Sortie du DVD de Notre Monde
Notre Monde Notre Monde (2013, 119') un film de Thomas LacosteRassemblant plus de 35 intervenants, philosophes, sociologues, économistes, magistrats, médecins, universitaires et écrivains, Notre Monde propose un espace dexpression pour travailler, comme nous y enjoint JeanLuc Nancy à « une pensée commune ». Plus encore quun libre espace de parole, Notre Monde sappuie sur un ensemble foisonnant de propositions concrètes pour agir comme un rappel essentiel, individuel et collectif : « faites de la politique » et de préférence autrement.
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© Passant n°45-46 [juin 2003 - septembre 2003]
© Passant n°45-46 [juin 2003 - septembre 2003]
par Hélène Mohone
Imprimer l'articleLhomme normal et la petite fille
Lhomme normal aime sa viande cuite à point. Ses pommes frites aussi. Il porte une vieille culotte de flanelle sur des jambes maigres et nerveuses. Il a une moustache bravache et un basset obèse qui dort, lové dans son panier comme un vieux crocodile dans la vase de son marigot.
Il fait de longues siestes dans sa chambre à lédredon moelleux. Il fume des cigarillos et boit un whisky tous les soirs comme à la coloniale. Il sennuie.
Il a été quartier-maître mécanicien dans la marine marchande sur le remorqueur Goliath, pour les Chargeurs réunis. Il a fait la traversée Bordeaux-Dakar sur les paquebots de luxe, le Massillia et le Valdivia.
Il sentraînait tous les jours à la boxe française. Tricot de peau, petit short et bottines lacées. Il a une photo de lui, sur la cheminée, prêt à en découdre.
Par K.-O., il réglait ses comptes. Et, en quittant les turbines, il a écrit à sa femme quhier soir il a gagné un petit combat pour un petit gain quil lui envoie, à sa chère chérie qui lui manque tant. Un petit rien pour ses deux femmes, la grande et la petite. Il ne parle pas des autres, accessoires sexuels interchangeables et régulièrement renouvelés.
Il aime sa viande cuite à point, mais ne supporte pas quon renverse du sel sur la table. ça le met très en colère quand on renverse du sel sur la table parce que cest signe de dispute. Il devient tout rouge et sen prend à sa femme qui répond vertement. Il déteste quon lui réponde. Alors il lève le ton comme on lève la voile, ses veines saillantes prêtes à souvrir sous le flot des jurons. Il gonfle et vibre de mille craquements que la petite fille perçoit comme autant de lésions internes que son papa lui inflige. Elle sappuie au mur pour ne pas que ses jambes flanchent. Elle se dit que le mur, lui, va résister à la vague qui soulève le père et lui fait rendre des cris comme on vomit sa bile quand on a une crise de foie. La petite est toute blanche. Elle a peur. Une peur terrible comme un ventre qui souvre à lintérieur pour lengloutir. Ses petits souliers lui collent aux pieds. Son mouchoir rouge tout mouillé dune sueur peureuse au creux de la main. Elle sent sa petite langue sécher contre son palais.
Lhomme normal presse sa rage pour en faire sortir tout un jus ordurier. Il tape sur la table, mais ne frappe pas. Il crie, il tempête, il hurle comme jamais la petite fille a pu imaginer. Elle a limpression de mourir. Toute sa vie sen va par ses ongles de pieds. Elle croit que, si elle regarde, elle va voir lintérieur de ce quelle cache se répandre sur le sol comme si elle avait fait pipi.
Mais cest peut-être ça qui se passe. Elle fait pipi. Elle a les chaussettes trempées. Et ses petites cuisses, sous la jupe, aussi. La culotte, elle ny pense même pas. Elle a les yeux secs pourtant. Elle se vide sous les cris du père.
Il a été chef mécanicien des Motor-Shio sur le « Cordouan ». 4e mécanicien sur le « Formose ». 2e mécanicien sur le « Libreville ». 3e mécanicien sur le « Cap St-Jacques ». Il se rappelle de toutes ses affectations. Ses mains ont été souvent noires et pleines de bonne graisse quil essuyait sur son bleu avant de rouler sa cigarette en sappuyant au bastingage. Aucune autre pensée. Mains sales, clope allumée et lair, plein dune densité étrange, portée par labsence bleutée de locéan.
