prémisses et préjugés elle emplit ses discours. Elle ne parle plus politique, elle fait la morale, prône la responsabilité et justifie le contrôle social des activités par la judiciarisation croissante de la vie. Elle continue de revendiquer la transparence en une sorte dabsolu qui ne peut sinstituer que comme violence. On ninsistera jamais assez sur le danger quil y a à se décréter : « génération morale », cest-à-dire de se considérer comme des justes. Ne cherchons pas trop loin les nouveaux bien pensants. Ils sont ici. Soucieuse de sa vieille mission quelle a héritée de Léon Blum dans sa « gestion loyale du capital » elle a parfaitement intégré la pensée dominante - sinon cédé à elle - et qui consacre la prééminence de léconomisme dans lélaboration programmatique. Elle ninquiète donc pas les seigneurs de léconomie. Ses dépoussiérages, ses toilettages quant au murs, voire ses afféteries modernistes, même sils donnent lieu à débats passionnés, tels ceux autour du P.A.C.S., ne doivent pas abuser. Ils ne sont quécume, fumée sans conséquence sur le cours du monde imposé.
Ce préambule nest pas superflu puisquil indique que depuis la rédaction de « Psychiatries » (mai-juillet 1998) rien na changé de la politique de santé mise en uvre par les décideurs et qui est indissociable des données globales évoquées ci-dessus. Aussi ny a-t-il peut-être pas trop à insister sur le contexte général où les mêmes grosses ficelles continuent dêtre tirées par les mêmes acteurs. Ce qui avait été dévolu à la fonction du Commissaire en charge de lordre gestionnaire demeure semblable, ainsi que ce qui avait été attribué au thérapeute. Nous sommes toujours figés en une sorte de jeux de rôles immobiles, chacun sur son quant à soi.
Or rien ninterdit de penser quil y a parmi les professionnels, les citoyens concernés par les problèmes de la santé mentale, une prise de conscience de ce que lissue du tournant opéré par les décideurs nest pas inéluctable et quil serait bon, hors de toute soumission au fatalisme, denvisager quun défi puisse être relevé et, proposées, des nouvelles voies à la psychiatrie. En premier lieu, il faudrait se défier dun consensus facile : celui de la désignation dun responsable unique du malheur du monde : le gestionnaire, dans laffirmation dun manichéisme rassurant. Or, les professionnels, les patients et leur entourage, ont à sinterroger sur eux-mêmes, à commencer en priorité par les psys dont il y a à noter le déficit de pensée depuis une vingtaine dannées.
Ce déficit ne doit pas être loccasion de procès ou de vindicte ni envers les institutionnels (appareils syndicaux, missionnés divers des ministères, entremetteurs des coulisses, etc.) ni envers les intervenants de base du soin. La responsabilité est collective de sêtre assoupis, davoir consenti aux chants de sirène dune pseudo-modernité (na-t-on pas vu nombre de collègues fascinés par lappel à la gestion responsable des services promue comme qualité inhérente à une bonne chefferie ?), davoir quelquefois délégué la représentativité à de trop habiles ou trop intéressés démarcheurs. Sans doute faut-il voir dans laboulie politique, dans labandon des idéaux des civilisateurs de la psychiatrie et de ceux des chantres du désaliénisme, un décalque de la confusion du champ politique à luvre dans lhexagone, mais, aussi, une démission amendée dune fuite vers le découragement et la dépression. Nous le disons au risque dêtre taxé de « ringardise », dattachement immodéré à une page de la psychiatrie définitivement tournée pour certains, alors que nous resterions aveugles.
