Sortie du DVD de Notre Monde
Notre Monde Notre Monde (2013, 119') un film de Thomas LacosteRassemblant plus de 35 intervenants, philosophes, sociologues, économistes, magistrats, médecins, universitaires et écrivains, Notre Monde propose un espace dexpression pour travailler, comme nous y enjoint JeanLuc Nancy à « une pensée commune ». Plus encore quun libre espace de parole, Notre Monde sappuie sur un ensemble foisonnant de propositions concrètes pour agir comme un rappel essentiel, individuel et collectif : « faites de la politique » et de préférence autrement.
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© Passant n°20 [juin 1998 - juillet 1998]
© Passant n°20 [juin 1998 - juillet 1998]
par Collectif
Imprimer l'articleLes miels de Minvielle
Né chez 'Lamugue' à Pau, dans le café familial, André Minvielle a été élevé à la variété française, avec un zest de Tchaïkoski. Un bon bagage pour écumer les bals, Deep Purple et Zappa en supplément, tcha-tcha et bossa nova en pizzeria. De quoi croûter, une envie forte d'être sur scène. Changement de décor. Moins de relief, plus de Seine. Baluchon jeté à Paname, il fait les bars : Al Jarreau, Sacha Distel, Luis Mariano. Puis il rencontre Lubat et la Compagnie. Un choc, frontal. Depuis 1985, il oeuvre à Uzeste. Des coudes jusqu'à la fête. Voix perchée dans les pins d'où tombent la poésie de Mancieti, il gratte son trou, insatiable. Ici, l'alios a la rouge vif de l'allegria. Rires en cartouche, swing des zygomatiques. Pignadas 2000.
Pour ses quarante ans, il s'était promis un album. Une quadrature aventureuse. 'Canto' (1) est né. 'Chants du monde' butinés en Occitan, miels des oreilles. André Minvielle parle comme il joue, improvisation, bonds et rebonds. Je suis là, je dis un truc, le lendemain, j'ai l'impression que je me suis trahis. J'ai envie de dire les choses avec du temps, avec des erreurs.î Morceaux choisis de la rencontre avec l'happyculteur.
La rencontre avec Lubat, les surréalistes appelleraient cela ile hasard objectif'. Un ensemble de combinaison pas possibles. Je suis parti de Pau car je ne supportais plus de tourner autour ! (NDLR : comme le disait un humoriste, gageons qu'André Minvielle qui vient de Pau saura faire le retour de U à P). Martine était caissière chez Euromarché, moi chanteur chez pépé Nunca, tu vois le couple ! On est monté à Paris. Je cherchais à travailler autrement. On a trouvé un appartement à Saint-Maure les Fossés, les meubles y sont resté huit mois et moi quatre, en tout et pour tout. J'ai démarché mais je n'avais pas les codes pour rentrer dans les boîtes de jazz. A Paris, tout était cloisonné. J'ai commencé à faire le boeuf dans les bars les plus faciles. Je reprenais des morceaux d'Al Jarreau, de Sacha Distel ou de Luis Mariano. A l'époque, j'étais un imitateur incroyable, je faisais tout, tout ce qui traînait. Ni Trenet, ni Beatles ! J'avais un copain qui jouait avec la compagnie, laquelle devait passer au théâtre de l'Est Parisien. On arrive, la salle était pleine. Un mec entre en scène et dit un poème, Auzier est à la tronçonneuse. Derrière un décor de grottes, des vieux jouent à la belote. Dans les silences, on entendait 'coupe'. Y'avait tout : le bal, les papys, le bistrot. Les mecs gueulaient c'est pas du jazz, Lubat tu nous fais chier. Lubat allume alors la lumière. 'Qui connait le jazz ici ?!'. Puis ils ont amené la gâteau sur scène. Mon copain n'est jamais venu, moi, j'étais scotché, j'en croyais pas mes yeux ni mes oreilles. Ce devait être l'état amoureux. Martine et moi, on était ouverts, on a reçu ça comme un cadeau. Je me souviens avoir très fortement pensé : c'est cela que je veux faire. La scène n'était pas coupée de la salle. C'était un ensemble, pas du spectacle. Un travail quoi !... Nous, nous sommes des oeuvriers. C'est entre ouvrier et ouvrir. T'as un métier et c'est l'oeuvre qui t'ouvre, qui te somme de t'ouvrir sur scène. Vas-y, joue. C'est une expérience à mener, pas à décréter. T'es embarqué pour un voyage. Et c'est pas du tourisme.'
