Sortie du DVD de Notre Monde
Notre Monde Notre Monde (2013, 119') un film de Thomas LacosteRassemblant plus de 35 intervenants, philosophes, sociologues, économistes, magistrats, médecins, universitaires et écrivains, Notre Monde propose un espace dexpression pour travailler, comme nous y enjoint JeanLuc Nancy à « une pensée commune ». Plus encore quun libre espace de parole, Notre Monde sappuie sur un ensemble foisonnant de propositions concrètes pour agir comme un rappel essentiel, individuel et collectif : « faites de la politique » et de préférence autrement.
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© Passant n°48 [avril 2004 - juin 2004]
© Passant n°48 [avril 2004 - juin 2004]
par Frédéric Neyrat
Imprimer l'articleLa formation professionnelle continue sacrifiée
sur lautel de laccord interprofessionnel du 20 septembre 2003
Contre la réforme des retraites, finalement mise en uvre par le gouvernement malgré lopposition de la « rue » (le terrain est valorisé lorsquil plébiscite Raffarin mais lorsquil se dérobe sous le poids de cette monture néolibérale, il devient la « rue », qualors on rudoie) et la réforme annoncée de lassurance maladie, à laquelle on prépare les esprits, en mettant laccent sur la flambée du « déficit », une autre réforme vient dêtre lancée cet automne, celle de la formation professionnelle continue. Dans une certaine indifférence : la question ne mobilise pas, paraissant peut-être à certains trop technique et marginale, puisque ne concernant que ceux qui sont amenés à aller en formation professionnelle continue (leur nombre nest pas mince, mais les stagiaires de la formation continue nont pas toujours conscience de lavoir été). Il faut dire aussi que cette question mobilise dautant moins que les syndicats ne mobilisent pas sur elle
Le grand retour des « partenaires » sociaux, « partenaires » particuliers ?
Indifférence relative de lopinion publique, non éclairée sur ces enjeux, qui sexplique aussi par la caractère apparemment consensuel de la question : la réforme na pas suscité dopposition, elle ne divise pas, mieux, elle semble réunir tous les « partenaires sociaux » (lexpression est en elle-même significative, syndicats de salariés et syndicats patronaux sont partenaires, comme si leurs intérêts pouvaient être les mêmes1), que la rue avait séparés ce printemps, et qui se retrouvent cet automne autour de la table, et de la même table. Curieuse rentrée en vérité, on nous la promettait chaude, elle apparaît atone. Les cinq grandes organisations syndicales « représentatives » des salariés2 viennent de signer un accord interprofessionnel réformant profondément la formation professionnelle continue, telle que lavait conçue la loi de 1971 (elle-même venait donner force de loi à laccord interprofessionnel du 9 juillet 1970).
Tous donc, y compris la CGT, après des hésitations, et en dépit de ses réserves. Une signature, qualifiée immédiatement dhistorique par la presse rappelant quil y a très longtemps que la CGT navait signé un tel accord3. Une signature dont se sont félicité le Medef4, la CFDT (« bienvenue au club de ceux qui négocient » a dit Chérèque, le réformateur, à son collègue Thibault5), et bien sûr le Gouvernement6 qui a décidé de proposer immédiatement au Parlement la transcription de laccord interprofessionnel dans la loi. Qui aurait pu imaginer une telle destinée, pour ce projet de réforme de la formation continue, dont la discussion séternisait depuis deux ans, du fait dun désaccord des syndicats sur un texte, conçu et rédigé par le Medef7, dans le cadre de son fameux programme de « refondation sociale »8 (et en cela la réforme de la formation professionnelle est cohérente avec les autres réformes de la protection sociale, des retraites ou de lassurance maladie), la refondation passant par la redéfinition restrictive des droits sociaux fondamentaux ? Qui aurait pu imaginer une telle issue au printemps, de la part de syndicats sopposant aux projets gouvernementaux de réforme, et annonçant une rentrée chaude, et en tout cas, leur opposition maintenue à la refondation sociale ?
Rentrée « agitée » : revirement, volte-face, virevolte
Ce retournement mérite donc explication. Il faut effectivement faire justice de la pression qui pesait sur les syndicats : la signature sest faite sous contrainte, puisque si les « partenaires » sociaux ne parvenaient pas à un accord, le gouvernement avait annoncé quil prendrait « ses responsabilités » et directement par la loi, réformerait la formation professionnelle. Et il y avait effectivement toutes les chances que le gouvernement prenne alors plus directement encore son inspiration du côté du Medef et de ses projets de refondation sociale. Les syndicats ont pu avoir le sentiment quils pourraient plus facilement intervenir sur le texte patronal, en lamendant, dans le cadre de la négociation de laccord interprofessionnel, que plus tard, au stade de la discussion parlementaire, autour du projet de loi, où leur intervention serait forcément beaucoup plus indirecte. Et lon doit aussi honnêtement reconnaître que la dernière nuit de négociation9 a été fructueuse, ou en tout cas a altéré certaines dispositions particulièrement dangereuses de la version antérieure. La pression à la signature « historique » (à lintérieur du syndicat, on a parlé de « signature lucide, dynamique et offensive », en un mot « exigeante »10) quexerçait la CGT a indéniablement joué.
Il nempêche, le texte reste, même amendé, même corrigé de certains de ses excès, un texte de refondation sociale, cest-à-dire de franche régression sociale. Comment peut-on alors expliquer sa signature, notamment par la CGT ? Lintitulé de la loi, que vient dannoncer le gouvernement éclaire dun jour moins glorieux ce qua pu être la négociation. Lavant-projet de loi, qui reprendra dans son premier titre, lintégralité de laccord interprofessionnel sur la formation professionnelle continue est « relatif à la formation tout au long de la vie et au dialogue social »11. Deux questions qui ne sont normalement pas liées entre elles12, même si elles sont ici rapprochées : la cohérence intellectuelle de cet appariement ne vient pas du contenu mais des conditions du rapprochement. Certes, le volet « dialogue social » suscite pour le moment lopposition résolue de tous les syndicats (pour des raisons différentes et parfois opposées, petits et gros nayant pas les mêmes intérêts), notamment sur la question des accords dérogatoires (cette possibilité voulue par le patronat, de déroger, au niveau de lentreprise, aux accords de branche ou aux accords interprofessionnels). Mais une autre disposition, le principe de laccord majoritaire (un accord ne pourra être valablement signé que si les syndicats qui le signent sont majoritaires) apparaît comme une concession du gouvernement à la CGT13. Doù ce sentiment quen marge de la négociation sur la formation professionnelle, on négociait aussi les conditions du dialogue social, la formation continue ayant été, dans cette négociation croisée, sacrifiée. On peut difficilement comprendre autrement, à la lecture du texte de laccord, les raisons de sa signature.