Déficit, donc, originé sur le déclin de lengagement politique. Que sest-il passé que nous navons pas vu venir ? Sans pratiquer damalgame, nous pouvons énumérer toutefois des signes objectifs de changement ou dévaluation situationnelle de la discipline qui se sont succédé. A savoir, entre autres : Budget global (1983), disparition de linternat des hôpitaux psychiatriques (1984 / 85), loi sur le secteur (1985), note dEvin (mars 1990), rapport Massé, lintroduction de nouveaux instruments du suivi des activités tel le P.M.S.I.(1)
- des collègues ont alors cédé à la passion de lordinateur ! - modification en impasse du statut des infirmiers spécialisés. On aurait pu également repérer la constitution progressive dune armée de réserve, celle des psychologues, appelée peut-être dans lavenir à des tâches de suppléance, celles de linfirmier et du médecin. Les conséquences de cet ensemble de mesures, celles des rapports missionnés, des incitations, se sont déployées jour après jour, ancrées sur le dispositif général, incisif, de la réduction des dépenses de santé et des restrictions budgétaires drastiques affectant le chapitre hospitalier. Trop de plaintes ont scandé ces incidences qui ne sont demeurées que des plaintes. Le reflux du politique na guère aidé à les élever au niveau dune dimension critique alternative et intellectuellement opposable à la suffisance technocratique. Soulignons en particulier la réticence - levée par quelques-uns - à mettre en uvre une véritable « clinique de secteur » bousculant les invariants de la nosologie et témoignant de lanalyse fine des transformations de la demande et des comportements sociaux sans, bien entendu, tomber dans la « sociatrie ».
Laffaiblissement du discours soignant qui en a découlé na pas permis de poser clairement le lien de la politique (de soins) et de la clinique. La fragilisation du soignant de plus en plus écarté du jeu décisionnel en conséquence de la prééminence de la polarité administrative sur la polarité thérapeutique, soumettant cette dernière à la finalité de ses intentions et soctroyant pour elle, seule, la scène du pouvoir dans les établissements, a mené à une crise identitaire trans-catégorielle et, pour la traiter, au repli technicien sur la compétence. Non que le désir de se former sans cesse soit discutable, ni la curiosité (encore quelle soit souvent sélective) à légard des apports contemporains dans le cadre de la discipline. Mais laccumulation des savoirs, la multiplications des colloques savants, le gage dune recherche de scientificité, compte tenu de lexigence des sciences médicales inductrice de rivalité et de challenge quant à la psychiatrie, a pu servir de leurre. Tout dabord dans celui de lacquisition dune maîtrise possible de lobjet (du sujet plutôt) des pratiques, semblable à celle des autres disciplines et, ensuite, dans celui, au travers de lassimilation technicienne, dune restauration didentité à laune de la reconnaissance par la performance et la technique. Cette quête éperdue, intellectuellement légitime certes, est conforme à lesprit du temps, le professionnel effaçant le citoyen. La finalité de lacte nest plus source de questionnement mais dévaluation. Le leurre scientiste et positiviste de la maîtrise réintroduit néanmoins lutopie, justement par le truchement dune maîtrise possible sur lévénement, le sujet, la folie.
Corrélat obligé de labandon du politique et du repli technicien indentitaire : le néo-hospitalocentrisme. La psychiatrie a été inventive (cf. la note Evin de mars 1990), les acteurs de terrain ont été innovants. Ils ont maillé - là où il y a eu projet politique effectif animant le projet thérapeutique - le milieu communautaire, redéfini les proximités, aimanté les partenariats. Refusant une conception hégémonique (un impérialisme) du soin, ils ont recensé les potentialités du milieu de vie. Inspirés par le désaliénisme, ils nont cessé de renouveler leurs institutions, acceptant lincertitude, le provisoire, lexpérimental. Cest dire que lalternatif à linstitué est leur espace qui promeut réseaux environnementaux et structures intermédiaires. Or que leur propose-t-on au terme, le choix sous forme de diktat : ou mariner dans le Centre hospitalier spécialisé chargé de toutes les tares qui nimporte comment disparaîtra en se transformant en établissement médico-social, ou rejoindre lhôpital général, nouveau lieu non ségrégatif (sur le papier), lieu dintégration idéalisé du dispositif de soins aigus de la psychiatrie (enfin !) dans la cité. Quid des budgets, des alternatives mentionnées à grands traits ci-dessus, de la centralité de lextra-hospitalier moteur de la psychiatrie actuelle (et à venir) à laquelle se substitue le service en hôpital général et ses inévitables pesanteurs. Dailleurs la discussion sur le statut juridique des services de psy à lhôpital général est fort révélatrice. Ou absorption et dissolution pure et simple ou maintien dune entité spécifique comme garant de lhistoricité et de la culture psychiatriques sous forme dE.P.S.M externé (Etablissement Public de Santé Mentale).