La compagnie Lubat, c'est la transmission, c'est pas un message mais du travail, de l'imaginaire, le paratje (citoyenneté aventureuse) des troubadours. Tu travailles à l'intérêt général sans te laisser écraser. Je suis passé à propos et je suis resté. Entre Alban, Lubat, l'Estaminet, le festival, je suis quelqu'un de normal dans le processus, sans ambition starisante, c'est peut-être chimique d'ailleurs. J'appelle cela 'vocalchimie' car je sais, en fait, que c'est une chimie. Ce qui m'intéresse c'est le chaudron. Castang dit : 'il faut substituer la nation pyramide à la nation amphithéâtre'. C'est beau ! Quand on grimpe trop vite les échelons, le relief s'écrase. Si je fabrique un Minvielle, où je vais ? A quoi je me rattache ? Je me coupe du monde de travail. Moi, j'aime ce que je fais ici. J'aimerais rester le plus longtemps possible, toujours en Gascogne, qu'on devienne un truc infernal, qu'il y en ait d'autres, et que ça continue longtemps, longtemps.î
'On a une belle vie mais on s'en occupe !'
'Tu vois, Lubat c'est moi, autrement, mais c'est moi C'est l'énergie que tu déverses quant tu joues. Créacteur et réacteur. Y'a un côté féminin à fond. Du style, c'est pas du tout la maîtrise, c'est plutôt la grossesse. Vaut mieux d'ailleurs avoir la grossesse que la grosse tête, le truc que tu portes, tu le joues sur scène et t'enfantes, c'est notre façon à nous de prendre la part des choses.'
'Ce qui m'attache au jazz, c'est son histoire. Le jazz c'est une révolte. Je serais plutôt révolutionnaire au sens paysan du terme. Tant qu'à faire la révolution, autant s'enraciner et voir comment ça réagit autour de soi, et voir comment, toi, tu réagis ? Il faut trouver un point de fixation... Les terres, tu les conquiers si tu les cultives, après tu sais à qui elles sont. C'est difficile de réfléchir à la frontière, comment c'est chez toi ensemble ? 'Un bouquet de chansons qui appartiennent ensemble' ! On pourrait dire cela des chants, chants à cultiver. Quand on chante, on rend compte, on limite, on délimite. T'as un territoire, tu improvises à l'intérieur mais il faut que tu sortes du territoire, que tu te 'déritorialises' comme disait Deleuze.'
'Moi, plutôt que me conduire, c'est l'histoire qui m'a conduit. Cela dit, c'est les deux. Avant la politique, y'a l'instinct qui est artistique. Pour se sortir d'une condition, tu marches à l'instinct et après tu le cultives. C'est pas un 'instincteur'. C'est par un truc pour éteindre mais pour cultiver le feu, la vie, la différence. Il faut survivre à ce qu'on est né. Il faut survivre à ce qu'on est béarnais. J'adore le Béarn. Ce pays est indescriptible, comme la musique. A Oloron, y'a des odeurs, un climat, une physiologie. Quand je suis là-bas, je suis dans mon élément. Je bade, je suis pris par la nature. Et si je devais avoir un pays ce serait la musique. Si mon pays s'appelait la musique, ce serait un beau pays... Il a fallu que je m'expatrie car tu ne peux pas créer là-bas. Non pas parce que c'est impossible mais parce qu'on est toujours en position de faiblesse chez soi. C'est bien de partir. Partir, c'est se mettre en danger. Tu pars comme t'improvises...C'est la trempe des métaux. En micro-mécanique, j'apprenais cela. Le fait de tremper un matériau dans de l'eau, selon la température, cela peut le rendre très résistant ou très cassant. Je suis comme un métal trempé de différentes manières. J'ai pas envie de choisir, je suis fait de tout ça, d'alliage, d'alliance. De fuite, de trous.... Je suis pas un musicien fondamental, je suis d'abord un homme. C'est l'homme qui fait la machine.'
