Sortie du DVD de Notre Monde
Notre Monde Notre Monde (2013, 119') un film de Thomas LacosteRassemblant plus de 35 intervenants, philosophes, sociologues, économistes, magistrats, médecins, universitaires et écrivains, Notre Monde propose un espace dexpression pour travailler, comme nous y enjoint JeanLuc Nancy à « une pensée commune ». Plus encore quun libre espace de parole, Notre Monde sappuie sur un ensemble foisonnant de propositions concrètes pour agir comme un rappel essentiel, individuel et collectif : « faites de la politique » et de préférence autrement.
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© Passant n°28 [mars 2000 - avril 2000]
© Passant n°28 [mars 2000 - avril 2000]
par Le Père Duchêne
Imprimer l'articleJe métais presque habitué
Ça faisait des années quy grimpait le chômage, quy cessait pas de percer lplafond, et ça faisait des années quon sdisait, si ça continue, ça va péter. Dailleurs, ya pas que nous qui ldisions, Pompidou aussi, y paraît. Cétait bizarre, ça arrêtait pas, mais ça pétait toujours pas. Après, on sest habitués, on a trouvé ça naturel, cétait normal quoi. Voir les gens se dégrader sur les trottoirs toute lannée, voir le froid les recroqueviller sur des cartons tous les hivers, à ça aussi on sy est habitués, on sest fait une raison, on sen est même fait une foutue raison. Cest quand même drôle lhabitude, cest sacrément fort, ça a la force détouffer tout un ensemble de trucs, même des trucs dont on a toujours besoin, dont on a foutrement besoin aujourdhui encore et même plus que jamais.
Cette raison, elle était simple. Si tout le monde, même celui quest dans la pire des mouises, y trouve ça normal de souffrir, alors dans ce cas-là, on peut sdire quy a pas à souffrir à sa place, quy a pas à souffrir pour lui. Et en même temps, puisquy a toujours quelquun dans une pire merde que moi, jai pas à mplaindre, jai pas à mplaindre. Et si je souffre quand même, si jsuis chômeur ou rmiste et que jvis dans langoisse de perdre mon logement, si jai un CDD et que jvis avec le revolver du licenciement sur la tempe, si jai un vrai boulot mais quon men dmande toujours plus alors quon est toujours moins et que jsuis tout pressé et tout rongé par le stress, alors, si jsouffre un max, faut quand même que jen aie honte, faut qujaie honte de souffrir, parce que cque jai, moi, yen a quaimeraient lavoir, parce que même si jsouffre, moi, jai de la « chance » dêtre là où ça fait souffrir.
Putain, yavait vraiment quelque chose de cinglé dans tout cmachin. Cest quand même fou un système qui te donne honte de souffrir alors que tu devrais avoir une seule réaction, cest dire : « bordel, jvais régler lproblème, jvais faire place nette ». Evidemment, comme on sy est habitués, on trouve ça normal, mais si on y réfléchit un peu, on sdit que cest quand même dingue quon ait pu être tordu à cpoint, quon ait pu comme ça nous bousiller en dedans, quun machin ait fait quon ait honte plutôt quenvie de srévolter. Jai lu un bouquin dun type quécrit que cest un truc quest digne de la psycho, et même dla psycho-pathologie ! Et y dit, que quand on trouve ça normal de souffrir, ya pas tellement de chance quon srévolte contre la souffrance des autres, et que souffrir en ayant honte de ça, cest pire que de seulement souffrir, quça renferme sur soi et quça bousille. Cet écrivain, y sappelle Christophe Dejours, et son bouquin, ça sappelle, Souffrance en France. La banalisation de linjustice sociale. Cest vraiment bien trouvé comme titre, hein !
Mais heureusement, tout cboxon, cest fini. Parce quaujourdhui, le chômage, y monte plus, y descend. Et comme y descend, on va pouvoir refaire le chemin à lenvers. Plus ça va aller, plus on va retrouver ça bizarre de souffrir, plus on va retrouver ça impossible de supporter que les gens vivent dans le stress, dans langoisse ou tout simplement dans la rue, et tout ce quon a pas voulu voir pendant toutes ces années, ça va devenir énorme, ça va nous boucher complètement la vue, ça va nous habiter tout le temps lesprit, ça va nous obnubiler quoi, et comme cest pas de sitôt que ça sera lparadis, ya des chances quon sdise à nouveau : « si ça continue, ça va péter », et puis aussi : « bordel, jvais régler lproblème, maintenant, jvais faire place nette ».
Cette raison, elle était simple. Si tout le monde, même celui quest dans la pire des mouises, y trouve ça normal de souffrir, alors dans ce cas-là, on peut sdire quy a pas à souffrir à sa place, quy a pas à souffrir pour lui. Et en même temps, puisquy a toujours quelquun dans une pire merde que moi, jai pas à mplaindre, jai pas à mplaindre. Et si je souffre quand même, si jsuis chômeur ou rmiste et que jvis dans langoisse de perdre mon logement, si jai un CDD et que jvis avec le revolver du licenciement sur la tempe, si jai un vrai boulot mais quon men dmande toujours plus alors quon est toujours moins et que jsuis tout pressé et tout rongé par le stress, alors, si jsouffre un max, faut quand même que jen aie honte, faut qujaie honte de souffrir, parce que cque jai, moi, yen a quaimeraient lavoir, parce que même si jsouffre, moi, jai de la « chance » dêtre là où ça fait souffrir.
Putain, yavait vraiment quelque chose de cinglé dans tout cmachin. Cest quand même fou un système qui te donne honte de souffrir alors que tu devrais avoir une seule réaction, cest dire : « bordel, jvais régler lproblème, jvais faire place nette ». Evidemment, comme on sy est habitués, on trouve ça normal, mais si on y réfléchit un peu, on sdit que cest quand même dingue quon ait pu être tordu à cpoint, quon ait pu comme ça nous bousiller en dedans, quun machin ait fait quon ait honte plutôt quenvie de srévolter. Jai lu un bouquin dun type quécrit que cest un truc quest digne de la psycho, et même dla psycho-pathologie ! Et y dit, que quand on trouve ça normal de souffrir, ya pas tellement de chance quon srévolte contre la souffrance des autres, et que souffrir en ayant honte de ça, cest pire que de seulement souffrir, quça renferme sur soi et quça bousille. Cet écrivain, y sappelle Christophe Dejours, et son bouquin, ça sappelle, Souffrance en France. La banalisation de linjustice sociale. Cest vraiment bien trouvé comme titre, hein !
Mais heureusement, tout cboxon, cest fini. Parce quaujourdhui, le chômage, y monte plus, y descend. Et comme y descend, on va pouvoir refaire le chemin à lenvers. Plus ça va aller, plus on va retrouver ça bizarre de souffrir, plus on va retrouver ça impossible de supporter que les gens vivent dans le stress, dans langoisse ou tout simplement dans la rue, et tout ce quon a pas voulu voir pendant toutes ces années, ça va devenir énorme, ça va nous boucher complètement la vue, ça va nous habiter tout le temps lesprit, ça va nous obnubiler quoi, et comme cest pas de sitôt que ça sera lparadis, ya des chances quon sdise à nouveau : « si ça continue, ça va péter », et puis aussi : « bordel, jvais régler lproblème, maintenant, jvais faire place nette ».
Le Père Duchêne