Sortie du DVD de Notre Monde
Notre Monde Notre Monde (2013, 119') un film de Thomas LacosteRassemblant plus de 35 intervenants, philosophes, sociologues, économistes, magistrats, médecins, universitaires et écrivains, Notre Monde propose un espace dexpression pour travailler, comme nous y enjoint JeanLuc Nancy à « une pensée commune ». Plus encore quun libre espace de parole, Notre Monde sappuie sur un ensemble foisonnant de propositions concrètes pour agir comme un rappel essentiel, individuel et collectif : « faites de la politique » et de préférence autrement.
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© Passant n°28 [mars 2000 - avril 2000]
© Passant n°28 [mars 2000 - avril 2000]
par Violaine Ripoll
Imprimer l'articleWiderstand ! (Résistance !)
Le 8 mars 1999, dans la province de Carinthie, aux confins de lUnion européenne, le FPÖ (die Freiheitlichen Partei Österreichs), rebaptisé « mouvement de la liberté » a gagné les élections régionales avec plus de 42 % des suffrages. Jörg Haider triomphe dans son fief provincial et reprend son poste de gouverneur (Landeshauptmann, ministre-président). Dautres partis dextrême-droite en Europe avaient déjà fait pareil score, mais malgré leur présence dans les hémicycles, on nétait pas obligé de leur serrer la main, ou alors discrètement pour sassurer du soutien de leurs voix. On sinsurgea donc, un peu.
Le 3 octobre 1999, les élections législatives permettent au FPÖ de devenir la deuxième force politique du pays, juste derrière les sociaux-démocrates (SPÖ). Ils obtiennent autant de sièges que les chrétiens démocrates (ÖVP), 52 sur 183 députés. Lincompatibilité entre Viktor Klima (chancelier, SPÖ) et Wolfgang Schüssel (vice-chancelier, ministre des affaires étrangères, ÖVP) poussa ce dernier, pétri de grandes ambitions politiques personnelles, à rendre acceptable une alliance avec les libéraux extrémistes du FPÖ. Depuis la fin de la deuxième guerre mondiale, conservateurs et socialistes sétaient partagé le pouvoir dans des coalitions, où les conservateurs navaient plus la meilleure place. Malgré le peu de confiance dans une alliance conservateurs-populistes, Thomas Klestil, président de la République, na pas eu dautres solutions que de se plier au pacte de gouvernement, conclu le 1er février, entre les deux forces politiques de droite. Ils ont promis une politique familiale et de réduire le déficit budgétaire, tout en se conformant aux valeurs de la démocratie. Du moins, cest ce quils ont assurés.
Les membres de lUnion européenne se sont insurgés, surtout les Belges et les Français (dont les deux ministres Laurette Onkelinx et Martine Aubry ont quitté la salle du Conseil européen à Lisbonne au moment où la ministre populiste Elisabeth Sickl prenait la parole, le vendredi 11 février). Acte de dégoût mais acte isolé. La conférence intergouvernementale (CIG) doit avoir lieu cette année pour réformer les institutions avant lélargissement programmé, et il sera difficile de statuer en excluant les Autrichiens. Micmac institutionnel et diplomatique. A lheure où nous imprimons, les « oui, mais... » font toujours office de discours officiel.
Lingérence a lieu quand les pays étrangers se mêlent de la politique intérieure dun pays tiers. Le vote en Autriche a été démocratique, lalliance a été approuvée par 31 membres de la direction du ÖVP sur 32, rien à redire ? Une si belle majorité ne trouvera peut-être pas telle allégeance dans les rangs plutôt hostiles du PPE (parti populaire européen, qui rassemble les partis conservateurs européens) ; mais on peut aussi douter de leurs beaux principes (les élections régionales et la gestion de certains parlements régionaux français en sont de tristes exemples).