Le néo-hospitalisme nest que la conséquence du rattachement, sans clause doriginalité (et dirréductibilité) de la psychiatrie à la médecine. Il va sans dire que ce nest pas la psychiatrie de liaison qui traite de la souffrance psychique au sein des lits de médecine somatique, ni les travaux dimplantation préalable dune équipe qui aurait choisi librement dintégrer lhôpital général qui sont ici visés.
Enfin, puisque linteraction psychiatrie / psychanalyse est déterminante tant dans notre approche conceptuelle que dans limplication pratique, quelle se noue autour du sujet et de la rencontre relationnelle avec lui, on ne saurait se désintéresser du destin conjoint de la psychanalyse et de la psychiatrie publique. Nous ne pouvons pas encore apprécier la conscience quont les sociétés de psychanalyse de la conjonction de ces devenirs. En ouvrant, à lanalyse, les lieux où se déploient les psychoses, à lasile ou dans la cité, en mariant les pratiques, la psychiatrie a donné à lanalyse la possibilité détayer la théorie et dapporter à la cohérence et à la rigueur du soin. En retour la psychiatrie en a été transformée radicalement. Si cette dernière disparaît ou devient méconnaissable, lanalyse risque létiolement ou son cantonnement dans un âge anté lorsquelle uvrait parmi la bourgeoisie, pouvant toujours simaginer (ce nest pas totalement faux) et penser quelle peut se dégager sans souffrir de ses liens avec un dispositif institutionnel menacé ayant en elle-même la ressource pour exister, autonome. Nous en doutons. Aussi pourrait-on assister, contemporain de la médicalisation réductrice du champ de la subjectivité, à leffacement progressif de ce qui fut lhorizon culturel de plusieurs générations : le freudisme et le marxisme. Processus déjà engagé par la révision de la nosographie (les différents D.S.M.)(2) et les exubérances de la psychopharmacologie, la souffrance psychique sindexant directement au registre de la médecine générale.
Mathilde Losserand
La droite, de sa longue fréquentation du pouvoir, a appris le cynisme, le mensonge calculé, laffairisme. Elle a reconnu le caractère voyou des pulsions et attitudes humaines. En y concédant, elle a su lutiliser. La référence à la morale est pour la droite, circonstancielle. Il lui est bon de répéter des sornettes sur la famille, la bonne éducation, le bon esprit, de rassurer les frileux. Ce ne sont là que maniements électoralistes : assise, qui permettent daccéder au sérieux des grandes choses et, par lui, dexercer son réalisme et assouvir ses appétits. Il ne faut pas dénier à la droite sa crédibilité. Sans illusion sur les fantaisies humaines, dédaignant mythologies et idéologies, elle joue toujours franc-jeu. « Démocratie libérale » est, en ce sens, dune sincérité totale. Et si la droite est institutionnellement en morceaux et tremble pour la survie de ses lucratifs appareils, elle na guère à se soucier de son influence, la gauche la relayée.
Il y a plus de vingt ans Gianfranco Sanguinetti faisait paraître un petit texte au titre provocateur : « Le véridique rapport sur les dernières chances de sauver le capitalisme en Italie » où il suggérait, comme Baudrillard lavait noté en son temps dans « La gauche divine », que le meilleur moyen de maintenir ledit capitalisme était de confier le gouvernement aux communistes. Sest-il trompé ? Que non. La plus grande partie de lEurope occidentale sest dotée en cette difficile période de crise, de gouvernements de gauche - dont lItalie dirigée par un premier ministre ancien dirigeant du P.C.I. reconverti. Nous sommes nombreux à ne pas avoir été surpris, quau printemps 1997, la France soit passée sans troubles ni états dâme aucuns, dun gouvernement de droite musclé - tout au moins dans les mimes - à une alternance de gauche avec des ministres communistes dans la pochette surprise. Indice dune grande maturité politique ou concession à la mer étale dune indistinction idéologique ? Nous pencherons pour la seconde hypothèse ne serait-ce quau regard des programmes proposés lors des dernières élections européennes.