Retour sur le contenu
dun accord historique
Laccord, sous prétexte délargissement des droits à la formation continue, met en pace des dispositions qui vont pourtant réduire un peu plus les possibilités daccès à la formation. Toute la force de ce projet, dinspiration néolibérale, cest de sappuyer sur une critique de gauche, retournée, instrumentalisée, mais qui incontestablement réduit les conditions dans lesquelles peuvent ensuite sexercer les critiques. En matière de formation continue, ce nest pas sur la faillite du financement quinsistent les modernes libéraux, même sils pointent aussi le coût du dispositif, pour les entreprises14. La rhétorique est plus habile, qui sapparente à un tour de passe-passe, dans la grande tradition du jeu de bonneteau. La loi de 1971 sur la formation continue devait donner une deuxième chance aux publics prématurément exclus du système scolaire. Or, les plus exclus de la formation initiale ont également moins accès à la formation continue. Le constat, initialement établi par des sociologues (et à lépoque contesté par ceux qui sont maintenant les partisans invétérés de la réforme), ne peut être que partagé. Il appelle une réforme, visant à satisfaire (ou à mieux satisfaire) les objectifs assignés par la loi de 1971. Mais à la place de la réforme, cest la carte de la refondation sociale que retournent les syndicats à la satisfaction du bonneteur patronal. Une refondation, dinspiration libérale, qui loin de réduire les inégalités devant la formation, va les creuser. Une refondation dont la principale innovation, presque unanimement saluée, le Droit Individuel à la Formation (DIF), résume lesprit libéral. Derrière les atours avantageux, la proclamation d« un droit » à la formation, dont pourra user lindividu (« le salarié à temps plein »), cest la représentation patronale de la formation qui transparaît : un droit annuel mais à une formation très courte 20 heures15 qui, comme tel, ne peut être qualifiant pour lindividu, mais sera adapté aux besoins de lemployeur ; un droit « individuel », mais co-géré par lemployeur qui participera au choix de laction de formation suivie par son salarié ; un droit « individuel » enfin parce que co-financé par le salarié, sur son temps libre. Plus largement, les principes qui fondent ce nouvel accord sur la formation professionnelle, et demain la loi, sont marquées de cette empreinte néolibérale.
Lofficialisation
du co-investissement.
Premier postulat, de cette formation professionnelle refondée, lidée que les actions de formation professionnelle continue doivent se réaliser non plus exclusivement (et même essentiellement) sur le temps de travail, mais en dehors, en mobilisant le temps « libre » des salariés. Progressivement ce faisant, le patronat parvient à faire prendre en charge une part toujours plus grande du financement de la formation professionnelle. De la formation professionnelle initiale : le développement des filières professionnelles, à tous les niveaux du système éducatif, pour le moment financé essentiellement par lEtat, est significatif. Mais aussi désormais, une part de la formation professionnelle continue, appelée à être de plus en plus financée par les salariés. Cette participation, sous forme aujourdhui de temps hors travail, mais qui pourra prendre également une forme financière, est justifiée sur le mode de linvestissement. Les salariés seraient littéralement bénéficiaires (et le terme figure dans le texte) de ces actions de formation continue, et devraient donc contribuer à leur financement. Un co-investissement, dans la mesure où lentreprise de son côté investit elle aussi : cest la thématique du « win/win »16 sur lequel serait fondé le nouveau rapport salarial. Salariés et employeurs seraient également gagnants dans ce développement des compétences que permet la formation professionnelle continue. On notera cette définition restrictive de lobjet de la formation continue, réduite au seul développement des compétences, une notion floue si len est, mais qui se prête à toutes les interprétations, patronales sentend (rappelons que selon le Medef, la compétence ne sexprime que dans lentreprise, les connaissances ne garantissant pas la compétence17). Au-delà, cest largumentation du gain réciproque, également partagé, qui est particulièrement spécieuse. Du côté des employeurs, on sait que la formation des salariés augmente leur productivité et donc à terme, compte tenu du partage des gains de productivité, les profits. Du côté des salariés, les actions de développement des compétences sont présentées comme leur permettant dassurer leur employabilité, de « favoriser (leur) mobilité interne ou externe »18. On admirera la symétrie du gagnant/gagnant : dun côté, davantage de profits, de lautre, le maintien en activité, pas forcément dailleurs dans lentreprise pour laquelle le salarié aura co-investit. Au-delà de ce quil permet de justifier le co-investissement, cette thématique du « win/win » a des effets lénifiants : il ny a plus dopposition dintérêts entre salariés et employeurs, plus de raison de contester les conditions de la répartition, Marx est définitivement une vieille barbe.
Mais il y a peut-être encore pire : pour rééquilibrer la balance des gains, les syndicats de salariés ont obtenu une compensation monétaire. Lorsque la formation est accomplie hors temps de travail, le salarié est « défrayé » à hauteur de 50% de son salaire, une « avancée » diront les négociateurs puisque le texte initial prévoyait seulement 30%. Ce faisant, on régresse encore, dun point de vue social : un salarié, comme tel dans une relation de subordination à son employeur, ne reçoit plus un salaire en échange de la mise à disposition de sa force de travail, mais une indemnité. Une première qui en dit long sur la dégradation du rapport salarial.
Certes, les défenseurs de laccord feront valoir que le co-investissement est limité, pas plus de quatre vingt heures par an, hors temps de travail, indemnisées à 50% du salaire19. Quatre vingt heures par an à comparer aux vingt heures généreusement concédées au salarié dans le cadre de ce qui a été présenté, là encore, à la fois comme une innovation et comme une avancée sociale, le DIF (droit individuel à la formation)20 ! Quatre-vingts heures par an, auxquelles il faut ajouter ces cinquante heures, évoquées dans un autre article de laccord interprofessionnel à la rédaction alambiquée : « si le départ en formation conduit le salarié à dépasser lhoraire de référence, les heures correspondant à ce dépassement ne simputent pas sur le contingent dheures supplémentaires ou le quota dheures complémentaires nécessaires au bon fonctionnement de lentreprise et ne donnent lieu ni à repos compensateur ni à majoration, dans la limite de 50 heures par année civile et par salarié, sous réserve de lapplication des dispositions du code du travail relatives aux temps de repos »21. On le voit, même les formations sur le temps de travail pourront mobiliser le salarié hors temps de travail !
Auparavant, stagiaire
de la formation continue.
Depuis septembre 2003, acteur
de son évolution professionnelle.