'A quarante balais, je m'étais dit que je ferais un album. Je l'avais dans la tronche, je suis bien béarnais. Si l'entêtement, c'est de la perspective, cela devient autre chose. Moi, j'ai fait un disque dans la compagnie, avec la compagnie. Je conduis et c'est Lubat qui roule. Je me suis perdu un peu en route. C'est dedans et c'est bien.'
Dario Fo disait : 'il n'y a pas seulement la littérature.'Lui, il a fait la comedia del arte pour relier les choses. Dans la musique c'est pareil, il n'y pas seulement que la musique, on fait de l'opéra, de l'apéro, joueur de grosse caisse et chanteur au porte-voix, on dit un texte, on se ramasse la gueule, on est mauvais, on est dedans jusqu'aux coudes... J'ai mis des mots, à mi-mots, en demi-mots, mots dits, ils sont dits. Ma folie des mots ! Du sens qu'ils trimballent parce qu'ils ne sont pas égaux. Quand j'entends chanter les pygmées, j'y entends du sens au delà des mots. Il n'y a pas de mots mais il y a du sens sur lequel je peux mettre des mots sans trop de mots. Il faut laisser la place à l'imaginaire. Un mot ouvre la place à quelque chose. J'y met aussi le poids des mots, Valéry, Apollinaire, Manciet... A un moment donné, les mots sont arrivés pour me sauver la peau, pour travailler l'illusion. Quand tu improvises, tu t'échappes, tu courres et là les mots reviennent. Mettre des mots pour que les choses se mettent en place. Je suis perdu si je n'ai pas un sens, même tous les sens, dessus, dessous, c'est peut-être là où la politique revient. La politique, c'est quand on commence à être plusieurs... Le sens, c'est le bordel ! Quand on pratique la musique, j'ai l'impression qu'on le fait pour relier quelque chose. Le sens, c'est te relier à quelque chose, faire pas à pas, au fur à mesure que tu rencontres des gens, que tu lis. J'ai lu des livres des surréalistes, je ne pigeais rien pendant trente pages. Je me disais : 'lis, lis, laisse rentrer'. Faut laisser rentrer. Le sens, c'est lier à comprendre mais comprendre ce n'est pas tout le sens. C'est de passer à l'action qui donne un sens.'
'Y'a toujours un effort à faire. Je ne prends pas l'effort comme une souffrance mais comme un acte accompli, ça fait mal cinq minutes puis c'est fini. Pour ile coureur de fond', j'ai trouvé un air en cherchant comment je pourrais jouer du piano ? J'ai trouvé en cherchant une articulation. Les doigts de l'homme sur le piano, toute une nuit. Le lendemain, je me lève et je retrouve la même histoire. Cette histoire à une suite, il faut que je la trouve, que je trouve des paroles. Au tout début, elles étaient ésotériques, comme on écrit de la poésie quand on a rien d'autres à pouvoir écrire. Je me suis dit, je ne peux pas les mettre sur le disque... ile coureur de fond', c'est l'ordre du monde, une irruption, un truc qui passe à fond, le libéralisme. Je ne veux pas être désespéré par cela même si je le suis. Ca me terrorise. Ca me mine le moral, intensément. Faire un pied de nez à la mort, à tout ce qui nous flingue. Je ne peux pas faire une chanson à la Ferré. Moi, j'ai envie de dire 'Ce n'est pas vrai, ce n'est pas vrai !î Comment le traduire en texte ? C'est une réalité qu'il faut dépasser. Je n'ai pas envie de représenter la réalité. La chanson 'Paradina', c'est la même chose : un mec monte dans un train et voit passer sa vie, il ne peut rien faire, il est sur des rails, définitivement, et il rêve avec ce qui lui reste. Il faut prendre d'autres voies. Il faut trouver d'autres discours. Il faut parler trop pour pouvoir parler...C'est toujours ce fil qu'est l'improvisation, un fil rouge !'