La gauche, en France, en sa séquence post-miterrandienne dinventaire redouble ce qui avait été antérieurement exploité de 81 à 93, manipulé sans scrupule, et qui réfère a ses valeurs traditionnelles : la gauche morale, vertueuse, soucieuse de la loi. La gauche croit au progrès des mentalités, à lévolution historique, certes tortueuse, mais positive à terme. De ses prémisses et préjugés elle emplit ses discours. Elle ne parle plus politique, elle fait la morale, prône la responsabilité et justifie le contrôle social des activités par la judiciarisation croissante de la vie. Elle continue de revendiquer la transparence en une sorte dabsolu qui ne peut sinstituer que comme violence. On ninsistera jamais assez sur le danger quil y a à se décréter : « génération morale », cest-à-dire de se considérer comme des justes. Ne cherchons pas trop loin les nouveaux bien pensants. Ils sont ici. Soucieuse de sa vieille mission quelle a héritée de Léon Blum dans sa « gestion loyale du capital » elle a parfaitement intégré la pensée dominante - sinon cédé à elle - et qui consacre la prééminence de léconomisme dans lélaboration programmatique. Elle ninquiète donc pas les seigneurs de léconomie. Ses dépoussiérages, ses toilettages quant au murs, voire ses afféteries modernistes, même sils donnent lieu à débats passionnés, tels ceux autour du P.A.C.S., ne doivent pas abuser. Ils ne sont quécume, fumée sans conséquence sur le cours du monde imposé.
Ce préambule nest pas superflu puisquil indique que depuis la rédaction de « Psychiatries » (mai-juillet 1998) rien na changé de la politique de santé mise en uvre par les décideurs et qui est indissociable des données globales évoquées ci-dessus. Aussi ny a-t-il peut-être pas trop à insister sur le contexte général où les mêmes grosses ficelles continuent dêtre tirées par les mêmes acteurs. Ce qui avait été dévolu à la fonction du Commissaire en charge de lordre gestionnaire demeure semblable, ainsi que ce qui avait été attribué au thérapeute. Nous sommes toujours figés en une sorte de jeux de rôles immobiles, chacun sur son quant à soi.
Or rien ninterdit de penser quil y a parmi les professionnels, les citoyens concernés par les problèmes de la santé mentale, une prise de conscience de ce que lissue du tournant opéré par les décideurs nest pas inéluctable et quil serait bon, hors de toute soumission au fatalisme, denvisager quun défi puisse être relevé et, proposées, des nouvelles voies à la psychiatrie. En premier lieu, il faudrait se défier dun consensus facile : celui de la désignation dun responsable unique du malheur du monde : le gestionnaire, dans laffirmation dun manichéisme rassurant. Or, les professionnels, les patients et leur entourage, ont à sinterroger sur eux-mêmes, à commencer en priorité par les psys dont il y a à noter le déficit de pensée depuis une vingtaine dannées.
Ce déficit ne doit pas être loccasion de procès ou de vindicte ni envers les institutionnels (appareils syndicaux, missionnés divers des ministères, entremetteurs des coulisses, etc.) ni envers les intervenants de base du soin. La responsabilité est collective de sêtre assoupis, davoir consenti aux chants de sirène dune pseudo-modernité (na-t-on pas vu nombre de collègues fascinés par lappel à la gestion responsable des services promue comme qualité inhérente à une bonne chefferie ?), davoir quelquefois délégué la représentativité à de trop habiles ou trop intéressés démarcheurs. Sans doute faut-il voir dans laboulie politique, dans labandon des idéaux des civilisateurs de la psychiatrie et de ceux des chantres du désaliénisme, un décalque de la confusion du champ politique à luvre dans lhexagone, mais, aussi, une démission amendée dune fuite vers le découragement et la dépression. Nous le disons au risque dêtre taxé de « ringardise », dattachement immodéré à une page de la psychiatrie définitivement tournée pour certains, alors que nous resterions aveugles.