Les négociateurs de laccord feront aussi valoir que le salarié reste libre de refuser dutiliser ainsi son temps personnel et ont fait inscrire dans le texte que le refus de « participer à des actions de formation réalisées dans ces conditions ne constitue ni une faute, ni un motif de licenciement »22. Là encore, on imagine sans peine quelle latitude en la matière pourront avoir les salariés. Cette représentation dun salarié libre de ses décisions dans lentreprise imprègne de bout en bout cet accord. Plus de rapports de force, mais des volontés qui sexpriment sans contrainte. Le salarié nest-il pas amené à être « acteur de son évolution professionnelle »23 ? Acteur, cest-à-dire responsable « de son évolution professionnelle », du maintien de son employabilité, donc également de la perte éventuelle de son emploi. Acteur, et en conséquence, appelé à contribuer en tant quinvestisseur à cette formation continue qui vise le renforcement ou ladaptation de ses compétences. Acteur toujours, mais partageant cette fois la décision, pour le soi-disant « droit individuel à la formation »24 avec son employeur, pleinement associé au choix de laction de formation25. Le salarié, désormais acteur, au-delà de sa subordination traditionnelle à lemployeur dans le cadre du contrat de travail, voit ainsi avant tout ses obligations renforcées. Et dans le même temps, lemployeur voit les siennes réduites. Ainsi par exemple, en matière dobligation de financement de la formation continue, innovation de la précédente loi, celle de 1971 : les négociateurs syndicaux feront valoir quils ont obtenu que celle-ci passe de 1,5% à 1,6% de la masse salariale26 (pour les entreprises de plus de dix salariés) et quune partie de cette somme, 0,5%, devra désormais être obligatoirement affectée à un « organisme paritaire collecteur agréé »27. Mais lélargissement de la définition des actions de formation, contenue dans un autre article de laccord28, délivre lentreprise dune grande partie de cette obligation : le « tutorat et la formation en situation professionnelle »29, « les actions de recherche et de développement portant sur lingénierie pédagogique », les « dépenses propres à faciliter lindividualisation et lévaluation des actions de formation » pourront être « imputées », cest-à-dire déduites de lobligation de financement.
La formation continue dans le cadre de la formation tout au long de la vie : une régression plus large encore
Cette réforme de la formation professionnelle continue sinscrit dans le cadre plus large de « la formation des salariés tout au long de la vie professionnelle »30 et, plus englobant encore, dans celui de « léducation et de la formation tout au long de la vie » (lifelong learning). Le projet de Condorcet pourrait sembler enfin se réaliser, lui qui en appelait dès 1792 à une véritable éducation permanente : « Nous avons observé, enfin, que linstruction ne devait pas abandonner les individus au moment où ils sortent des écoles ; quelle devait embrasser tous les âges ; quil ny en avait aucun où il ne fût utile et possible dapprendre, et que cette seconde instruction est dautant plus nécessaire, que celle de lenfance a été resserrée dans des bornes plus étroites. Cest là même une des causes principales de lignorance où les classes pauvres de la société sont aujourdhui plongées ; la possibilité de recevoir une première instruction leur manquait encore moins que celle den conserver les avantages. »31 Deux siècles après, une utopie se réalise, non lutopie républicaine mais lutopie néolibérale, conçue dans les années 60, et à ce moment-là tenue en marge, dans un contexte de keynésianisme triomphant, mais réactivée dans les années 80 et promue, dans les années 90, comme programme de la Commission Européenne et de beaucoup dautres organisations internationales (OCDE bien sûr, mais aussi Unesco, Banque mondiale ), sous une forme dailleurs durcie.
Linspiration théorique et idéologique de cette politique de « lifelong learning », cest la théorie du capital humain32 qui considère que léducation, professionnelle et supérieure, est un investissement dans cette « nouvelle » forme (plutôt nouvellement découverte) de capital. La vision est donc étroitement instrumentale, les connaissances et les compétences dans lesquelles on investit, ce sont celles qui sont finalement valorisables sur le marché du travail. Cest cette même vision instrumentale de la formation qui anime la politique européenne : « léducation et la formation tout au long de la vie sinscrit dans le cadre de la stratégie européenne pour lemploi »33. Cest elle encore qui inspire le nouvel accord interprofessionnel, promouvant la logique des compétences et rompant ainsi avec lidée, beaucoup plus généreuse, déducation permanente, présente implicitement chez Condorcet et inscrite dans la loi de 1971. Dans la nouvelle conception de la formation, il ny a plus de place pour la dimension culturelle. Depuis 1971, la formation professionnelle continue associait, dans lobjectif de « promotion sociale », « laccès aux différents niveaux de la culture et de la qualification professionnelle »34. Ce temps est définitivement révolu.
Mais la rupture sobserve aussi dans la conception de lobligation de formation : elle était dans lidée déducation permanente une obligation de la nation35 à légard des individus, et particulièrement de ceux qui navaient pu bénéficier de la formation initiale. Désormais, dans le cadre de léducation tout au long de la vie, cest au jeune souhaitant entrer sur le marché du travail, au salarié qui veut le rester, au demandeur demploi qui souhaite en trouver un, quincombe cette obligation, conçue comme une obligation dadaptation permanente dans un monde où les emplois et les compétences sont perpétuellement en redéfinition. Lobligation de formation tout au long de la vie accompagne la généralisation de la précarité, notamment pour ceux qui sont initialement les moins qualifiés et donc les plus fragiles.
Troisième glissement remarquable de léducation permanente à léducation et la formation tout au long de la vie, sur les conditions de financement de ces actions. Lofficialisation du co-investissement, dans laccord interprofessionnel36, est la réponse à la prescription des économistes de lOCDE, de plus en plus fréquemment inspirateurs des politiques menées au niveau européen. Dans cette conception durcie de la théorie du capital humain37, il est prévu en effet que les usagers de lenseignement tertiaire (lenseignement professionnel et lenseignement supérieur regroupés), parce quils en sont les bénéficiaires (en termes dinsertion facilitée, de salaires plus élevés ) en deviennent les co-financeurs. La « formation tout au long de la vie professionnelle » est donc depuis le 20 septembre régie par ce principe ; lenseignement supérieur ne tardera pas à suivre. Premier signe ? Les adultes « en reprise détudes », souvent RMIstes ou demandeurs demploi, qui souhaitent sinscrire dans une université, et qui ne bénéficient pas de financement pour entreprendre cette formation (dans le jargon, on dira quils relèvent de la formation permanente et non pas continue), sont de plus en plus souvent invités à passer au préalable au service de formation continue ou permanente, pour sacquitter de droits spécifiques : au lieu des 150 euros dune inscription standard, 300, 500 euros et parfois plus. Les universités, pressées par le ministère à rechercher ainsi des ressources propres (cest une autre déclinaison de lautonomie quil se propose de renforcer par ses réformes38), y trouvent quelques fonds, mais y perdent leur âme, duniversitas. A moins quelles aient le projet, incitées en cela par leur tutelle, de redéfinir les critères dappartenance à la communauté, en généralisant le co-investissement à tous les étudiants, en formation initiale comme continue, au nom de ce que cette frontière na aujourdhui plus de sens, dans le continuum de léducation tout au long de la vie.