ì La musique improvisée, c'est une identité nouvelle que tu te forges à partir d'une éducation que tu n'as pas eue ou que tu as eue et qui te colle au cul. C'est très difficile de s'en débarrasser, non pour la renier mais pour la transformer. Comme disait Ignacio Ramonet : 's'adapter, c'est renoncer'. Sur le plan économique, il a raison. Sur d'autres plans, s'adapter c'est résister. Tu ne renies pas les choses mais tu leur résistes. Il faut rester vigilant et tendu. Un truc rejoint tout cela, c'est l'idée d'articuler les choses. Articuler, articulation et ce qui va avec, le rythme. La façon dont tu articules les temps forts, les temps faibles. Où tu articules ce que tu ne sais pas encore mais de ce dont tu es fait. L'idée de sortir de son trou. En même temps, si tu t'es pas fait de trou, t'y restes. Ce trou, il faut le gratter jusqu'à la moelle. Benedetto parle de 'l'obstacle comme lieu de passage'. Ca, c'est la mémoire aussi. La mémoire, c'est un puits sans fond. Des fois, j'y arrive avec la musique. C'est pas toi qui chantes, c'est la mémoire. C'est une mémoire qui parle. Si tu es avec de bons musiciens, il te font jouer la mémoire... Giacometti disait : Je sculpte parce que je ne sais pas ce que c'est.î Je suis peut-être comme il dit les choses. En même temps, il faut toujours garder cet esprit de passage. Je suis de passage, je fais passer. Sinon on se fige dans une forme. J'ai envie d'être polyforme, polyrythmicien, un 'instrumenteur'. Je ne suis pas parti pour être un virtuose. Je pourrais mais cela ne m'intéresse pas. Ce qui m'intéresse, c'est le trajet qu'il y a entre les deux. Monk, ce n'est pas un virtuose, il a les doigts de travers mais il joue. Y'a du jeu, c'est pas fini, y'a une porte ouverte, les arrangements ne sont pas terminés, tu sens que le mec, ça ne l'intéresse pas de finir. Moi, la musique, je la rature. Je mets plutôt en rythme. L'harmonie, c'est entendre dans une verticalité avec l'instant, le rythme c'est horizontal, c'est à dire que c'est fait avec du temps. Tu vois des mecs qui écrivent la musique comme ils parlent, comme ils pensent, alors que moi, c'est comme si tu voyais les premiers temps où l'on écrit les mots avec les pleins et les déliés, une marge, des fautes... Sur cet album, mon collectage à moi, c'est tout ce que j'ai entendu, tout ce que j'essaye de restituer, que j'ai vu, que je n'ai compris qu'à peu près, que je n'ai pas compris, que je ne sais pas faire aussi et que j'ai laissé. J'ai toujours l'impression que les choses restent à faire. Tout dépend ce que tu veux mettre dans un disque. Est-ce que tu mets ce que tu veux ou est-ce que tu mets d'abord ce que tu peux ?... Quand j'écoute les Inuits, j'écoute des mecs du bout du monde, on correspond entre mecs du bout du monde. J'ai le devoir d'aller au bout du monde. L'occitan, c'est une langue du monde. Je l'ai perdue. Je vais la rechercher... Dans le disque, il y a aussi une durée mais je ne sais pas quelle est cette durée ?J'ai posé des espaces pour définir la suite, pas pour la terminer. Le prochain album s'appellera 'vocalchimie' et j'allongerai tous les morceaux courts qui font aaah !!! J'ai commencé comme on prend des ingrédients de cuisine. Je vais mettre ça, ça je le fais remonter, ça je le fais mijoter. T'as ce qu'il faut, et tout ce qui te manque. Finalement, y'en a plus qui manque que ce qu'il faut. Cela laisse la place à la suite... Comme la suite de la compagnie Lubat qui sera pluriel ou ne sera pas. On n'est pas propriétaire de ce que l'on fait. On est passant. Mais, même si on laisse juste un tout petit trou, ce petit trou m'intéresse.î
'On est révolté, on boit un coup, la vie est belle. Quand tu fais un disque, tu fais comme ça.'