Déficit, donc, originé sur le déclin de lengagement politique. Que sest-il passé que nous navons pas vu venir ? Sans pratiquer damalgame, nous pouvons énumérer toutefois des signes objectifs de changement ou dévaluation situationnelle de la discipline qui se sont succédé. A savoir, entre autres : Budget global (1983), disparition de linternat des hôpitaux psychiatriques (1984 / 85), loi sur le secteur (1985), note dEvin (mars 1990), rapport Massé, lintroduction de nouveaux instruments du suivi des activités tel le P.M.S.I.(1)
- des collègues ont alors cédé à la passion de lordinateur ! - modification en impasse du statut des infirmiers spécialisés. On aurait pu également repérer la constitution progressive dune armée de réserve, celle des psychologues, appelée peut-être dans lavenir à des tâches de suppléance, celles de linfirmier et du médecin. Les conséquences de cet ensemble de mesures, celles des rapports missionnés, des incitations, se sont déployées jour après jour, ancrées sur le dispositif général, incisif, de la réduction des dépenses de santé et des restrictions budgétaires drastiques affectant le chapitre hospitalier. Trop de plaintes ont scandé ces incidences qui ne sont demeurées que des plaintes. Le reflux du politique na guère aidé à les élever au niveau dune dimension critique alternative et intellectuellement opposable à la suffisance technocratique. Soulignons en particulier la réticence - levée par quelques-uns - à mettre en uvre une véritable « clinique de secteur » bousculant les invariants de la nosologie et témoignant de lanalyse fine des transformations de la demande et des comportements sociaux sans, bien entendu, tomber dans la « sociatrie ».
Laffaiblissement du discours soignant qui en a découlé na pas permis de poser clairement le lien de la politique (de soins) et de la clinique. La fragilisation du soignant de plus en plus écarté du jeu décisionnel en conséquence de la prééminence de la polarité administrative sur la polarité thérapeutique, soumettant cette dernière à la finalité de ses intentions et soctroyant pour elle, seule, la scène du pouvoir dans les établissements, a mené à une crise identitaire trans-catégorielle et, pour la traiter, au repli technicien sur la compétence. Non que le désir de se former sans cesse soit discutable, ni la curiosité (encore quelle soit souvent sélective) à légard des apports contemporains dans le cadre de la discipline. Mais laccumulation des savoirs, la multiplications des colloques savants, le gage dune recherche de scientificité, compte tenu de lexigence des sciences médicales inductrice de rivalité et de challenge quant à la psychiatrie, a pu servir de leurre. Tout dabord dans celui de lacquisition dune maîtrise possible de lobjet (du sujet plutôt) des pratiques, semblable à celle des autres disciplines et, ensuite, dans celui, au travers de lassimilation technicienne, dune restauration didentité à laune de la reconnaissance par la performance et la technique. Cette quête éperdue, intellectuellement légitime certes, est conforme à lesprit du temps, le professionnel effaçant le citoyen. La finalité de lacte nest plus source de questionnement mais dévaluation. Le leurre scientiste et positiviste de la maîtrise réintroduit néanmoins lutopie, justement par le truchement dune maîtrise possible sur lévénement, le sujet, la folie.
Corrélat obligé de labandon du politique et du repli technicien indentitaire : le néo-hospitalocentrisme. La psychiatrie a été inventive (cf. la note Evin de mars 1990), les acteurs de terrain ont été innovants. Ils ont maillé - là où il y a eu projet politique effectif animant le projet thérapeutique - le milieu communautaire, redéfini les proximités, aimanté les partenariats. Refusant une conception hégémonique (un impérialisme) du soin, ils ont recensé les potentialités du milieu de vie. Inspirés par le désaliénisme, ils nont cessé de renouveler leurs institutions, acceptant lincertitude, le provisoire, lexpérimental. Cest dire que lalternatif à linstitué est leur espace qui promeut réseaux environnementaux et structures intermédiaires. Or que leur propose-t-on au terme, le choix sous forme de diktat : ou mariner dans le Centre hospitalier spécialisé chargé de toutes les tares qui nimporte comment disparaîtra en se transformant en établissement médico-social, ou rejoindre lhôpital général, nouveau lieu non ségrégatif (sur le papier), lieu dintégration idéalisé du dispositif de soins aigus de la psychiatrie (enfin !) dans la cité. Quid des budgets, des alternatives mentionnées à grands traits ci-dessus, de la centralité de lextra-hospitalier moteur de la psychiatrie actuelle (et à venir) à laquelle se substitue le service en hôpital général et ses inévitables pesanteurs. Dailleurs la discussion sur le statut juridique des services de psy à lhôpital général est fort révélatrice. Ou absorption et dissolution pure et simple ou maintien dune entité spécifique comme garant de lhistoricité et de la culture psychiatriques sous forme dE.P.S.M externé (Etablissement Public de Santé Mentale).