Il a pensé à la brune aux yeux verts qui tient le bar « Le grand large ». Il a pensé à celle dont la blouse souvre lorsquelle se penche. A celle qui loue la chambre au fond de la cour, avec ses jupes en corolle et son air ingénu. A celle qui vient acheter des ufs et du lait dans lépicerie du coin. A celle qui tient le tabac-presse, toute ronde et charnue comme une mangue.
Il a pensé aux seins, aux pubis, aux bouches et aux nuques. Il a pensé à faire lamour des heures durant. Il a essuyé ses mains en soupirant.
Il sest battu avec le gros Robert qui sent le suif. Il la mis K.-O., comme qui dirait, les doigts dans le nez. Il a pensé, tout en sueur, quil valait mieux ne penser à rien.
Les frites cuites à point. Cest le dimanche peut-être. On sort la voiture et on sentasse avec mamie qui fait son signe de croix devant chaque église et chaque cimetière. La petite a mal au cur derrière. Elle sent lodeur du cigare et ça lui tourne lestomac. Surtout quelle a mangé des escargots, quelle naime pas trop.
Elle regarde par la fenêtre le paysage dominical et sen veut de ne pas avoir emporté, dans son petit sac de jute brodé de motifs coquelicots Le capitaine Fracasse au lieu de Vingt mille lieues sous les mers. Elle glisse ses doigts entre les pages, les écornent, les enroulent autour de ses ongles. Elle chantonne une vieille chanson de marins : « Buvons un coup, buvons-en deux, à la santé des amoureux, à la santé du roi de France et merde pour le roi dAngleterre qui nous a déclaré la guerre ! » Cest signe de bonne humeur. Le père reprend : « Et merde pour le roi dAngleterre qui nous a déclaré la guerre ! » Et la petite fille rit très fort pendant que le père accélère. Elle na pas peur. Le soleil tape contre la vitre pendant que la voiture file, éclair dargent dans la campagne somnolente.
Lhomme normal a sa casquette bien mise. Son havresac et sa cartouchière. Sa veste kaki et ses bottes en caoutchouc. Il a sa carabine dans le coffre et son sifflet de garde-chasse autour du cou. Le vieux basset carnassier hume les fleurettes et lève la patte tous les dix mètres. Un avant-goût de ce qui attend le maître, lincontinence et la couche-culotte.
La petite fille aime les marches en forêt et siffler pour prévenir les autres chasseurs quici, il y a des enfants. Elle siffle beaucoup, à tort et à travers. Elle lance des grands coups de sifflet stridents qui éloignent tous les animaux. Elle veille, éclaireur en socquettes, que chaque brindille soit honorée dun sifflement tactique.
Lhomme normal a aimé son métier, passionnément. Il a travaillé dur pour devenir agent technique. Dynamos et moteurs, courant continu et alternatif. Accumulateurs.
Le soir, il a révisé ses cours de formation accélérée, assis à son bureau, couvert de papiers, éclairé par le faisceau étroit dune lampe. Il a une drôle de règle qui coulisse et dont la petite fille aime le contact. Elle sassoit sur les genoux de lhomme normal et mesure le crayon à papier, la gomme, le cigare éteint, lépaisseur de la table. Et aussi le nez, la moustache, les oreilles de lhomme normal. Rien ne cloche. Tout est en place. Elle a mesuré et rien ne dépasse.
Peut-être juste le regard de lhomme normal quand il la regarde. Il a un bon regard avec de la tristesse. Il lui fait un gros bisou sur la joue et la descend de ses genoux en disant quil a du travail ce soir. Quil viendra lembrasser quand elle sera couchée.
La femme de lhomme normal hurle quil la trompe avec Germaine, la locataire de lappartement den face. Quelle a du culot de venir dîner le soir avec eux et de faire ses manigances sous les yeux de la petite. La femme hurle quil coure après Josy qui tient le bar-tabac et quils se voient quand elle fait les nuits à la biscuiterie. Elle traîne la petite chez Corinne et elle hurle devant la porte douvrir parce quelle sait que son mari est là. Elle dit des gros mots que la petite avale malgré elle.