Pour ses quarante ans, il s'était promis un album. Une quadrature aventureuse. 'Canto' (1) est né. 'Chants du monde' butinés en Occitan, miels des oreilles. André Minvielle parle comme il joue, improvisation, bonds et rebonds. Je suis là, je dis un truc, le lendemain, j'ai l'impression que je me suis trahis. J'ai envie de dire les choses avec du temps, avec des erreurs.î Morceaux choisis de la rencontre avec l'happyculteur.
La rencontre avec Lubat, les surréalistes appelleraient cela ile hasard objectif'. Un ensemble de combinaison pas possibles. Je suis parti de Pau car je ne supportais plus de tourner autour ! (NDLR : comme le disait un humoriste, gageons qu'André Minvielle qui vient de Pau saura faire le retour de U à P). Martine était caissière chez Euromarché, moi chanteur chez pépé Nunca, tu vois le couple ! On est monté à Paris. Je cherchais à travailler autrement. On a trouvé un appartement à Saint-Maure les Fossés, les meubles y sont resté huit mois et moi quatre, en tout et pour tout. J'ai démarché mais je n'avais pas les codes pour rentrer dans les boîtes de jazz. A Paris, tout était cloisonné. J'ai commencé à faire le boeuf dans les bars les plus faciles. Je reprenais des morceaux d'Al Jarreau, de Sacha Distel ou de Luis Mariano. A l'époque, j'étais un imitateur incroyable, je faisais tout, tout ce qui traînait. Ni Trenet, ni Beatles ! J'avais un copain qui jouait avec la compagnie, laquelle devait passer au théâtre de l'Est Parisien. On arrive, la salle était pleine. Un mec entre en scène et dit un poème, Auzier est à la tronçonneuse. Derrière un décor de grottes, des vieux jouent à la belote. Dans les silences, on entendait 'coupe'. Y'avait tout : le bal, les papys, le bistrot. Les mecs gueulaient c'est pas du jazz, Lubat tu nous fais chier. Lubat allume alors la lumière. 'Qui connait le jazz ici ?!'. Puis ils ont amené la gâteau sur scène. Mon copain n'est jamais venu, moi, j'étais scotché, j'en croyais pas mes yeux ni mes oreilles. Ce devait être l'état amoureux. Martine et moi, on était ouverts, on a reçu ça comme un cadeau. Je me souviens avoir très fortement pensé : c'est cela que je veux faire. La scène n'était pas coupée de la salle. C'était un ensemble, pas du spectacle. Un travail quoi !... Nous, nous sommes des oeuvriers. C'est entre ouvrier et ouvrir. T'as un métier et c'est l'oeuvre qui t'ouvre, qui te somme de t'ouvrir sur scène. Vas-y, joue. C'est une expérience à mener, pas à décréter. T'es embarqué pour un voyage. Et c'est pas du tourisme.'
La compagnie Lubat, c'est la transmission, c'est pas un message mais du travail, de l'imaginaire, le paratje (citoyenneté aventureuse) des troubadours. Tu travailles à l'intérêt général sans te laisser écraser. Je suis passé à propos et je suis resté. Entre Alban, Lubat, l'Estaminet, le festival, je suis quelqu'un de normal dans le processus, sans ambition starisante, c'est peut-être chimique d'ailleurs. J'appelle cela 'vocalchimie' car je sais, en fait, que c'est une chimie. Ce qui m'intéresse c'est le chaudron. Castang dit : 'il faut substituer la nation pyramide à la nation amphithéâtre'. C'est beau ! Quand on grimpe trop vite les échelons, le relief s'écrase. Si je fabrique un Minvielle, où je vais ? A quoi je me rattache ? Je me coupe du monde de travail. Moi, j'aime ce que je fais ici. J'aimerais rester le plus longtemps possible, toujours en Gascogne, qu'on devienne un truc infernal, qu'il y en ait d'autres, et que ça continue longtemps, longtemps.î
'On a une belle vie mais on s'en occupe !'