Le grand retour des « partenaires » sociaux, « partenaires » particuliers ?
Indifférence relative de lopinion publique, non éclairée sur ces enjeux, qui sexplique aussi par la caractère apparemment consensuel de la question : la réforme na pas suscité dopposition, elle ne divise pas, mieux, elle semble réunir tous les « partenaires sociaux » (lexpression est en elle-même significative, syndicats de salariés et syndicats patronaux sont partenaires, comme si leurs intérêts pouvaient être les mêmes1), que la rue avait séparés ce printemps, et qui se retrouvent cet automne autour de la table, et de la même table. Curieuse rentrée en vérité, on nous la promettait chaude, elle apparaît atone. Les cinq grandes organisations syndicales « représentatives » des salariés2 viennent de signer un accord interprofessionnel réformant profondément la formation professionnelle continue, telle que lavait conçue la loi de 1971 (elle-même venait donner force de loi à laccord interprofessionnel du 9 juillet 1970).
Tous donc, y compris la CGT, après des hésitations, et en dépit de ses réserves. Une signature, qualifiée immédiatement dhistorique par la presse rappelant quil y a très longtemps que la CGT navait signé un tel accord3. Une signature dont se sont félicité le Medef4, la CFDT (« bienvenue au club de ceux qui négocient » a dit Chérèque, le réformateur, à son collègue Thibault5), et bien sûr le Gouvernement6 qui a décidé de proposer immédiatement au Parlement la transcription de laccord interprofessionnel dans la loi. Qui aurait pu imaginer une telle destinée, pour ce projet de réforme de la formation continue, dont la discussion séternisait depuis deux ans, du fait dun désaccord des syndicats sur un texte, conçu et rédigé par le Medef7, dans le cadre de son fameux programme de « refondation sociale »8 (et en cela la réforme de la formation professionnelle est cohérente avec les autres réformes de la protection sociale, des retraites ou de lassurance maladie), la refondation passant par la redéfinition restrictive des droits sociaux fondamentaux ? Qui aurait pu imaginer une telle issue au printemps, de la part de syndicats sopposant aux projets gouvernementaux de réforme, et annonçant une rentrée chaude, et en tout cas, leur opposition maintenue à la refondation sociale ?
Rentrée « agitée » : revirement, volte-face, virevolte
Ce retournement mérite donc explication. Il faut effectivement faire justice de la pression qui pesait sur les syndicats : la signature sest faite sous contrainte, puisque si les « partenaires » sociaux ne parvenaient pas à un accord, le gouvernement avait annoncé quil prendrait « ses responsabilités » et directement par la loi, réformerait la formation professionnelle. Et il y avait effectivement toutes les chances que le gouvernement prenne alors plus directement encore son inspiration du côté du Medef et de ses projets de refondation sociale. Les syndicats ont pu avoir le sentiment quils pourraient plus facilement intervenir sur le texte patronal, en lamendant, dans le cadre de la négociation de laccord interprofessionnel, que plus tard, au stade de la discussion parlementaire, autour du projet de loi, où leur intervention serait forcément beaucoup plus indirecte. Et lon doit aussi honnêtement reconnaître que la dernière nuit de négociation9 a été fructueuse, ou en tout cas a altéré certaines dispositions particulièrement dangereuses de la version antérieure. La pression à la signature « historique » (à lintérieur du syndicat, on a parlé de « signature lucide, dynamique et offensive », en un mot « exigeante »10) quexerçait la CGT a indéniablement joué.
Il nempêche, le texte reste, même amendé, même corrigé de certains de ses excès, un texte de refondation sociale, cest-à-dire de franche régression sociale. Comment peut-on alors expliquer sa signature, notamment par la CGT ? Lintitulé de la loi, que vient dannoncer le gouvernement éclaire dun jour moins glorieux ce qua pu être la négociation. Lavant-projet de loi, qui reprendra dans son premier titre, lintégralité de laccord interprofessionnel sur la formation professionnelle continue est « relatif à la formation tout au long de la vie et au dialogue social »11. Deux questions qui ne sont normalement pas liées entre elles12, même si elles sont ici rapprochées : la cohérence intellectuelle de cet appariement ne vient pas du contenu mais des conditions du rapprochement. Certes, le volet « dialogue social » suscite pour le moment lopposition résolue de tous les syndicats (pour des raisons différentes et parfois opposées, petits et gros nayant pas les mêmes intérêts), notamment sur la question des accords dérogatoires (cette possibilité voulue par le patronat, de déroger, au niveau de lentreprise, aux accords de branche ou aux accords interprofessionnels). Mais une autre disposition, le principe de laccord majoritaire (un accord ne pourra être valablement signé que si les syndicats qui le signent sont majoritaires) apparaît comme une concession du gouvernement à la CGT13. Doù ce sentiment quen marge de la négociation sur la formation professionnelle, on négociait aussi les conditions du dialogue social, la formation continue ayant été, dans cette négociation croisée, sacrifiée. On peut difficilement comprendre autrement, à la lecture du texte de laccord, les raisons de sa signature.
Retour sur le contenu
dun accord historique
Laccord, sous prétexte délargissement des droits à la formation continue, met en pace des dispositions qui vont pourtant réduire un peu plus les possibilités daccès à la formation. Toute la force de ce projet, dinspiration néolibérale, cest de sappuyer sur une critique de gauche, retournée, instrumentalisée, mais qui incontestablement réduit les conditions dans lesquelles peuvent ensuite sexercer les critiques. En matière de formation continue, ce nest pas sur la faillite du financement quinsistent les modernes libéraux, même sils pointent aussi le coût du dispositif, pour les entreprises14. La rhétorique est plus habile, qui sapparente à un tour de passe-passe, dans la grande tradition du jeu de bonneteau. La loi de 1971 sur la formation continue devait donner une deuxième chance aux publics prématurément exclus du système scolaire. Or, les plus exclus de la formation initiale ont également moins accès à la formation continue. Le constat, initialement établi par des sociologues (et à lépoque contesté par ceux qui sont maintenant les partisans invétérés de la réforme), ne peut être que partagé. Il appelle une réforme, visant à satisfaire (ou à mieux satisfaire) les objectifs assignés par la loi de 1971. Mais à la place de la réforme, cest la carte de la refondation sociale que retournent les syndicats à la satisfaction du bonneteur patronal. Une refondation, dinspiration libérale, qui loin de réduire les inégalités devant la formation, va les creuser. Une refondation dont la principale innovation, presque unanimement saluée, le Droit Individuel à la Formation (DIF), résume lesprit libéral. Derrière les atours avantageux, la proclamation d« un droit » à la formation, dont pourra user lindividu (« le salarié à temps plein »), cest la représentation patronale de la formation qui transparaît : un droit annuel mais à une formation très courte 20 heures15 qui, comme tel, ne peut être qualifiant pour lindividu, mais sera adapté aux besoins de lemployeur ; un droit « individuel », mais co-géré par lemployeur qui participera au choix de laction de formation suivie par son salarié ; un droit « individuel » enfin parce que co-financé par le salarié, sur son temps libre. Plus largement, les principes qui fondent ce nouvel accord sur la formation professionnelle, et demain la loi, sont marquées de cette empreinte néolibérale.
