Sortie du DVD de Notre Monde
Notre Monde Notre Monde (2013, 119') un film de Thomas LacosteRassemblant plus de 35 intervenants, philosophes, sociologues, économistes, magistrats, médecins, universitaires et écrivains, Notre Monde propose un espace dexpression pour travailler, comme nous y enjoint JeanLuc Nancy à « une pensée commune ». Plus encore quun libre espace de parole, Notre Monde sappuie sur un ensemble foisonnant de propositions concrètes pour agir comme un rappel essentiel, individuel et collectif : « faites de la politique » et de préférence autrement.
Laurence Kahn (entretiens avec Michel Enaudeau)
Editions Balland, 2004, 296 p.
A lheure où la psychanalyse est doublement menacée par sa réduction médicale à la psychothérapie et par la revendication biopolitique du contrôle de lEtat, ces entretiens clairs, fermes et denses, permettent de parcourir à nouveau linvention, le projet et les enjeux de la pensée psychanalytique de Freud un siècle après sa naissance. A travers les grands moments de la psychanalyse (le symptôme, le rêve, la cure, la découverte de la sexualité infantile, la psychanalyse des enfants, la dimension rationnelle, scientifique et esthétique, le rôle de la fiction), L. Kahn souligne son fondement pratique et sa capacité constante de réorganiser sa théorie qui sappuie sur la disposition de lanalyste, dune part, à se laisser surprendre par la parole singulière de lautre et ainsi à suspendre linterprétation dans le tact (Freud mais aussi Winnicott dans sa relation aux enfants) et, dautre part, à aiguiser sa réceptivité critique à lévénement (la première guerre mondiale ou la montée du nazisme pour Freud dans la réélaboration du sens de la culture constituée par la fiction de leffraction pulsionnelle du meurtre du père). Lauteur montre par-dessus tout linventivité de lautre dans la psychanalyse, ou la créativité de linconscient selon une analyse de son héritage du romantisme allemand, en rappelant que, contrairement à toute « vision du monde », aucune théorie de léclairement de lexistence humaine ne peut se clôturer. Le dialogue sachemine vers la question politique de la psychanalyse et du constat, non désespéré mais effroyable, que la culture cède devant la revendication pulsionnelle (augmentée aujourdhui par la culture elle-même). Lauteur propose une belle confrontation avec la pensée adornienne de limplication de la barbarie dans le processus de civilisation qui engendre lanti-civilisation. Elle montre comment les premiers griefs adressés à Freud par Adorno dénonçant la normalisation, la « massification du bonheur sous la forme de ladaptation » (qui correspondait à létat de la psychanalyse aux Etats-Unis), lusage bourgeois de la théorie des pulsions et linattention envers le langage et son instrumentalisation par la société marchande laissent place finalement, après la catastrophe dAuschwitz, à ce quelle nomme l« appel à la psychanalyse » par Adorno. Par la méditation de ce renversement, lauteur nous invite, tout dabord, à réfléchir sur le danger de la « technicisation » de la psychanalyse (professionnalisation, sectorisation des compétences techniques et son exigence programmée de rentabilité, institutionnalisation et asservissement aux lois du marché ou à la demande sociale, auxquels elle oppose la « peste analytique » ingérable par la consommation marchande) qui représente un péril pour lavenir de la culture et nous engage ensuite à soutenir le « tragique » de notre destin afin de ne pas sombrer dans le « désarroi commun ».