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Notre Monde Notre Monde (2013, 119') un film de Thomas Lacoste
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© Passant n°28 [mars 2000 - avril 2000]
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Des négriers dans un océan de non-droit


S’il est un secteur économique où règne le non-droit, c’est bien le transport maritime. Les marées noires récurrentes pour lesquelles les pollueurs ne récurent guère en sont la manifestation la plus tragique. Une fois de plus, le naufrage de l’Erika aura permis de dénoncer l’opacité des pratiques - qui peut bien être l’armateur ? -, la vétusté de la flotte mondiale - selon le ministère des transports 10 % des 80 000 navires qui croisent dans le monde sont des épaves à moteur -, la légèreté des contrôles techniques et les avantages faramineux dont bénéficient les compagnies sous pavillon de complaisance - droits d’enregistrement inférieurs de 30 % à 50 %, exonérations diverses, consignes de sécurité laxistes. Dans cette course effrénée au profit, l’irresponsabilité est de mise. Jusqu’à l’Union Euro-péenne qui n’a pas suivi la convention d’immatriculation des navires de 1986 et qui continue à accueillir toutes les épaves du monde entier.

Il est un autre point moins évoqué mais tout aussi débecquetant : les conditions de vie et de travail des marins à bord de ces navires, eux qui subissent au premier chef la course à la réduction des coûts. Car l’un des autres avantages des pavillons de complaisance, et non des moindres, réside pour les armateurs dans la possibilité d’employer des marins de n’importe quel pays alors qu’ils seraient obligés d’embarquer des marins de leur propre pays s’ils battaient pavillon national. La France a astucieusement créé un pavillon dit second registre Kerguelen qui, outre des avantages fiscaux, permet d’employer 65 % de marins étrangers. Comme les Etats (Panama, le Libéria, Chypre, Malte, les Bahamas, les Bermudes…) qui enregistrent les navires sous pavillon de complaisance ne reconnaissent ni conventions collectives ni protections sociales, les marins - philippins, colombiens, indiens, ukrainiens, roumains… - sont corvéables à merci pour des salaires qui oscillent entre 2 000 et 4 000 francs mensuels, heures supplémentaires et primes le plus souvent comprises. De la discrimination raciale pure et simple. Autre pratique courante : l’abandon par l’armateur de l’équipage et du navire dans un port quelconque. Manque juste les fers aux pieds. Et aux requins !

Et il ne faut pas croire que ces comportements ne sont le fait que d’armateurs et d’affréteurs mafieux, n’est-ce pas M. Desmarest élu « négrier de l’année » par le Passant Ordinaire. Tous s’y adonnent, bien propres sur eux. En juin dernier, par exemple, le « Cap-Ferret » (second registre Kerguelen), navire de la société Pétromarine, petit armateur bordelais florissant a été bloqué à Donges par des marins sénégalais et béninois payés 3 000 francs par mois (y compris les heures supplémentaires et les primes), lesquels réclamaient simplement d’être rémunérés comme leurs homologues français. Superbe, Alain Mottet, le PDG a répondu : « Vous comprendrez bien que si nous les payons comme des Français, cela fera une émeute dans leur pays où tous les autres marins demanderont de tels salaires ». CQFD : ce bon monsieur œuvre pour la paix sociale au Sénégal et au Bénin.

En janvier dernier, le Santana 3, navire battant pavillon maltais a été bloqué à Bordeaux pour diverses créances non honorées, notamment les salaires des marins qui gagnaient moins de 4 000 francs mensuels et dont certains n’étaient plus payés depuis plusieurs mois (presque deux ans pour l’un d’entre eux). Puis le Santana 3 a quitté Bordeaux mais a dû faire escale à Brest par manque de carburant. Là, il fut de nouveau bloqué, non pour des créances cette fois-ci

- les marins ayant notamment obtenu l’assurance qu’ils seraient payés - mais pour des déficiences techniques au niveau des installations machines, des points de corrosion et des manquements aux règles de sécurité. Les canots de sauvetage ne fonctionnaient pas !

Il est bon aussi de rappeler que ce bateau avait été contrôlé voici six mois par le Rina -la société de certification qui avait donné l’autorisation de navigation à l’Erika - qui, là encore, avait accordé une autorisation de naviguer pour cinq années supplémentaires. Le Santana 3 est aujourd’hui en Angleterre et nul ne sait ce qu’il en adviendra. Peut-être déposera-t-il quelques « bouses » TotalFina ou BP dans les années à venir, ici ou ailleurs, engloutissant quelques marins philippins ou roumains dans sa carcasse rouillée.

Vincent Gire


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