'Tu vois, Lubat c'est moi, autrement, mais c'est moi C'est l'énergie que tu déverses quant tu joues. Créacteur et réacteur. Y'a un côté féminin à fond. Du style, c'est pas du tout la maîtrise, c'est plutôt la grossesse. Vaut mieux d'ailleurs avoir la grossesse que la grosse tête, le truc que tu portes, tu le joues sur scène et t'enfantes, c'est notre façon à nous de prendre la part des choses.'
'Ce qui m'attache au jazz, c'est son histoire. Le jazz c'est une révolte. Je serais plutôt révolutionnaire au sens paysan du terme. Tant qu'à faire la révolution, autant s'enraciner et voir comment ça réagit autour de soi, et voir comment, toi, tu réagis ? Il faut trouver un point de fixation... Les terres, tu les conquiers si tu les cultives, après tu sais à qui elles sont. C'est difficile de réfléchir à la frontière, comment c'est chez toi ensemble ? 'Un bouquet de chansons qui appartiennent ensemble' ! On pourrait dire cela des chants, chants à cultiver. Quand on chante, on rend compte, on limite, on délimite. T'as un territoire, tu improvises à l'intérieur mais il faut que tu sortes du territoire, que tu te 'déritorialises' comme disait Deleuze.'
'Moi, plutôt que me conduire, c'est l'histoire qui m'a conduit. Cela dit, c'est les deux. Avant la politique, y'a l'instinct qui est artistique. Pour se sortir d'une condition, tu marches à l'instinct et après tu le cultives. C'est pas un 'instincteur'. C'est par un truc pour éteindre mais pour cultiver le feu, la vie, la différence. Il faut survivre à ce qu'on est né. Il faut survivre à ce qu'on est béarnais. J'adore le Béarn. Ce pays est indescriptible, comme la musique. A Oloron, y'a des odeurs, un climat, une physiologie. Quand je suis là-bas, je suis dans mon élément. Je bade, je suis pris par la nature. Et si je devais avoir un pays ce serait la musique. Si mon pays s'appelait la musique, ce serait un beau pays... Il a fallu que je m'expatrie car tu ne peux pas créer là-bas. Non pas parce que c'est impossible mais parce qu'on est toujours en position de faiblesse chez soi. C'est bien de partir. Partir, c'est se mettre en danger. Tu pars comme t'improvises...C'est la trempe des métaux. En micro-mécanique, j'apprenais cela. Le fait de tremper un matériau dans de l'eau, selon la température, cela peut le rendre très résistant ou très cassant. Je suis comme un métal trempé de différentes manières. J'ai pas envie de choisir, je suis fait de tout ça, d'alliage, d'alliance. De fuite, de trous.... Je suis pas un musicien fondamental, je suis d'abord un homme. C'est l'homme qui fait la machine.'
'A quarante balais, je m'étais dit que je ferais un album. Je l'avais dans la tronche, je suis bien béarnais. Si l'entêtement, c'est de la perspective, cela devient autre chose. Moi, j'ai fait un disque dans la compagnie, avec la compagnie. Je conduis et c'est Lubat qui roule. Je me suis perdu un peu en route. C'est dedans et c'est bien.'