Lofficialisation
du co-investissement.
Premier postulat, de cette formation professionnelle refondée, lidée que les actions de formation professionnelle continue doivent se réaliser non plus exclusivement (et même essentiellement) sur le temps de travail, mais en dehors, en mobilisant le temps « libre » des salariés. Progressivement ce faisant, le patronat parvient à faire prendre en charge une part toujours plus grande du financement de la formation professionnelle. De la formation professionnelle initiale : le développement des filières professionnelles, à tous les niveaux du système éducatif, pour le moment financé essentiellement par lEtat, est significatif. Mais aussi désormais, une part de la formation professionnelle continue, appelée à être de plus en plus financée par les salariés. Cette participation, sous forme aujourdhui de temps hors travail, mais qui pourra prendre également une forme financière, est justifiée sur le mode de linvestissement. Les salariés seraient littéralement bénéficiaires (et le terme figure dans le texte) de ces actions de formation continue, et devraient donc contribuer à leur financement. Un co-investissement, dans la mesure où lentreprise de son côté investit elle aussi : cest la thématique du « win/win »16 sur lequel serait fondé le nouveau rapport salarial. Salariés et employeurs seraient également gagnants dans ce développement des compétences que permet la formation professionnelle continue. On notera cette définition restrictive de lobjet de la formation continue, réduite au seul développement des compétences, une notion floue si len est, mais qui se prête à toutes les interprétations, patronales sentend (rappelons que selon le Medef, la compétence ne sexprime que dans lentreprise, les connaissances ne garantissant pas la compétence17). Au-delà, cest largumentation du gain réciproque, également partagé, qui est particulièrement spécieuse. Du côté des employeurs, on sait que la formation des salariés augmente leur productivité et donc à terme, compte tenu du partage des gains de productivité, les profits. Du côté des salariés, les actions de développement des compétences sont présentées comme leur permettant dassurer leur employabilité, de « favoriser (leur) mobilité interne ou externe »18. On admirera la symétrie du gagnant/gagnant : dun côté, davantage de profits, de lautre, le maintien en activité, pas forcément dailleurs dans lentreprise pour laquelle le salarié aura co-investit. Au-delà de ce quil permet de justifier le co-investissement, cette thématique du « win/win » a des effets lénifiants : il ny a plus dopposition dintérêts entre salariés et employeurs, plus de raison de contester les conditions de la répartition, Marx est définitivement une vieille barbe.
Mais il y a peut-être encore pire : pour rééquilibrer la balance des gains, les syndicats de salariés ont obtenu une compensation monétaire. Lorsque la formation est accomplie hors temps de travail, le salarié est « défrayé » à hauteur de 50% de son salaire, une « avancée » diront les négociateurs puisque le texte initial prévoyait seulement 30%. Ce faisant, on régresse encore, dun point de vue social : un salarié, comme tel dans une relation de subordination à son employeur, ne reçoit plus un salaire en échange de la mise à disposition de sa force de travail, mais une indemnité. Une première qui en dit long sur la dégradation du rapport salarial.
Certes, les défenseurs de laccord feront valoir que le co-investissement est limité, pas plus de quatre vingt heures par an, hors temps de travail, indemnisées à 50% du salaire19. Quatre vingt heures par an à comparer aux vingt heures généreusement concédées au salarié dans le cadre de ce qui a été présenté, là encore, à la fois comme une innovation et comme une avancée sociale, le DIF (droit individuel à la formation)20 ! Quatre-vingts heures par an, auxquelles il faut ajouter ces cinquante heures, évoquées dans un autre article de laccord interprofessionnel à la rédaction alambiquée : « si le départ en formation conduit le salarié à dépasser lhoraire de référence, les heures correspondant à ce dépassement ne simputent pas sur le contingent dheures supplémentaires ou le quota dheures complémentaires nécessaires au bon fonctionnement de lentreprise et ne donnent lieu ni à repos compensateur ni à majoration, dans la limite de 50 heures par année civile et par salarié, sous réserve de lapplication des dispositions du code du travail relatives aux temps de repos »21. On le voit, même les formations sur le temps de travail pourront mobiliser le salarié hors temps de travail !
Auparavant, stagiaire
de la formation continue.
Depuis septembre 2003, acteur
de son évolution professionnelle.
Les négociateurs de laccord feront aussi valoir que le salarié reste libre de refuser dutiliser ainsi son temps personnel et ont fait inscrire dans le texte que le refus de « participer à des actions de formation réalisées dans ces conditions ne constitue ni une faute, ni un motif de licenciement »22. Là encore, on imagine sans peine quelle latitude en la matière pourront avoir les salariés. Cette représentation dun salarié libre de ses décisions dans lentreprise imprègne de bout en bout cet accord. Plus de rapports de force, mais des volontés qui sexpriment sans contrainte. Le salarié nest-il pas amené à être « acteur de son évolution professionnelle »23 ? Acteur, cest-à-dire responsable « de son évolution professionnelle », du maintien de son employabilité, donc également de la perte éventuelle de son emploi. Acteur, et en conséquence, appelé à contribuer en tant quinvestisseur à cette formation continue qui vise le renforcement ou ladaptation de ses compétences. Acteur toujours, mais partageant cette fois la décision, pour le soi-disant « droit individuel à la formation »24 avec son employeur, pleinement associé au choix de laction de formation25. Le salarié, désormais acteur, au-delà de sa subordination traditionnelle à lemployeur dans le cadre du contrat de travail, voit ainsi avant tout ses obligations renforcées. Et dans le même temps, lemployeur voit les siennes réduites. Ainsi par exemple, en matière dobligation de financement de la formation continue, innovation de la précédente loi, celle de 1971 : les négociateurs syndicaux feront valoir quils ont obtenu que celle-ci passe de 1,5% à 1,6% de la masse salariale26 (pour les entreprises de plus de dix salariés) et quune partie de cette somme, 0,5%, devra désormais être obligatoirement affectée à un « organisme paritaire collecteur agréé »27. Mais lélargissement de la définition des actions de formation, contenue dans un autre article de laccord28, délivre lentreprise dune grande partie de cette obligation : le « tutorat et la formation en situation professionnelle »29, « les actions de recherche et de développement portant sur lingénierie pédagogique », les « dépenses propres à faciliter lindividualisation et lévaluation des actions de formation » pourront être « imputées », cest-à-dire déduites de lobligation de financement.