Elles ne vont pas voir la mer. Depuis le départ, elle sait la détresse de la mère et sempêche dy croire en chantant un vieux refrain que son papa aime beaucoup : « Douce France, cher pays de mon enfance, bercé de tant dinsouciance, tu es resté dans mon cur ».
Elle sait quelle vit en France. Quelle est une enfant. Elle se dit que cest une chanson que son père ne chante que pour elle quand il est chez les Africains. Quand elle laccompagne à la gare maritime pour le départ, il lui tient la main. Il a son bel uniforme bleu marine et une casquette encore, mais ce nest pas la même. Celle-là porte un ruban doré et la visière est en dur, un peu comme des lunettes de soleil. Il a les yeux verts, le père. Il ressemble à un acteur dans un vieux film américain. Il est beau.
La mère ne tarit pas. Elle éructe dans le bus quils vont voir ce quils vont voir. Quelle ne laissera pas faire. Quelle va lui arracher les cheveux et les faux cils à cette putain ! La petite fille chante « Boum, quand votre cur fait boum, tout autour de vous fait boum ». Elle entend moins le sien prêt à exploser.
Elles traversent un champ. Une meute de petits chiens aux jupes. Elle voit le père sous la véranda. Elle se demande pourquoi la mère a toujours raison. Elle aimerait une seule fois ne pas le trouver pour que la mère cesse de la mener dans ses quêtes violentes.
Et puis cest la petite qui hurle maintenant. Elle veut hurler plus fort que la mère. Plus fort que le père qui est sorti et qui injurie sa femme. Elle prend une pierre et brise une vitre en la lançant. Elle crie, poings serrés. Ils la regardent sans comprendre pourquoi ces cris. Ils la trouvent nerveuse. Ils disent quelle a mauvais caractère. Quelle est difficile.
Elle crie que plus que la tuer ils ne pourront pas. Elle crache comme un vieux crapaud-buffle. Elle la lu dans Le livre de la jungle. Elle grogne, se tortille et vomit son sandwich thon-mayonnaise acheté à la gare routière.
Elle voudrait bien que lhomme normal la prenne dans ses bras et revienne à la maison. Et que cessent les cris.
Lhomme normal aime sa viande cuite à point. Et ses frites aussi. Il les sale abondamment et se sert le premier. La petite fille sait quelle aura soif toute la journée.
Il fait de longues siestes dans sa chambre à lédredon moelleux. Il fume des cigarillos et boit un whisky tous les soirs comme à la coloniale. Il sennuie.
Il a été quartier-maître mécanicien dans la marine marchande sur le remorqueur Goliath, pour les Chargeurs réunis. Il a fait la traversée Bordeaux-Dakar sur les paquebots de luxe, le Massillia et le Valdivia.
Il sentraînait tous les jours à la boxe française. Tricot de peau, petit short et bottines lacées. Il a une photo de lui, sur la cheminée, prêt à en découdre.
Par K.-O., il réglait ses comptes. Et, en quittant les turbines, il a écrit à sa femme quhier soir il a gagné un petit combat pour un petit gain quil lui envoie, à sa chère chérie qui lui manque tant. Un petit rien pour ses deux femmes, la grande et la petite. Il ne parle pas des autres, accessoires sexuels interchangeables et régulièrement renouvelés.
Il aime sa viande cuite à point, mais ne supporte pas quon renverse du sel sur la table. ça le met très en colère quand on renverse du sel sur la table parce que cest signe de dispute. Il devient tout rouge et sen prend à sa femme qui répond vertement. Il déteste quon lui réponde. Alors il lève le ton comme on lève la voile, ses veines saillantes prêtes à souvrir sous le flot des jurons. Il gonfle et vibre de mille craquements que la petite fille perçoit comme autant de lésions internes que son papa lui inflige. Elle sappuie au mur pour ne pas que ses jambes flanchent. Elle se dit que le mur, lui, va résister à la vague qui soulève le père et lui fait rendre des cris comme on vomit sa bile quand on a une crise de foie. La petite est toute blanche. Elle a peur. Une peur terrible comme un ventre qui souvre à lintérieur pour lengloutir. Ses petits souliers lui collent aux pieds. Son mouchoir rouge tout mouillé dune sueur peureuse au creux de la main. Elle sent sa petite langue sécher contre son palais.