Dario Fo disait : 'il n'y a pas seulement la littérature.'Lui, il a fait la comedia del arte pour relier les choses. Dans la musique c'est pareil, il n'y pas seulement que la musique, on fait de l'opéra, de l'apéro, joueur de grosse caisse et chanteur au porte-voix, on dit un texte, on se ramasse la gueule, on est mauvais, on est dedans jusqu'aux coudes... J'ai mis des mots, à mi-mots, en demi-mots, mots dits, ils sont dits. Ma folie des mots ! Du sens qu'ils trimballent parce qu'ils ne sont pas égaux. Quand j'entends chanter les pygmées, j'y entends du sens au delà des mots. Il n'y a pas de mots mais il y a du sens sur lequel je peux mettre des mots sans trop de mots. Il faut laisser la place à l'imaginaire. Un mot ouvre la place à quelque chose. J'y met aussi le poids des mots, Valéry, Apollinaire, Manciet... A un moment donné, les mots sont arrivés pour me sauver la peau, pour travailler l'illusion. Quand tu improvises, tu t'échappes, tu courres et là les mots reviennent. Mettre des mots pour que les choses se mettent en place. Je suis perdu si je n'ai pas un sens, même tous les sens, dessus, dessous, c'est peut-être là où la politique revient. La politique, c'est quand on commence à être plusieurs... Le sens, c'est le bordel ! Quand on pratique la musique, j'ai l'impression qu'on le fait pour relier quelque chose. Le sens, c'est te relier à quelque chose, faire pas à pas, au fur à mesure que tu rencontres des gens, que tu lis. J'ai lu des livres des surréalistes, je ne pigeais rien pendant trente pages. Je me disais : 'lis, lis, laisse rentrer'. Faut laisser rentrer. Le sens, c'est lier à comprendre mais comprendre ce n'est pas tout le sens. C'est de passer à l'action qui donne un sens.'
'Y'a toujours un effort à faire. Je ne prends pas l'effort comme une souffrance mais comme un acte accompli, ça fait mal cinq minutes puis c'est fini. Pour ile coureur de fond', j'ai trouvé un air en cherchant comment je pourrais jouer du piano ? J'ai trouvé en cherchant une articulation. Les doigts de l'homme sur le piano, toute une nuit. Le lendemain, je me lève et je retrouve la même histoire. Cette histoire à une suite, il faut que je la trouve, que je trouve des paroles. Au tout début, elles étaient ésotériques, comme on écrit de la poésie quand on a rien d'autres à pouvoir écrire. Je me suis dit, je ne peux pas les mettre sur le disque... ile coureur de fond', c'est l'ordre du monde, une irruption, un truc qui passe à fond, le libéralisme. Je ne veux pas être désespéré par cela même si je le suis. Ca me terrorise. Ca me mine le moral, intensément. Faire un pied de nez à la mort, à tout ce qui nous flingue. Je ne peux pas faire une chanson à la Ferré. Moi, j'ai envie de dire 'Ce n'est pas vrai, ce n'est pas vrai !î Comment le traduire en texte ? C'est une réalité qu'il faut dépasser. Je n'ai pas envie de représenter la réalité. La chanson 'Paradina', c'est la même chose : un mec monte dans un train et voit passer sa vie, il ne peut rien faire, il est sur des rails, définitivement, et il rêve avec ce qui lui reste. Il faut prendre d'autres voies. Il faut trouver d'autres discours. Il faut parler trop pour pouvoir parler...C'est toujours ce fil qu'est l'improvisation, un fil rouge !'
