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Sortie du DVD de Notre Monde

Notre Monde Notre Monde (2013, 119') un film de Thomas Lacoste
Rassemblant plus de 35 intervenants, philosophes, sociologues, économistes, magistrats, médecins, universitaires et écrivains, Notre Monde propose un espace d’expression pour travailler, comme nous y enjoint Jean–Luc Nancy à « une pensée commune ». Plus encore qu’un libre espace de parole, Notre Monde s’appuie sur un ensemble foisonnant de propositions concrètes pour agir comme un rappel essentiel, individuel et collectif : « faites de la politique » et de préférence autrement.
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© Passant n°38 [janvier 2002 - février 2002]
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Les arbres meurent debout


Comme chaque été, en route pour l’Espagne, il vient passer deux jours avec ses amis de Bordeaux, cette ville où il fut aussi résistant et amoureux au point d’y épouser celle qui l’a soutenu tout au long de cette histoire. Fidélité encore. Fil rouge à travers le siècle, mémoire de la lutte, victorieuse, mais à quel prix ? Contre le franquisme, victoire encore contre le nazisme. Peut-on gagner aujourd’hui dans ce nouveau combat contre un ennemi plus pervers, plus dilué, ou bien nous trouvons-nous cette fois dans une situation très difficile ? « La meilleure façon de bien vivre, c’est de lutter ou de faire une thérapie. Celui qui lutte pour ses idées se sent bien. Celui qui ne lutte pas, meurt, comme une plante séchée. Pour bien vivre, il faut également faire une bêtise par mois ». Malice dans le regard clair.



Condamné à mort par Franco



Les arbres meurent debout, titre d’un poème de l’argentin Alejandro Casona, Luis Alberto Quesada est l’un de ces arbres ; comme eux il mourra debout, la tête dans les étoiles et les racines profondément plantées dans le terreau collectif où puisent les hommes debout. Pour lui, « l’homme doit être de toutes les terres avec de fortes racines dans l’une d’elles ». Les siennes sont donc andalouses, berceau de sa famille, il est pourtant né en Argentine en 1919. Deux ans plus tard, ses parents rentrent en Espagne. En 36, le jeune homme étudie l’agronomie quand éclate la guerre civile. Guadarrama, Madrid, Teruel, il a à peine 17 ans mais il est de tous les combats. D’abord sergent puis commissaire politique, d’une compagnie, d’un bataillon puis d’une division pour finir à 19 ans, responsable d’une brigade, toujours des unités de choc en premières lignes.

Obligé de fuir, il se retrouve en France, dans un camp de concentration. Pas pour longtemps, il reprend du service contre l’occupant nazi en participant à l’organisation de la résistance dans le bordelais. Talonné par la Gestapo, il franchit à nouveau les Pyrénées dans l’autre sens et rejoint les rangs républicains. Arrêté quelques mois plus tard, Luis Alberto va faire la sinistre tournée des prisons franquistes, où il puisera la matière de sa geste poétique. Et d’abord, les geôles du ministère du gouvernement, la torture, pendant 15 jours et 15 nuits. Condamné à mort, à la prison de Porlier, enfermé avec des fous agressifs et des droits communs, il y passera 8 mois jusqu’à la fermeture avant d’être transféré à Carabanchel, où il sera roué de coups pour une tentative de fuite, puis Alcala de Henares et l’isolement, Burgos enfin. Il fut finalement gracié à la suite d’une campagne d’opinion menée en Argentine à l’initiative de son épouse, de sa famille et de nombreux écrivains. La condamnation à la peine de mort est commuée en 30 ans de prison. En 59, il avait alors 40 ans, le régime le libère et l’expulse vers l’Argentine où il s’installe définitivement. Il n’est revenu en Espagne qu’en 1980.



L’Homme collectif



Rafael Alberti disait de Luis Alberto Quesada qu’il est « capable de créer de la vie avec tant de choses qui viennent de la mort ». Quesada avait rencontré Alberti et Lorca en 1936, avant la guerre. Le tout jeune homme, responsable de la JSU, la Jeunesse Socialiste Unifiée d’un quartier de Madrid, avait été bombardé secrétaire à la culture. Son père, alors directeur de l’université artistique de Madrid, progressiste mais pas militant, disait à ses amis « regardez dans quel état est la culture puisqu’ils ont nommé mon fils secrétaire ! » Déjà, Luis Alberto écrivait articles et poèmes sur les journaux muraux et dans la presse combattante. Pas un pro de la plume mais préoccupé par l’homme, cet « homme collectif » titre d’un recueil qu’il publiera bien plus tard en Argentine.

« L’avenir de l’Homme doit être poétique. Et pour être poétique, il doit être collectif. Le poète peut écrire sur les fleurs, l’amour, la famille, les arbres ; il peut écrire ce qu’il veut. Le problème n’est pas de permettre à chacun d’écrire ce qu’il veut mais il faut qu’à ce moment précis de l’Humanité, la pensée exprime une chose concrète. Un poète qui dit ressentir fortement les problèmes, ne peut que ressentir les vibrations, les brûlures et les crimes de ce système dans lequel nous vivons. Si les gouvernements et les structures sociales assassinent, le poète doit les combattre avec son esprit »1. L’écriture, poétique de préférence, envisagée comme une conception de la vie même, ne le quittera plus. Cette volonté de débroussailler des chemins pour aider à la compréhension du monde, mais contre tous les dogmes, les préjugés, les lieux communs. « Celui qui ne sait pas et qui croit qu’il sait est un idiot. Fuis le, dit un vieux proverbe » rappelle Quesada. Et la suite de sa vie lui fournira une matière première que Dante ne négligerait pas. Toutes les béances vers l’horreur du siècle, il les a endurées, elles se sont inscrites dans sa propre chair ; la guerre, les camps, la torture, la faim, la mort promise. Mais ce sont aux autres, à ses frères d’armes morts en prison qu’il dédie ses plus beaux poèmes. À Miguel Hernandez, ce Traje de presidario2 habit du prisonnier : « Je voudrais faire entendre la voix de ta dépouille de prisonnier suspendue aux tristes barreaux, faire entendre la voix de l’ombre et crier vers le jour pour qu’il vienne vite car il y a urgence. Je voudrais faire entendre la voix de ta mort. Déchirer le ciel couvert et endiguer le vent de sable. Faire entendre la voix du sang : bouillonnements, blessures, tranchées, boues, ténèbres. Je voudrais boire l’eau des cruches rouges, saisir la terre noire du village et répandre dans ses sillons tes semences serrées. Je voudrais faire entendre la voix et me laver la figure de notre triste histoire. Me baigner nu dans les rivières de l’homme, et chanter tes poèmes à la cime des montagnes. »

(1) Merci à Sophie Ducroux pour la traduction et à Jean Minaberry pour l’interview.
(2) In El Hombre Colectivo, Poemas de Luis Alberto Quesada, Editorial Adunar, Buenos Aires, un parmi la dizaine de recueils de poèmes. Dernière publication : Hacia el sol de la utopia, Editorial Besana.

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