Lhomme normal presse sa rage pour en faire sortir tout un jus ordurier. Il tape sur la table, mais ne frappe pas. Il crie, il tempête, il hurle comme jamais la petite fille a pu imaginer. Elle a limpression de mourir. Toute sa vie sen va par ses ongles de pieds. Elle croit que, si elle regarde, elle va voir lintérieur de ce quelle cache se répandre sur le sol comme si elle avait fait pipi.
Mais cest peut-être ça qui se passe. Elle fait pipi. Elle a les chaussettes trempées. Et ses petites cuisses, sous la jupe, aussi. La culotte, elle ny pense même pas. Elle a les yeux secs pourtant. Elle se vide sous les cris du père.
Il a été chef mécanicien des Motor-Shio sur le « Cordouan ». 4e mécanicien sur le « Formose ». 2e mécanicien sur le « Libreville ». 3e mécanicien sur le « Cap St-Jacques ». Il se rappelle de toutes ses affectations. Ses mains ont été souvent noires et pleines de bonne graisse quil essuyait sur son bleu avant de rouler sa cigarette en sappuyant au bastingage. Aucune autre pensée. Mains sales, clope allumée et lair, plein dune densité étrange, portée par labsence bleutée de locéan.
Il a pensé à la brune aux yeux verts qui tient le bar « Le grand large ». Il a pensé à celle dont la blouse souvre lorsquelle se penche. A celle qui loue la chambre au fond de la cour, avec ses jupes en corolle et son air ingénu. A celle qui vient acheter des ufs et du lait dans lépicerie du coin. A celle qui tient le tabac-presse, toute ronde et charnue comme une mangue.
Il a pensé aux seins, aux pubis, aux bouches et aux nuques. Il a pensé à faire lamour des heures durant. Il a essuyé ses mains en soupirant.
Il sest battu avec le gros Robert qui sent le suif. Il la mis K.-O., comme qui dirait, les doigts dans le nez. Il a pensé, tout en sueur, quil valait mieux ne penser à rien.
Les frites cuites à point. Cest le dimanche peut-être. On sort la voiture et on sentasse avec mamie qui fait son signe de croix devant chaque église et chaque cimetière. La petite a mal au cur derrière. Elle sent lodeur du cigare et ça lui tourne lestomac. Surtout quelle a mangé des escargots, quelle naime pas trop.
Elle regarde par la fenêtre le paysage dominical et sen veut de ne pas avoir emporté, dans son petit sac de jute brodé de motifs coquelicots Le capitaine Fracasse au lieu de Vingt mille lieues sous les mers. Elle glisse ses doigts entre les pages, les écornent, les enroulent autour de ses ongles. Elle chantonne une vieille chanson de marins : « Buvons un coup, buvons-en deux, à la santé des amoureux, à la santé du roi de France et merde pour le roi dAngleterre qui nous a déclaré la guerre ! » Cest signe de bonne humeur. Le père reprend : « Et merde pour le roi dAngleterre qui nous a déclaré la guerre ! » Et la petite fille rit très fort pendant que le père accélère. Elle na pas peur. Le soleil tape contre la vitre pendant que la voiture file, éclair dargent dans la campagne somnolente.
Lhomme normal a sa casquette bien mise. Son havresac et sa cartouchière. Sa veste kaki et ses bottes en caoutchouc. Il a sa carabine dans le coffre et son sifflet de garde-chasse autour du cou. Le vieux basset carnassier hume les fleurettes et lève la patte tous les dix mètres. Un avant-goût de ce qui attend le maître, lincontinence et la couche-culotte.