Que les Autrichiens soient lassés dune sempiternelle coalition, du système de la « Proporz », on peut le comprendre, mais ils ont tout de même avalé de belles couleuvres : léloge de la politique de lemploi du IIIéme Reich (qui coûta à Haider son poste de gouverneur en 91, repris triomphalement en 99), les paroles et les mesures contre les étrangers, y compris dans les écoles... Haider arrive à faire passer ses monstrueux discours (quil noie dans le poisson après) avec son sourire de jeune premier et ses airs de gendre idéal. Derrière la façade, se cachent une éducation dans une famille nazie et une résidence spoliée à une famille juive pendant la guerre, qui tente depuis lors de la récupérer. En langage tout juste caché, on se félicite du passé allemand, voire hitlérien, pour certains, de vieux SS qui ont conservé quelques galons, même au sein du FPÖ, et on « révisionnise » carrément chez les plus jeunes. LAutriche a été considérée comme victime de lagression hitlérienne par les Alliés à la fin de la guerre (malgré lacceptation de lAnschluss et la participation de nombreux Autri-chiens aux rouages du système nazi). Elle devient neutre, puis frappe à la porte de lUnion européenne à la chute du communisme. Le tour est joué, lAutriche est propre sur elle, passé glorieux, chômage faible, paysages bucoliques... Mais la mondialisation et les étrangers pointent leur nez, cest simple comme un discours de Le Pen : priorité aux nationaux, les femmes à la maison, et les vaches (de race alpine) seront bien gardées...
Alors comment qualifier cet homme et le mouvement quil dirige depuis 1986 (de 86 à 91 Kurt Waldheim est président, malgré les révélations de son passé dans les services de la Wehrmacht et sa condamnation pour crime de guerre et crime contre lhumanité) ? Libéral, protectionniste, populiste, xénophobe ? Tout à la fois. Il sait séduire les ouvriers et les petits entrepreneurs avec ses critiques de létat bureaucratique, il plaît aux jeunes avec un dynamisme politique, laissé à labandon par les barons du ÖVP et du SPÖ, et aux catholiques avec une fibre religieuse et identitaire bien calculée. Pour linstant, il reste tapi dans lombre de sa province, pour mieux aiguiser ses armes pour les élections de 2003.
Attendre quelques mois de gouvernement de cette équipe équitablement partagée entre les ministres conservateurs et les populistes, laisser venir, laisser faire ? Dautres partis en Europe (re)pointent leurs costumes bruns : la Ligue du nord en Italie, le Vlaams Blok flamand, le Parti populaire danois, lUnion démocratique du centre en Suisse, sans compter nos FN et autres dérivés. La légitimité démocratique, laffaiblissement des Etats-nations au profit de gouvernements politiques supra-étatiques (UE, OMC, OTAN, etc.), la globalisation de léconomie et limmigration « sud-nord » sont autant de leitmotivs de discours qui se disent respectables, mais derrière lesquels se cachent de plus sombres propos, de plus sombres motivations. Les glissades idéologiques de certains partis conservateurs, ou leur mollesse, et les intérêts politiciens (manque de poigne ?) des nombreux partis de gauche au pouvoir en Europe laissent le champ libre à ces partis extrémistes. Tout à leur légitimité démocratique, ils sappuient sur les égarements des autres partis pour mieux récupérer leurs voix. Schüssel est certainement fier de son poste de chancelier, mais pour combien de temps ? Il ne reste plus quà entrer dans une résistance acharnée contre ces discours simplistes et bien enrobés et se méfier des actes qui ne manqueront pas de suivre si la vigilance baisse.
Le 3 octobre 1999, les élections législatives permettent au FPÖ de devenir la deuxième force politique du pays, juste derrière les sociaux-démocrates (SPÖ). Ils obtiennent autant de sièges que les chrétiens démocrates (ÖVP), 52 sur 183 députés. Lincompatibilité entre Viktor Klima (chancelier, SPÖ) et Wolfgang Schüssel (vice-chancelier, ministre des affaires étrangères, ÖVP) poussa ce dernier, pétri de grandes ambitions politiques personnelles, à rendre acceptable une alliance avec les libéraux extrémistes du FPÖ. Depuis la fin de la deuxième guerre mondiale, conservateurs et socialistes sétaient partagé le pouvoir dans des coalitions, où les conservateurs navaient plus la meilleure place. Malgré le peu de confiance dans une alliance conservateurs-populistes, Thomas Klestil, président de la République, na pas eu dautres solutions que de se plier au pacte de gouvernement, conclu le 1er février, entre les deux forces politiques de droite. Ils ont promis une politique familiale et de réduire le déficit budgétaire, tout en se conformant aux valeurs de la démocratie. Du moins, cest ce quils ont assurés.
Les membres de lUnion européenne se sont insurgés, surtout les Belges et les Français (dont les deux ministres Laurette Onkelinx et Martine Aubry ont quitté la salle du Conseil européen à Lisbonne au moment où la ministre populiste Elisabeth Sickl prenait la parole, le vendredi 11 février). Acte de dégoût mais acte isolé. La conférence intergouvernementale (CIG) doit avoir lieu cette année pour réformer les institutions avant lélargissement programmé, et il sera difficile de statuer en excluant les Autrichiens. Micmac institutionnel et diplomatique. A lheure où nous imprimons, les « oui, mais... » font toujours office de discours officiel.