Le néo-hospitalisme nest que la conséquence du rattachement, sans clause doriginalité (et dirréductibilité) de la psychiatrie à la médecine. Il va sans dire que ce nest pas la psychiatrie de liaison qui traite de la souffrance psychique au sein des lits de médecine somatique, ni les travaux dimplantation préalable dune équipe qui aurait choisi librement dintégrer lhôpital général qui sont ici visés.
Enfin, puisque linteraction psychiatrie / psychanalyse est déterminante tant dans notre approche conceptuelle que dans limplication pratique, quelle se noue autour du sujet et de la rencontre relationnelle avec lui, on ne saurait se désintéresser du destin conjoint de la psychanalyse et de la psychiatrie publique. Nous ne pouvons pas encore apprécier la conscience quont les sociétés de psychanalyse de la conjonction de ces devenirs. En ouvrant, à lanalyse, les lieux où se déploient les psychoses, à lasile ou dans la cité, en mariant les pratiques, la psychiatrie a donné à lanalyse la possibilité détayer la théorie et dapporter à la cohérence et à la rigueur du soin. En retour la psychiatrie en a été transformée radicalement. Si cette dernière disparaît ou devient méconnaissable, lanalyse risque létiolement ou son cantonnement dans un âge anté lorsquelle uvrait parmi la bourgeoisie, pouvant toujours simaginer (ce nest pas totalement faux) et penser quelle peut se dégager sans souffrir de ses liens avec un dispositif institutionnel menacé ayant en elle-même la ressource pour exister, autonome. Nous en doutons. Aussi pourrait-on assister, contemporain de la médicalisation réductrice du champ de la subjectivité, à leffacement progressif de ce qui fut lhorizon culturel de plusieurs générations : le freudisme et le marxisme. Processus déjà engagé par la révision de la nosographie (les différents D.S.M.)(2) et les exubérances de la psychopharmacologie, la souffrance psychique sindexant directement au registre de la médecine générale.
Mathilde Losserand
Yves Buin est pédopsychiatre, chef de service au Centre Antonin Artaud (Gennevilliers). Il a publié chez différents éditeurs des fictions et des essais dont, entre autres Psychiatries, lutopie, le déclin (Editions érès, 1999, 128 p., 80 F.), La période européenne de Wilhem Reich (Editions universitaires), Le Psychonaute (Bourgois), Kapitza (Editions Rivage noir, 1999).
(1) Budget global (1983) enveloppe budgétaire annuelle accordée pour le fonctionnement dun hôpital et soumis à des taux directeurs nationaux, régionaux et départementaux qui peuvent être insuffisants ou négatifs et donc signifier une diminution des moyens.
- Loi de décembre 1985 sur lorganisation de la psychiatrie qui reprend les termes des circulaires de 1960, 1972, 1974 et qui na impulsé aucune dynamique.
- Note dEvin qui recense les différentes innovations des équipes soignantes afin de les reporter ou non à une prise en charge par la sécurité sociale.
- Rapport Massé : Mission denquête mise en uvre dans les années 90 et qui a abouti à un rapport dorientation sur le devenir de la psychiatrie avec promotion de limplantation de la psy à lhôpital général.
- P.M.S.I. : profil médico-social informatisé.
(2) Manuel de diagnostic médical en psychiatrie dont lélaboration a eu lieu aux Etats-Unis.
(1) Budget global (1983) enveloppe budgétaire annuelle accordée pour le fonctionnement dun hôpital et soumis à des taux directeurs nationaux, régionaux et départementaux qui peuvent être insuffisants ou négatifs et donc signifier une diminution des moyens.
- Loi de décembre 1985 sur lorganisation de la psychiatrie qui reprend les termes des circulaires de 1960, 1972, 1974 et qui na impulsé aucune dynamique.
- Note dEvin qui recense les différentes innovations des équipes soignantes afin de les reporter ou non à une prise en charge par la sécurité sociale.
- Rapport Massé : Mission denquête mise en uvre dans les années 90 et qui a abouti à un rapport dorientation sur le devenir de la psychiatrie avec promotion de limplantation de la psy à lhôpital général.
- P.M.S.I. : profil médico-social informatisé.
(2) Manuel de diagnostic médical en psychiatrie dont lélaboration a eu lieu aux Etats-Unis.