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Sortie du DVD de Notre Monde

Notre Monde Notre Monde (2013, 119') un film de Thomas Lacoste
Rassemblant plus de 35 intervenants, philosophes, sociologues, économistes, magistrats, médecins, universitaires et écrivains, Notre Monde propose un espace d’expression pour travailler, comme nous y enjoint Jean–Luc Nancy à « une pensée commune ». Plus encore qu’un libre espace de parole, Notre Monde s’appuie sur un ensemble foisonnant de propositions concrètes pour agir comme un rappel essentiel, individuel et collectif : « faites de la politique » et de préférence autrement.
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© Passant n°22 [octobre 1998 - novembre 1998]
par Elisabeth Fabry
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L'Homme a besoin de limites. Une évidence...



Parfois, il cherche à les utiliser ; comme Arno Stern, qui utilise les limites de son Clos-Lieu pour favoriser une expression thérapeutique. Clos-Lieu : espace fermé aux interprétations et regards extérieurs ; où donc l'expression devient possible parce que sans risque. Parce que les limites sont protectrices où l'on vient peindre et se dire. Thérapeutique parce que l'on peut enfin s'exprimer et que dans cette création, il n'est nul question d'esthétique, d'artistique, mais simplement d'expression, par un autre biais que la parole.



D'autres fois, il cherche à les définir ; comme nos astronautes et savants tentent de le faire en conquérant l'Espace. Espace où les limites sont dangereuses, parce qu'inconnues, inaccessibles. Espace troublant parce qu'indéfini et que l'on cherche à définir. Comme le font aussi nos géographes, ou nos politiciens. Qu'est-ce qu'une frontière sinon un aménagement ?



L'Homme a sans cesse besoin de délimiter.



Aménager l'espace, le délimiter, c'est tenter, un peu comme Arno Stern, de poser un fondement à la psychée humaine, effrayante avec son puits sans fond ; avec son inconscient qui nous possède sans qu'on le détermine. Ou bien, c'est encore tenter d'infliger des frontières à une planète qui a pourtant très bien su faire seule ces choses-là, avec ses fleuves et ses océans, ses montagnes et ses cols, ses déserts et ses forêts.



Délimiter, c'est aussi tenter de dompter l'éclatement psychique en lui permettant d'extérioriser sa dislocation pour mieux le cerner, le soigner et donc le structurer.



Ou bien, c'est tenter d'apprivoiser le vide ; de l'enfermer dans un périmètre sécurisant et pouvoir enfin le parcourir en toute liberté ; comme si l'on était chez soi dans l'univers.



Délimiter... Avidité de mieux connaître pour mieux comprendre pour mieux manipuler, posséder, maîtriser. Manipuler l'âme, maîtriser la psychée, posséder la terre.



Délimiter... Abstraction utopiste de l'Homme en quête de propriété, de pouvoir. Pourquoi est-ce ici chez moi et là chez mon voisin ? N'est-on pas partout chez soi sur terre et dans l'espace, pour peu qu'on se sente je en soi ?



Mais délimiter, c'est aussi une recherche de sécurité. Recherche de limites comme tentative sans fin de retrouver les sécurisantes parois utérines. Sans fin mais pas sans souffrance. Parce qu'après le passage étroit du col, c'est l'ouverture sur le vide. Vertige du sans limite que l'éducation tentera d'aménager par l'inculcation de la loi-fermeture. Loi castratrice, Loi frustration. Loi qui dit non. Qu'elle manque, et c'est la démesure. Le vertige du vide donne des aspirations de liberté exacerbée. L'espace comme un champ d'électrons libres. L'ouverture sur le n'importe quoi ; le pulsionnel, la toute-puissance, le plaisir immédiat ; l'animal est en moi et la vie est à moi ! Avec la prison comme ultime limite avant la mort.



La prison où l'on retrouve le clos-lieu ; les parois si près de soi. Où l'on baigne à nouveau dans son pipi-caca. Où les bruits du dehors parviennent du lointain ; réalité floue, pas tout à fait existante. La prison comme une régression. Retour aux limites premières pour échapper à la dernière. A la mort.



La prison comme avant la re-naissance aussi, quelquefois. Franchir encore le passage, le sas vers le dehors. Avec la peur du vide, à nouveau, encore. La peur du trop d'espace. Et l'euphorie aussi ; avec un relan du goût de liberté sans limite. Et l'angoisse de ne pas savoir les aménager : la liberté et l'espace.



C'est alors qu'au sein même du clos-lieu-prison, on tente d'instaurer une parole et l'on devient réceptacle de maux en mots accouchés péniblement. Et c'est par cette parole que l'aménagement de l'espace et de la liberté peut prendre forme. Parce que cet aménagement ne peut se faire sans la ré-appropriation de repères (re-père de ses origine) ; sans la définition de son milieu. Milieu d'appartenance, d'où l'on vient, où l'on retourne sans cesse (on ne se débarrasse pas comme ça de son histoire). Car c'est en intégrant des finitions à son milieu qu'on intègre aussi que tout est fini, que tout a des limites. Tout et tout le monde et tout le temps.



Alors, et alors seulement, l'espace psychique s'aménage autrement et son milieu peut s'ouvrir un peu plus. Se décentrer de soi et se découvrir une place libre, un espace à combler, un vide pour se nourrir. Une disponibilité, en somme. Celle de rencontrer l'autre, avec son propre milieu. Et puis les autres, avec les leurs. Jusqu'à ce que naisse le goût du savoir ; avec celui de découvrir, d'apprendre, de connaître... Pour mieux comprendre, pour mieux maîtriser pour mieux manipuler...



Parce qu'au fond, n'est-ce pas la principale motivation qui l'ait poussé, l'Homme animal, l'Homme sans limite, à accepter de les assimiler, ces limites ? Le seul intérêt à tolérer la frustration qu'impose un mode de vie dicté par le respect des limites, des règles, de la loi, ne tient-il pas en la compréhension que c'est le prix à payer pour, à son tour, voir aboutir un jour sa quête de pouvoir et de propriété ? C'est en reconnaissant les limites qu'il pourra tenter de les repousser toujours davantage et élargir ainsi "son" espace : être ici chez lui, et être le maître chez lui ; faire appliquer ses règles ; diriger, manipuler, posséder.



Et c'est là que tout a échoué. Quand la prise en compte de la loi s'entend comme loi-fermeture et qu'on croit devoir enfermer l'animal pour le socialiser. Quand le repoussement des limites s'entend comme gain de supériorité, de par l'accroissement de la taille de la possession.



Alors que l'intégration des limites devient loi-ouverture quand elle est associée à la parole ; et que le repoussement de ces limites n'est autre qu'un espace supplémentaire pour rencontrer l'autre, et donc avoir la possibilité de se dire et donc de se connaître et donc d'être soi et donc d'être libre. Car la pensée est illimitée et par elle, rien n'est jamais fini.

Elisabeth Fabry

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