La formation continue dans le cadre de la formation tout au long de la vie : une régression plus large encore
Cette réforme de la formation professionnelle continue sinscrit dans le cadre plus large de « la formation des salariés tout au long de la vie professionnelle »30 et, plus englobant encore, dans celui de « léducation et de la formation tout au long de la vie » (lifelong learning). Le projet de Condorcet pourrait sembler enfin se réaliser, lui qui en appelait dès 1792 à une véritable éducation permanente : « Nous avons observé, enfin, que linstruction ne devait pas abandonner les individus au moment où ils sortent des écoles ; quelle devait embrasser tous les âges ; quil ny en avait aucun où il ne fût utile et possible dapprendre, et que cette seconde instruction est dautant plus nécessaire, que celle de lenfance a été resserrée dans des bornes plus étroites. Cest là même une des causes principales de lignorance où les classes pauvres de la société sont aujourdhui plongées ; la possibilité de recevoir une première instruction leur manquait encore moins que celle den conserver les avantages. »31 Deux siècles après, une utopie se réalise, non lutopie républicaine mais lutopie néolibérale, conçue dans les années 60, et à ce moment-là tenue en marge, dans un contexte de keynésianisme triomphant, mais réactivée dans les années 80 et promue, dans les années 90, comme programme de la Commission Européenne et de beaucoup dautres organisations internationales (OCDE bien sûr, mais aussi Unesco, Banque mondiale ), sous une forme dailleurs durcie.
Linspiration théorique et idéologique de cette politique de « lifelong learning », cest la théorie du capital humain32 qui considère que léducation, professionnelle et supérieure, est un investissement dans cette « nouvelle » forme (plutôt nouvellement découverte) de capital. La vision est donc étroitement instrumentale, les connaissances et les compétences dans lesquelles on investit, ce sont celles qui sont finalement valorisables sur le marché du travail. Cest cette même vision instrumentale de la formation qui anime la politique européenne : « léducation et la formation tout au long de la vie sinscrit dans le cadre de la stratégie européenne pour lemploi »33. Cest elle encore qui inspire le nouvel accord interprofessionnel, promouvant la logique des compétences et rompant ainsi avec lidée, beaucoup plus généreuse, déducation permanente, présente implicitement chez Condorcet et inscrite dans la loi de 1971. Dans la nouvelle conception de la formation, il ny a plus de place pour la dimension culturelle. Depuis 1971, la formation professionnelle continue associait, dans lobjectif de « promotion sociale », « laccès aux différents niveaux de la culture et de la qualification professionnelle »34. Ce temps est définitivement révolu.
Mais la rupture sobserve aussi dans la conception de lobligation de formation : elle était dans lidée déducation permanente une obligation de la nation35 à légard des individus, et particulièrement de ceux qui navaient pu bénéficier de la formation initiale. Désormais, dans le cadre de léducation tout au long de la vie, cest au jeune souhaitant entrer sur le marché du travail, au salarié qui veut le rester, au demandeur demploi qui souhaite en trouver un, quincombe cette obligation, conçue comme une obligation dadaptation permanente dans un monde où les emplois et les compétences sont perpétuellement en redéfinition. Lobligation de formation tout au long de la vie accompagne la généralisation de la précarité, notamment pour ceux qui sont initialement les moins qualifiés et donc les plus fragiles.
Troisième glissement remarquable de léducation permanente à léducation et la formation tout au long de la vie, sur les conditions de financement de ces actions. Lofficialisation du co-investissement, dans laccord interprofessionnel36, est la réponse à la prescription des économistes de lOCDE, de plus en plus fréquemment inspirateurs des politiques menées au niveau européen. Dans cette conception durcie de la théorie du capital humain37, il est prévu en effet que les usagers de lenseignement tertiaire (lenseignement professionnel et lenseignement supérieur regroupés), parce quils en sont les bénéficiaires (en termes dinsertion facilitée, de salaires plus élevés ) en deviennent les co-financeurs. La « formation tout au long de la vie professionnelle » est donc depuis le 20 septembre régie par ce principe ; lenseignement supérieur ne tardera pas à suivre. Premier signe ? Les adultes « en reprise détudes », souvent RMIstes ou demandeurs demploi, qui souhaitent sinscrire dans une université, et qui ne bénéficient pas de financement pour entreprendre cette formation (dans le jargon, on dira quils relèvent de la formation permanente et non pas continue), sont de plus en plus souvent invités à passer au préalable au service de formation continue ou permanente, pour sacquitter de droits spécifiques : au lieu des 150 euros dune inscription standard, 300, 500 euros et parfois plus. Les universités, pressées par le ministère à rechercher ainsi des ressources propres (cest une autre déclinaison de lautonomie quil se propose de renforcer par ses réformes38), y trouvent quelques fonds, mais y perdent leur âme, duniversitas. A moins quelles aient le projet, incitées en cela par leur tutelle, de redéfinir les critères dappartenance à la communauté, en généralisant le co-investissement à tous les étudiants, en formation initiale comme continue, au nom de ce que cette frontière na aujourdhui plus de sens, dans le continuum de léducation tout au long de la vie.
(1) Cest Nicole Questiaux, Premier ministre des « affaires sociales » ou plutôt de la « solidarité nationale » du gouvernement élu en 1981, qui dans le Traité du Social quelle a rédigé avec Jacques Fournier souligne à la fois le flou de la notion (« elle na aucune portée juridique »), les conditions de son émergence assez récente (« dans les travaux de planification qui ont fait participer, au sein des commissions de modernisation, les représentants des principales organisations qui expriment les points de vue des groupes socio-professionnels les plus importants ») et enfin sa connotation idéologique (« Cest la coopération constructive opposée au conflit négatif et destructeur »). Jacques Fournier, Nicole Questiaux, Traité du social, Dalloz, 4e édition, 1984, opus cité p. 197. Les gouvernements de droite font un usage intensif de lexpression, façon sans doute de pacifier un peu plus le « dialogue social ».
(2) Reconnues comme telles au niveau national et seules habilitées à signer des accords interprofessionnels. On parle souvent, du fait de leurs origines, des confédérations « ouvrières », une qualification qui inclut aussi paradoxalement, là encore pour des raisons historiques, la CFE-CGC (confédération générale des cadres).
(3) LExpansion, du 1er octobre 2003 titrait ainsi « Accord historique de la CGT sur la formation. Elle signe son premier grand accord interprofessionnel depuis trente trois ans. »
(4) Communiqué du 1/10/2003 « Pour le Medef, cette signature de la centrale de Bernard Thibault, comme du reste les signatures de la CFDT, de FO, de la CFTC et de la CFECGE concrétise le renouveau du dialogue social en France, dans le droit fil de la démarche de refondation sociale initiée voilà plus de trois ans. »
(5) Grand Jury RTL-Le Monde du 28/09/2003.