ì La musique improvisée, c'est une identité nouvelle que tu te forges à partir d'une éducation que tu n'as pas eue ou que tu as eue et qui te colle au cul. C'est très difficile de s'en débarrasser, non pour la renier mais pour la transformer. Comme disait Ignacio Ramonet : 's'adapter, c'est renoncer'. Sur le plan économique, il a raison. Sur d'autres plans, s'adapter c'est résister. Tu ne renies pas les choses mais tu leur résistes. Il faut rester vigilant et tendu. Un truc rejoint tout cela, c'est l'idée d'articuler les choses. Articuler, articulation et ce qui va avec, le rythme. La façon dont tu articules les temps forts, les temps faibles. Où tu articules ce que tu ne sais pas encore mais de ce dont tu es fait. L'idée de sortir de son trou. En même temps, si tu t'es pas fait de trou, t'y restes. Ce trou, il faut le gratter jusqu'à la moelle. Benedetto parle de 'l'obstacle comme lieu de passage'. Ca, c'est la mémoire aussi. La mémoire, c'est un puits sans fond. Des fois, j'y arrive avec la musique. C'est pas toi qui chantes, c'est la mémoire. C'est une mémoire qui parle. Si tu es avec de bons musiciens, il te font jouer la mémoire... Giacometti disait : Je sculpte parce que je ne sais pas ce que c'est.î Je suis peut-être comme il dit les choses. En même temps, il faut toujours garder cet esprit de passage. Je suis de passage, je fais passer. Sinon on se fige dans une forme. J'ai envie d'être polyforme, polyrythmicien, un 'instrumenteur'. Je ne suis pas parti pour être un virtuose. Je pourrais mais cela ne m'intéresse pas. Ce qui m'intéresse, c'est le trajet qu'il y a entre les deux. Monk, ce n'est pas un virtuose, il a les doigts de travers mais il joue. Y'a du jeu, c'est pas fini, y'a une porte ouverte, les arrangements ne sont pas terminés, tu sens que le mec, ça ne l'intéresse pas de finir. Moi, la musique, je la rature. Je mets plutôt en rythme. L'harmonie, c'est entendre dans une verticalité avec l'instant, le rythme c'est horizontal, c'est à dire que c'est fait avec du temps. Tu vois des mecs qui écrivent la musique comme ils parlent, comme ils pensent, alors que moi, c'est comme si tu voyais les premiers temps où l'on écrit les mots avec les pleins et les déliés, une marge, des fautes... Sur cet album, mon collectage à moi, c'est tout ce que j'ai entendu, tout ce que j'essaye de restituer, que j'ai vu, que je n'ai compris qu'à peu près, que je n'ai pas compris, que je ne sais pas faire aussi et que j'ai laissé. J'ai toujours l'impression que les choses restent à faire. Tout dépend ce que tu veux mettre dans un disque. Est-ce que tu mets ce que tu veux ou est-ce que tu mets d'abord ce que tu peux ?... Quand j'écoute les Inuits, j'écoute des mecs du bout du monde, on correspond entre mecs du bout du monde. J'ai le devoir d'aller au bout du monde. L'occitan, c'est une langue du monde. Je l'ai perdue. Je vais la rechercher... Dans le disque, il y a aussi une durée mais je ne sais pas quelle est cette durée ?J'ai posé des espaces pour définir la suite, pas pour la terminer. Le prochain album s'appellera 'vocalchimie' et j'allongerai tous les morceaux courts qui font aaah !!! J'ai commencé comme on prend des ingrédients de cuisine. Je vais mettre ça, ça je le fais remonter, ça je le fais mijoter. T'as ce qu'il faut, et tout ce qui te manque. Finalement, y'en a plus qui manque que ce qu'il faut. Cela laisse la place à la suite... Comme la suite de la compagnie Lubat qui sera pluriel ou ne sera pas. On n'est pas propriétaire de ce que l'on fait. On est passant. Mais, même si on laisse juste un tout petit trou, ce petit trou m'intéresse.î
'On est révolté, on boit un coup, la vie est belle. Quand tu fais un disque, tu fais comme ça.'
Propos recueillis par Jambonneau et Thomas Lacoste
(1) Canto : André Minvielle, chant, porte-voix, batterie maigre, trompette de l'est, percussions, sampleurs ; Marc Perrone, accordéon diatonique ; Bernard Lubat, piano, batterie ; Patrick Auzier, trombone. Production : Edition du Tilleul / Labeluz. Distribution : Harmonia Mundi.
(1) Canto : André Minvielle, chant, porte-voix, batterie maigre, trompette de l'est, percussions, sampleurs ; Marc Perrone, accordéon diatonique ; Bernard Lubat, piano, batterie ; Patrick Auzier, trombone. Production : Edition du Tilleul / Labeluz. Distribution : Harmonia Mundi.
Collectif