Sortie du DVD de Notre Monde
Notre Monde Notre Monde (2013, 119') un film de Thomas LacosteRassemblant plus de 35 intervenants, philosophes, sociologues, économistes, magistrats, médecins, universitaires et écrivains, Notre Monde propose un espace dexpression pour travailler, comme nous y enjoint JeanLuc Nancy à « une pensée commune ». Plus encore quun libre espace de parole, Notre Monde sappuie sur un ensemble foisonnant de propositions concrètes pour agir comme un rappel essentiel, individuel et collectif : « faites de la politique » et de préférence autrement.
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© Passant n°28 [mars 2000 - avril 2000]
© Passant n°28 [mars 2000 - avril 2000]
par Bernard Friot
Imprimer l'articleLe droit de salaire à la place du droit de propriété lucrative
Appelons travail contraint le travail fait pour un employeur. Ce travail est voué à la mise en valeur du capital, pour le meilleur et pour le pire : la capacité créative des individus sexprime aussi, bien sûr, quand ils produisent de la valeur pour le capital, mais cette créativité repose sur des choix inhumains. Un exemple récent : il a été estimé, à la conférence de janvier dernier des Nations Unies sur le sida, que la prévention du bogue de lan 2000 a mobilisé mille fois plus dargent que la lutte contre le sida en Afrique. Le travail libre, lui, est le travail exercé hors de toute référence à un employeur. Les considérables gains de productivité du travail contraint permettent daugmenter le temps de travail libre, à la fois par réduction du temps hebdomadaire et annuel de travail contraint et par extension des temps dits dinactivité comme la retraite ou les études.
Appelons propriété lucrative la propriété dont je nuse pas afin den tirer une rente : la maison que je possède et habite est une propriété dusage, celle que je possède mais nhabite pas parce que je la loue est une propriété lucrative. La forme dominante de la propriété lucrative est laccumulation (privée ou publique) de capitaux. Le droit de propriété tire sa légitimité démocratique de la nécessaire protection de la propriété dusage, mais il sert avant tout à protéger la propriété lucrative, base de la logique capitaliste.
Appelons enfin droit de salaire la protection du salaire auquel devrait avoir droit tout individu, à compter par exemple de sa majorité, sur la base de la qualification qui lui est attribuée. Pourquoi remplacer le droit de propriété lucrative par le droit de salaire ? Pour deux raisons.
La première est quil est indispensable que les gains de productivité du travail contraint retournent aux travailleurs sous forme de cotisations patronales pour que les employeurs paient le temps de travail libre. Sinon ces gains vont alimenter une accumulation de capital qui met encore davantage en péril la sécurité dexistence individuelle par sa quête éperdue de valorisation, transformant ainsi la bonne nouvelle de la réduction du travail contraint en cauchemar de lexclusion, de lintensification du travail et de la précarité des droits.
La seconde est que seuls des individus disposant dun salaire assuré quels que soient les aléas de leur travail contraint, lui-même en voie de réduction massive, auront la liberté de nexercer que des travaux qui méritent de lêtre, et la disponibilité de participer à la politique des entreprises. Que seules cette liberté et cette disponibilité leur permettront dentreprendre la gigantesque bataille politique pour en finir avec la propriété lucrative (la propriété dusage nétant bien sûr pas en cause).
Se battre pour le droit de salaire, cest sortir de lidée quil faut souffrir pour être beau, que la galère est normale quand on démarre, etc . Cest sortir de la préhistoire en affectant à chacun un salaire lié à sa qualification, inaliénable.
Salaire car cest la production de valeur quil sagit de subvertir, et cela se joue sur la scène du rapport capitaliste. Une allocation universelle nous ramènerait loin en arrière, à lidentification entre salaire et travail contraint.
Lié à sa qualification car nous ne sommes pas dans une abondance telle que toute référence des ressources au travail soit dépassée, à supposer quelle le soit un jour. Il sagit dattribuer à chacun une qualification correspondant à son salaire, par exemple le jour de sa majorité. Une qualification sans doute forfaitaire au départ (et donc le salaire minimum) pour éviter des effets pervers sur le système éducatif, puis progressivement différenciée en fonction des trajectoires, selon une délibération politique sur laquelle chacun doit avoir prise.
Inaliénable car le fait de laisser des adultes sans revenus est impensable dans une société aussi riche que la nôtre, et le faire dépendre des aléas du rapport au travail contraint est, pour le coup, dépassé depuis qua été conquise la prolongation du salaire dans la pension de retraite.
Mathilde Losserand
Appelons propriété lucrative la propriété dont je nuse pas afin den tirer une rente : la maison que je possède et habite est une propriété dusage, celle que je possède mais nhabite pas parce que je la loue est une propriété lucrative. La forme dominante de la propriété lucrative est laccumulation (privée ou publique) de capitaux. Le droit de propriété tire sa légitimité démocratique de la nécessaire protection de la propriété dusage, mais il sert avant tout à protéger la propriété lucrative, base de la logique capitaliste.
Appelons enfin droit de salaire la protection du salaire auquel devrait avoir droit tout individu, à compter par exemple de sa majorité, sur la base de la qualification qui lui est attribuée. Pourquoi remplacer le droit de propriété lucrative par le droit de salaire ? Pour deux raisons.
La première est quil est indispensable que les gains de productivité du travail contraint retournent aux travailleurs sous forme de cotisations patronales pour que les employeurs paient le temps de travail libre. Sinon ces gains vont alimenter une accumulation de capital qui met encore davantage en péril la sécurité dexistence individuelle par sa quête éperdue de valorisation, transformant ainsi la bonne nouvelle de la réduction du travail contraint en cauchemar de lexclusion, de lintensification du travail et de la précarité des droits.
La seconde est que seuls des individus disposant dun salaire assuré quels que soient les aléas de leur travail contraint, lui-même en voie de réduction massive, auront la liberté de nexercer que des travaux qui méritent de lêtre, et la disponibilité de participer à la politique des entreprises. Que seules cette liberté et cette disponibilité leur permettront dentreprendre la gigantesque bataille politique pour en finir avec la propriété lucrative (la propriété dusage nétant bien sûr pas en cause).
Se battre pour le droit de salaire, cest sortir de lidée quil faut souffrir pour être beau, que la galère est normale quand on démarre, etc . Cest sortir de la préhistoire en affectant à chacun un salaire lié à sa qualification, inaliénable.
Salaire car cest la production de valeur quil sagit de subvertir, et cela se joue sur la scène du rapport capitaliste. Une allocation universelle nous ramènerait loin en arrière, à lidentification entre salaire et travail contraint.
Lié à sa qualification car nous ne sommes pas dans une abondance telle que toute référence des ressources au travail soit dépassée, à supposer quelle le soit un jour. Il sagit dattribuer à chacun une qualification correspondant à son salaire, par exemple le jour de sa majorité. Une qualification sans doute forfaitaire au départ (et donc le salaire minimum) pour éviter des effets pervers sur le système éducatif, puis progressivement différenciée en fonction des trajectoires, selon une délibération politique sur laquelle chacun doit avoir prise.
Inaliénable car le fait de laisser des adultes sans revenus est impensable dans une société aussi riche que la nôtre, et le faire dépendre des aléas du rapport au travail contraint est, pour le coup, dépassé depuis qua été conquise la prolongation du salaire dans la pension de retraite.
Mathilde Losserand