(6) « Dans notre pays, où on nous annonçait une rentrée chaude, où on nous annonçait des difficultés majeures dans le domaine social, nous voyons les partenaires sociaux
sinstaller autour de la table, et signer un accord stratégique de toute première importance » Jean-Pierre Raffarin, Intervention lors du petit-déjeuner avec les représentants des milieux économiques français à Moscou, 6/10/2003.
(7) On trouvera sur le site du Medef la toute première version de laccord national interprofessionnel, datée du 23 octobre 2001. Cest sur ce texte que les syndicats de salariés ont discuté : même sils lont amendé, la trame en reste marquée de lesprit de la refondation sociale.
(8) Déclaration du Medef du 11/01/2003 sous le titre « Formation professionnelle : un des chantiers de la refondation sociale ».
(9) Cest lhéroïsme de la négociation : la dernière nuit, forcément blanche, est cependant fructueuse. Et les journalistes participent par leur relation des faits à cette héroïsation : « Les négociations, achevées peu après 6 heures hier, auront duré 19 heures, entrecoupées par plusieurs longues interruptions, avant daboutir à un texte de 51 pages. » LAlsace, 21 septembre 2003.
(10) Autant de qualificatifs présents dans le texte de la « Délibération du Comité Confédéral de la CGT » du 30 septembre 2003.
(11) Le texte, voté en première lecture à lAssemblée Nationale le 6 janvier 2004, devrait être définitivement adopté le 7 avril prochain.
(12) Il arrive, notamment pour les projets de lois « sociaux », que le législateur opère des groupages, dans ce que lon appelle les lois DMOS (portant Diverses Mesures dOrdre Social). Mais il sagit dune situation bien différente ici, avec un projet à deux têtes.
(13) « Dialogue social : Fillon à lépreuve de la CGT », Libération, 6 octobre 2003.
(14) Les entreprises nont jamais vraiment accepté le principe de lobligation de financement, institué par la loi de 1971, et qui est une spécificité française.
(15) Même si il peut être cumulé sur six ans maximum (cf. article 6.1 de laccord interprofessionnel du 20 septembre relatif à laccès des salariés à la formation tout au long de la vie professionnelle) la durée en reste très réduite.
(16) Lexpression gestionnaire est aujourdhui très usitée.
(17) Cf. la définition adoptée par le CNPF, en passe de devenir le Medef, lors de ces journées internationales de la formation de 1998 « La compétence professionnelle est une combinaison de connaissances, de savoir-faire, expériences et comportement, sexerçant dans un contexte précis. Elle se constate lors de sa mise en uvre en situation professionnelle, à partir de laquelle elle est validable. Cest donc à lentreprise quil appartient de la repérer, de lévaluer, de la valider et de la faire évoluer ». Objectifs compétences, tome 1, La compétence professionnelle, enjeu stratégique, p 5, édité par le CNPF.
(18) Article 2 de laccord national interprofessionnel. Le texte, en attendant son inscription dans la loi, figure sur le site de la plupart des syndicats.
(19) Article 8.2.2. de laccord.
(20) Article 6 de laccord.
(21) Article 8.2.1. de laccord.
(22) Article 8.2.2. de laccord.
(23) Préambule de laccord et sous une forme légèrement modifiée « acteur dans son évolution professionnelle », article 1, première ligne.
(24) Et bien entendu pour les autres actions de formation continue, il ne sera même pas associé à ce choix, dès lors quelles se réalisent sur le temps de travail.
(25) Article 6.1.
(26) En la matière aussi, les entreprises, bénéficiant dun
rapport de force favorable, ont pu très rapidement renégocier leur obligation financière. On a oublié que si le législateur avait fixé à 0,8% pour lannée 1972 la quotité de cette participation, il était prévu quelle sélève dès 1976 à 2% de la masse salariale ! Vingt ans après, au terme dun accord présenté comme historique, on passe donc de 1,5% à 1,6% (grâce à la dernière nuit de négociation, la proposition initiale du Medef, 1,55%, ayant été revue à la hausse).
(27) Ce qui représentera pour ces organismes, les OPCA, gérés paritairement , une manne certaine. On a là sans doute une autre explication de lunanimisme autour de laccord : la gestion de ses organismes est un vrai enjeu pour une organisation syndicale ; signer laccord cest non seulement rester dans la négociation contractuelle mais pouvoir revendiquer la gestion de tels organismes.
(28) Article 22.
(29) Quand une caissière plus expérimentée surveille les débuts dune nouvelle, il sera possible de considérer quil
y a là une formation en situation professionnelle : lentreprise pourra déduire en toute légalité, de lobligation de financement, le salaire des deux caissières, pendant le temps de cette formation « tutorée ». Une formation très économique en vérité puisque outre quelle permet déchapper
à lobligation légale, elle ne signifie pas interruption de la production
(30) Cest le titre dailleurs de cet accord interprofessionnel.
(31) Rapport sur lorganisation générale de lInstruction publique, présenté à lAssemblée Nationale législative au nom du Comité dInstruction publique, les 20 et 21 avril 1792. A. Condorcet OConnor et M. F. Arago (publié par), uvres de Condorcet ; 7, : Firmin Didot frères, Paris, 1847-1849 opus cité, page 452.
(32) Formalisée par Gary Becker, dès 1964, dans Human Capital, The University of Chicago Press, 3e édition, 1993.
(33) Déclaration de la Présidence française, au Conseil européen de Nice, 11 décembre 2000.
(34) Article L900-1 du Code du Travail.
(35) Article L900-1 toujours.
(36) On la évoqué sous la forme de la formation hors temps de travail où le salarié co-finance avec son temps libre les actions de formation de lentreprise. Mais les formes en sont plus larges, si lon en juge au mode dalimentation du compte épargne-temps, dont la création est prévue par larticle 7, et qui sera abondé par des reports de congés payés, des heures supplémentaires, des jours de repos, des primes, des indemnités de fin de contrat.
(37) Pour Gary Becker le bénéficiaire de linvestissement dans le capital humain, cétait dabord le patron.
(38) Pour les projets de réforme universitaire, voir Abélard, Universitas calamitatum. Le Livre noir des réformes universitaires, Editions du Croquant, décembre 2003.
(2) Reconnues comme telles au niveau national et seules habilitées à signer des accords interprofessionnels. On parle souvent, du fait de leurs origines, des confédérations « ouvrières », une qualification qui inclut aussi paradoxalement, là encore pour des raisons historiques, la CFE-CGC (confédération générale des cadres).