Lingérence a lieu quand les pays étrangers se mêlent de la politique intérieure dun pays tiers. Le vote en Autriche a été démocratique, lalliance a été approuvée par 31 membres de la direction du ÖVP sur 32, rien à redire ? Une si belle majorité ne trouvera peut-être pas telle allégeance dans les rangs plutôt hostiles du PPE (parti populaire européen, qui rassemble les partis conservateurs européens) ; mais on peut aussi douter de leurs beaux principes (les élections régionales et la gestion de certains parlements régionaux français en sont de tristes exemples).
Que les Autrichiens soient lassés dune sempiternelle coalition, du système de la « Proporz », on peut le comprendre, mais ils ont tout de même avalé de belles couleuvres : léloge de la politique de lemploi du IIIéme Reich (qui coûta à Haider son poste de gouverneur en 91, repris triomphalement en 99), les paroles et les mesures contre les étrangers, y compris dans les écoles... Haider arrive à faire passer ses monstrueux discours (quil noie dans le poisson après) avec son sourire de jeune premier et ses airs de gendre idéal. Derrière la façade, se cachent une éducation dans une famille nazie et une résidence spoliée à une famille juive pendant la guerre, qui tente depuis lors de la récupérer. En langage tout juste caché, on se félicite du passé allemand, voire hitlérien, pour certains, de vieux SS qui ont conservé quelques galons, même au sein du FPÖ, et on « révisionnise » carrément chez les plus jeunes. LAutriche a été considérée comme victime de lagression hitlérienne par les Alliés à la fin de la guerre (malgré lacceptation de lAnschluss et la participation de nombreux Autri-chiens aux rouages du système nazi). Elle devient neutre, puis frappe à la porte de lUnion européenne à la chute du communisme. Le tour est joué, lAutriche est propre sur elle, passé glorieux, chômage faible, paysages bucoliques... Mais la mondialisation et les étrangers pointent leur nez, cest simple comme un discours de Le Pen : priorité aux nationaux, les femmes à la maison, et les vaches (de race alpine) seront bien gardées...
Alors comment qualifier cet homme et le mouvement quil dirige depuis 1986 (de 86 à 91 Kurt Waldheim est président, malgré les révélations de son passé dans les services de la Wehrmacht et sa condamnation pour crime de guerre et crime contre lhumanité) ? Libéral, protectionniste, populiste, xénophobe ? Tout à la fois. Il sait séduire les ouvriers et les petits entrepreneurs avec ses critiques de létat bureaucratique, il plaît aux jeunes avec un dynamisme politique, laissé à labandon par les barons du ÖVP et du SPÖ, et aux catholiques avec une fibre religieuse et identitaire bien calculée. Pour linstant, il reste tapi dans lombre de sa province, pour mieux aiguiser ses armes pour les élections de 2003.
Attendre quelques mois de gouvernement de cette équipe équitablement partagée entre les ministres conservateurs et les populistes, laisser venir, laisser faire ? Dautres partis en Europe (re)pointent leurs costumes bruns : la Ligue du nord en Italie, le Vlaams Blok flamand, le Parti populaire danois, lUnion démocratique du centre en Suisse, sans compter nos FN et autres dérivés. La légitimité démocratique, laffaiblissement des Etats-nations au profit de gouvernements politiques supra-étatiques (UE, OMC, OTAN, etc.), la globalisation de léconomie et limmigration « sud-nord » sont autant de leitmotivs de discours qui se disent respectables, mais derrière lesquels se cachent de plus sombres propos, de plus sombres motivations. Les glissades idéologiques de certains partis conservateurs, ou leur mollesse, et les intérêts politiciens (manque de poigne ?) des nombreux partis de gauche au pouvoir en Europe laissent le champ libre à ces partis extrémistes. Tout à leur légitimité démocratique, ils sappuient sur les égarements des autres partis pour mieux récupérer leurs voix. Schüssel est certainement fier de son poste de chancelier, mais pour combien de temps ? Il ne reste plus quà entrer dans une résistance acharnée contre ces discours simplistes et bien enrobés et se méfier des actes qui ne manqueront pas de suivre si la vigilance baisse.