La petite fille aime les marches en forêt et siffler pour prévenir les autres chasseurs quici, il y a des enfants. Elle siffle beaucoup, à tort et à travers. Elle lance des grands coups de sifflet stridents qui éloignent tous les animaux. Elle veille, éclaireur en socquettes, que chaque brindille soit honorée dun sifflement tactique.
Lhomme normal a aimé son métier, passionnément. Il a travaillé dur pour devenir agent technique. Dynamos et moteurs, courant continu et alternatif. Accumulateurs.
Le soir, il a révisé ses cours de formation accélérée, assis à son bureau, couvert de papiers, éclairé par le faisceau étroit dune lampe. Il a une drôle de règle qui coulisse et dont la petite fille aime le contact. Elle sassoit sur les genoux de lhomme normal et mesure le crayon à papier, la gomme, le cigare éteint, lépaisseur de la table. Et aussi le nez, la moustache, les oreilles de lhomme normal. Rien ne cloche. Tout est en place. Elle a mesuré et rien ne dépasse.
Peut-être juste le regard de lhomme normal quand il la regarde. Il a un bon regard avec de la tristesse. Il lui fait un gros bisou sur la joue et la descend de ses genoux en disant quil a du travail ce soir. Quil viendra lembrasser quand elle sera couchée.
La femme de lhomme normal hurle quil la trompe avec Germaine, la locataire de lappartement den face. Quelle a du culot de venir dîner le soir avec eux et de faire ses manigances sous les yeux de la petite. La femme hurle quil coure après Josy qui tient le bar-tabac et quils se voient quand elle fait les nuits à la biscuiterie. Elle traîne la petite chez Corinne et elle hurle devant la porte douvrir parce quelle sait que son mari est là. Elle dit des gros mots que la petite avale malgré elle.
Elles ne vont pas voir la mer. Depuis le départ, elle sait la détresse de la mère et sempêche dy croire en chantant un vieux refrain que son papa aime beaucoup : « Douce France, cher pays de mon enfance, bercé de tant dinsouciance, tu es resté dans mon cur ».
Elle sait quelle vit en France. Quelle est une enfant. Elle se dit que cest une chanson que son père ne chante que pour elle quand il est chez les Africains. Quand elle laccompagne à la gare maritime pour le départ, il lui tient la main. Il a son bel uniforme bleu marine et une casquette encore, mais ce nest pas la même. Celle-là porte un ruban doré et la visière est en dur, un peu comme des lunettes de soleil. Il a les yeux verts, le père. Il ressemble à un acteur dans un vieux film américain. Il est beau.
La mère ne tarit pas. Elle éructe dans le bus quils vont voir ce quils vont voir. Quelle ne laissera pas faire. Quelle va lui arracher les cheveux et les faux cils à cette putain ! La petite fille chante « Boum, quand votre cur fait boum, tout autour de vous fait boum ». Elle entend moins le sien prêt à exploser.
Elles traversent un champ. Une meute de petits chiens aux jupes. Elle voit le père sous la véranda. Elle se demande pourquoi la mère a toujours raison. Elle aimerait une seule fois ne pas le trouver pour que la mère cesse de la mener dans ses quêtes violentes.
Et puis cest la petite qui hurle maintenant. Elle veut hurler plus fort que la mère. Plus fort que le père qui est sorti et qui injurie sa femme. Elle prend une pierre et brise une vitre en la lançant. Elle crie, poings serrés. Ils la regardent sans comprendre pourquoi ces cris. Ils la trouvent nerveuse. Ils disent quelle a mauvais caractère. Quelle est difficile.
Elle crie que plus que la tuer ils ne pourront pas. Elle crache comme un vieux crapaud-buffle. Elle la lu dans Le livre de la jungle. Elle grogne, se tortille et vomit son sandwich thon-mayonnaise acheté à la gare routière.
Elle voudrait bien que lhomme normal la prenne dans ses bras et revienne à la maison. Et que cessent les cris.
Lhomme normal aime sa viande cuite à point. Et ses frites aussi. Il les sale abondamment et se sert le premier. La petite fille sait quelle aura soif toute la journée.
Poétesse, dramaturge. Elle est notamment lauteur du Cur cannibale, William Blake & Co, 2003.