(3) LExpansion, du 1er octobre 2003 titrait ainsi « Accord historique de la CGT sur la formation. Elle signe son premier grand accord interprofessionnel depuis trente trois ans. »
(4) Communiqué du 1/10/2003 « Pour le Medef, cette signature de la centrale de Bernard Thibault, comme du reste les signatures de la CFDT, de FO, de la CFTC et de la CFECGE concrétise le renouveau du dialogue social en France, dans le droit fil de la démarche de refondation sociale initiée voilà plus de trois ans. »
(5) Grand Jury RTL-Le Monde du 28/09/2003.
(6) « Dans notre pays, où on nous annonçait une rentrée chaude, où on nous annonçait des difficultés majeures dans le domaine social, nous voyons les partenaires sociaux
sinstaller autour de la table, et signer un accord stratégique de toute première importance » Jean-Pierre Raffarin, Intervention lors du petit-déjeuner avec les représentants des milieux économiques français à Moscou, 6/10/2003.
(7) On trouvera sur le site du Medef la toute première version de laccord national interprofessionnel, datée du 23 octobre 2001. Cest sur ce texte que les syndicats de salariés ont discuté : même sils lont amendé, la trame en reste marquée de lesprit de la refondation sociale.
(8) Déclaration du Medef du 11/01/2003 sous le titre « Formation professionnelle : un des chantiers de la refondation sociale ».
(9) Cest lhéroïsme de la négociation : la dernière nuit, forcément blanche, est cependant fructueuse. Et les journalistes participent par leur relation des faits à cette héroïsation : « Les négociations, achevées peu après 6 heures hier, auront duré 19 heures, entrecoupées par plusieurs longues interruptions, avant daboutir à un texte de 51 pages. » LAlsace, 21 septembre 2003.
(10) Autant de qualificatifs présents dans le texte de la « Délibération du Comité Confédéral de la CGT » du 30 septembre 2003.
(11) Le texte, voté en première lecture à lAssemblée Nationale le 6 janvier 2004, devrait être définitivement adopté le 7 avril prochain.
(12) Il arrive, notamment pour les projets de lois « sociaux », que le législateur opère des groupages, dans ce que lon appelle les lois DMOS (portant Diverses Mesures dOrdre Social). Mais il sagit dune situation bien différente ici, avec un projet à deux têtes.
(13) « Dialogue social : Fillon à lépreuve de la CGT », Libération, 6 octobre 2003.
(14) Les entreprises nont jamais vraiment accepté le principe de lobligation de financement, institué par la loi de 1971, et qui est une spécificité française.
(15) Même si il peut être cumulé sur six ans maximum (cf. article 6.1 de laccord interprofessionnel du 20 septembre relatif à laccès des salariés à la formation tout au long de la vie professionnelle) la durée en reste très réduite.
(16) Lexpression gestionnaire est aujourdhui très usitée.
(17) Cf. la définition adoptée par le CNPF, en passe de devenir le Medef, lors de ces journées internationales de la formation de 1998 « La compétence professionnelle est une combinaison de connaissances, de savoir-faire, expériences et comportement, sexerçant dans un contexte précis. Elle se constate lors de sa mise en uvre en situation professionnelle, à partir de laquelle elle est validable. Cest donc à lentreprise quil appartient de la repérer, de lévaluer, de la valider et de la faire évoluer ». Objectifs compétences, tome 1, La compétence professionnelle, enjeu stratégique, p 5, édité par le CNPF.
(18) Article 2 de laccord national interprofessionnel. Le texte, en attendant son inscription dans la loi, figure sur le site de la plupart des syndicats.
(19) Article 8.2.2. de laccord.
(20) Article 6 de laccord.
(21) Article 8.2.1. de laccord.
(22) Article 8.2.2. de laccord.
(23) Préambule de laccord et sous une forme légèrement modifiée « acteur dans son évolution professionnelle », article 1, première ligne.
(24) Et bien entendu pour les autres actions de formation continue, il ne sera même pas associé à ce choix, dès lors quelles se réalisent sur le temps de travail.
(25) Article 6.1.
(26) En la matière aussi, les entreprises, bénéficiant dun
rapport de force favorable, ont pu très rapidement renégocier leur obligation financière. On a oublié que si le législateur avait fixé à 0,8% pour lannée 1972 la quotité de cette participation, il était prévu quelle sélève dès 1976 à 2% de la masse salariale ! Vingt ans après, au terme dun accord présenté comme historique, on passe donc de 1,5% à 1,6% (grâce à la dernière nuit de négociation, la proposition initiale du Medef, 1,55%, ayant été revue à la hausse).
(27) Ce qui représentera pour ces organismes, les OPCA, gérés paritairement , une manne certaine. On a là sans doute une autre explication de lunanimisme autour de laccord : la gestion de ses organismes est un vrai enjeu pour une organisation syndicale ; signer laccord cest non seulement rester dans la négociation contractuelle mais pouvoir revendiquer la gestion de tels organismes.
(28) Article 22.
(29) Quand une caissière plus expérimentée surveille les débuts dune nouvelle, il sera possible de considérer quil
y a là une formation en situation professionnelle : lentreprise pourra déduire en toute légalité, de lobligation de financement, le salaire des deux caissières, pendant le temps de cette formation « tutorée ». Une formation très économique en vérité puisque outre quelle permet déchapper
à lobligation légale, elle ne signifie pas interruption de la production
(30) Cest le titre dailleurs de cet accord interprofessionnel.
(31) Rapport sur lorganisation générale de lInstruction publique, présenté à lAssemblée Nationale législative au nom du Comité dInstruction publique, les 20 et 21 avril 1792. A. Condorcet OConnor et M. F. Arago (publié par), uvres de Condorcet ; 7, : Firmin Didot frères, Paris, 1847-1849 opus cité, page 452.
(32) Formalisée par Gary Becker, dès 1964, dans Human Capital, The University of Chicago Press, 3e édition, 1993.
(33) Déclaration de la Présidence française, au Conseil européen de Nice, 11 décembre 2000.
(34) Article L900-1 du Code du Travail.
(35) Article L900-1 toujours.
(36) On la évoqué sous la forme de la formation hors temps de travail où le salarié co-finance avec son temps libre les actions de formation de lentreprise. Mais les formes en sont plus larges, si lon en juge au mode dalimentation du compte épargne-temps, dont la création est prévue par larticle 7, et qui sera abondé par des reports de congés payés, des heures supplémentaires, des jours de repos, des primes, des indemnités de fin de contrat.
(37) Pour Gary Becker le bénéficiaire de linvestissement dans le capital humain, cétait dabord le patron.
(38) Pour les projets de réforme universitaire, voir Abélard, Universitas calamitatum. Le Livre noir des réformes universitaires, Editions du Croquant, décembre 2003.